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si grand miracle. Il était sans doute bien plus glorieux au Sauveur de faire ces prodiges en mourant sur la croix, que de descendre même de la croix. Car, soit qu’ils les attribuassent à Jésus-Christ, ils devaient le craindre et croire en lui ; soit qu’ils les attribuassent au Père, ils devaient encore être touchés, de regret et se convertir, puisque ces ténèbres étaient une marque visible de la colère de Dieu sur eux.
Car pour montrer que cette éclipse n’était point une éclipse naturelle, mais seulement un effet extraordinaire de l’indignation de Dieu, il ne faut que considérer cet espace de trois heures pendant lesquelles elle dura, au lieu que tout le monde sait que les éclipses naturelles que nous voyons tous les jours passent bien plus vite. Vous me demanderez peut-être comment tout le monde alors ne fut point frappé d’un si grand prodige, et ne reconnut point la divinité de celui qui était attaché à la croix. À quoi je réponds que les hommes étaient alors dans un étrange assoupissement à l’égard de Dieu ; que ce miracle n’ayant duré que trois heures, et n’ayant point de suite, les hommes négligèrent aisément d’en reconnaître la cause ; et que la longue habitude de leurs impuretés et de leurs crimes, les avait jetés dans un si profond aveuglement, qu’ils étaient incapables d’attribuer ces ténèbres à une autre cause qu’à une cause ordinaire et toute naturelle.
Après cela pouvez-vous vous étonner de l’indifférence qui parut alors chez les païens qui n’avaient aucune connaissance de Dieu, et s’ils négligèrent de s’informer de la cause de ces ténèbres, puisque les Juifs mêmes, après tant de grands miracles du Fils de Dieu, s’élevèrent encore contre lui, quoiqu’ils ne pussent pas ignorer qu’il fût la cause de ce prodige ? C’est pour cette raison qu’il jeta un grand cri vers la fin de ces ténèbres, pour faire connaître à tout le monde qu’il était encore envie, et qu’il avait répandu cette nuit épaisse sur ses ennemis pour les toucher et pour leur donner lieu de se convertir.
Il dit : « Eli, Eli, lama Sabacthani », c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné » ? afin qu’on sût que, jusqu’au dernier moment de sa vie, il honorait son Père, et qu’il ne lui était point opposé. Il choisit à dessein une parole des prophètes pour montrer qu’il approuvait l’Ancien Testament, et il la dit en hébreu, afin que tout le monde connût qu’il n’avait qu’une même volonté avec son Père. Mais admirez encore ici l’aveuglement de ce peuple.
« Quelques-uns de ceux qui étaient là, entendant ce cri, dirent : il appelle Élie (47). « Et aussitôt l’un d’eux courut emplir une éponge de vinaigre, et la mettant au bout d’un roseau, lui présentait à boire (48). Les autres disaient : Attendez : Voyons si Élie ne viendra point pour le délivrer (49). Jésus jetant un grand cri polir la seconde fois rendit l’esprit », pour accomplir ce qu’il avait dit auparavant : « J’ai le pouvoir de quitter ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre ». (Jn. 10,17) C’était pour marquer ce souverain pouvoir qu’il criait avec tant de force un moment avant qu’il mourût. Saint Marc dit que Pilate s’étonna de ce qu’il était sitôt mort. (Mc. 15,44 ; Lc. 33,47) Mais le centenier le fut d’autant plus que, voyant un homme mourant jeter un si grand cri, il crut qu’il n’était point mort par faiblesse, mais parce qu’il l’avait voulu.
« Mais Jésus jetant un grand cri pour la seconde fois, rendit l’esprit (50). En même temps le voile du temple fut déchiré en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla, les pierres se fendirent (51). Les sépulcres s’ouvrirent : Et plusieurs corps de saints qui étaient dans le sommeil de la mort ressuscitèrent (52). Et sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, vinrent en la ville sainte, et apparurent à plusieurs (53). Or, le centenier et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, ayant vu le tremblement de terre et tout ce qui se passait, furent saisis d’une extrême crainte et dirent : Cet homme était vraiment le Fils de Dieu (54) ». Cette voix de Jésus-Christ déchira donc le voile du temple, ouvrit les tombeaux, et elle a causé depuis la ruine du temple. Ce n’est pas qu’il méprisât ce lieu saint, lui qui avait dit avec indignation : « Ne faites point de la maison de mon Père une maison de trafic (Jn. 2,16) » ; mais il montrait que les Juifs n’étaient pas dignes de le conserver, pas plus que lorsqu’il l’avait autrefois livré aux Babyloniens. Ces prodiges de plus ont marqué, outre la ruine du temple qui devait arriver quarante ans après, le changement du monde et le renouvellement de toutes choses en un état plus parfait et plus heureux, et la souveraine puissance de Celui qui mourait en croix.