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voulu la recevoir, « Afin qu’il donne la vie a éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés ». Si le Sauveur se sert encore ici d’expressions humaines, n’en soyez point surpris ; il en use de la sorte pour les raisons que nous avons déjà expliquées ailleurs et pour éviter de parler magnifiquement de soi : ce qui aurait choqué ses auditeurs, qui n’avaient pas encore de lui une grande opinion. Saint Jean néanmoins, quand il parle en son propre nom, n’en use pas de la sorte, il se sert de termes plus relevés et plus sublimes : « Toutes choses ont été faites par lui » ; et : « Il était la lumière » ; et : « Il est venu chez soi ». (Jn. 1,3 et suiv) Où l’on voit, non qu’il n’aurait point eu la puissance, s’il ne l’avait reçue, mais qu’il donnait aussi aux autres « le pouvoir d’être faits enfants de Dieu ». Saint Paul de même le déclare égal à Dieu.
Mais le Sauveur fait sa demande d’une manière plus humaine en ces termes : « Afin qu’il donne la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés. Or la vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (3) ». Jésus-Christ dit : « Le seul Dieu véritable », à la différence de ces dieux qui ne sont point de véritables dieux ; et il fait cette observation à ses disciples, parce qu’il les allait envoyer vers les gentils.
Que si les hérétiques n’admettent pas cette explication, et s’ils persistent à nier que Jésus-Christ soit vrai Fils de Dieu, à cause de ce terme, « seul » ; en raisonnant de la sorte, ils arrivent à nier aussi qu’il soit Dieu ; car Jésus-Christ dit : « Vous ne rechercherez point la gloire qui vient de Dieu seul ». (Jn. 5,44) Quoi donc ! le Fils ne sera point Dieu ? Mais si le Fils est Dieu, et le Fils du seul Père, il est évident, et qu’il est vrai Dieu, et qu’il est Fils de celui qui est dit seul vrai Dieu. Quoi donc ! lorsque saint Paul dit : « Serais-je seul, et Barnabé[1] » (1Cor. 9,6) est-ce qu’il exclut Barnabé ? Nullement, ce mot n’est mis que par opposition à ce que font les autres. Que si le Fils n’est pas vrai Dieu, comment est-il la vérité ? car dire « la vérité », c’est dire beaucoup plus que « vrai ». Celui qui n’est pas vrai homme, due dirons-nous, je vous prie, qu’il est ? ne dirons-nous pas qu’il n’est point homme ? De même, si le Fils n’est point vrai Dieu, comment est-il Dieu ? comment nous fait-il dieux, et fils de Dieu, n’étant point vrai Dieu[2] ? Mais nous avons traité plus exactement ailleurs[3] cette matière ; c’est pourquoi, poursuivons notre sujet.
« Je vous ai glorifié sur la terre (4) ». Jésus-Christ dit fort bien : « Sur la terre », car le Père était glorifié dans le ciel, ayant la gloire que sa nature lui donne, et étant adoré des anges. Le Sauveur ne parle donc pas de la gloire qui est propre à son essence. Cette gloire, encore que personne ne le glorifie, il l’a toute pleine et entière ; mais il parle de la gloire que lui doivent rendre les hommes par leur culte et leurs adorations. C’est pourquoi ce mot : glorifiez-moi, doit être entendu de même.
Pour vous montrer qu’il parle de cette sorte de gloire, écoutez ce qu’il dit ensuite : « J’ai achevé l’ouvrage que vous m’aviez donné à faire ». Mais il en était encore au commencement, ou même, à peine l’avait-il commencé. Comment dit-il donc : « J’ai achevé l’ouvrage ? » Il le dit : ou parce qu’il avait fait tout ce qu’il lui appartenait de faire, ou parce qu’il parle de ce qui doit arriver, comme étant déjà arrivé ; ou plutôt disons que tout était déjà fait, du moment qu’il avait planté la racine du bien, d’où devait nécessairement naître le fruit ; et qu’il assistait, qu’il secondait ceux qui viendraient dans la suite. Voilà pourquoi il dit encore dans des termes de condescendance : « Que vous m’avez donné à faire[4] ». Si ç’eût été en écoutant et en apprenant que le Fils eût achevé l’ouvrage, son

  1. « Serais-je seul et Barnabé ? » La suite du discours de mon auteur, et l’application qu’il fait de ce passage, m’obligent de traduire ainsi littéralement. Il faut traduire : « Serions-nous les seuls, Barnabé et moi ? »
  2. Les Ariens abusaient de ces paroles du divin Sauveur : « Seul vrai Dieu » et « Que vous avez envoyé », pour l’exclure de la vraie divinité, prétendant que véritablement « il était Dieu et Fils de Dieu », mais non pas « vrai Dieu, ni vrai Fils de Dieu par nature », mais seulement par grâce et par adoption. C’est sur quoi le saint Docteur pousse ces hérétiques, leur faisant voir que si, selon eux, le mot : SEUL exclut Jésus-Christ de la vraie divinité et filiation du Père, il l’exclut aussi de toute divinité ; ce qui était contre leurs principes et leurs opinions. Il les réfute encore en disant que Jésus-Christ « est la vérité » : s’il n’est pas vrai Dieu, dit-il, il ne peut pas être la vérité s’il est la vérité, comme il l’est véritablement, il est donc vrai Dieu. \fp Quand Paul a dit : moi seul, et Barnabé, il n’a point exclu Barnabé ; car ce mot SEUL n’est pas employé à ce dessein, mais pour faire voir qu’il avait avec Barnabé le même privilégie que les autres apôtres : de même Jésus-Christ, en nommant le Père SEUL vrai Dieu, ne s’est point exclu de la divinité, mais il en a seulement exclu les faux dieux, vers lesquels il envoyait les apôtres, en les envoyant vers les gentils. Le Sauveur dit donc : Seul vrai Dieu, pour prémunir ses apôtres contre les idoles, ou contre les faux dieux.
  3. Ailleurs : dans ses premières Homélies, comme on peut le voir.
  4. L’ouvrage que vous m’avez donné à faire : c’est-à-dire, la prédication, dont vous m’aviez chargé pour faire connaître votre nom.