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qui les précèdent ? qu’ont-elles de commun avec ce qu’a dit auparavant Jésus-Christ ? « Vous serez heureux si vous pratiquez ces choses : celui qui vous reçoit ? » Toutes ces paroles s’accordent fort bien, mais voyez comment. Les disciples devaient sortir de leur patrie, se répandre dans le monde, et souffrir de grands maux ; le divin Sauveur les console par deux arguments : l’un qu’il tire de lui-même, l’autre qu’il emprunte aux autres. Si vous vous appliquez à votre ministère, si vous pensez sagement, dit-il, si vous vous souvenez de moi, et si vous considérez ce que j’ai souffert et tout ce que j’ai fait, vous souffrirez plus facilement le travail et les afflictions ; et non seulement vous vous consolerez par ces réflexions, mais encore par les hommages que vous recevrez de tout le monde. Jésus-Christ marque le premier de ces points, en disant : « Si vous pratiquez ces choses, vous serez heureux » ; l’autre, par ces paroles : « Celui qui vous reçoit, me reçoit ». Il leur a fait ouvrir les maisons de tout le monde, en sorte qu’ils ont été doublement consolés et par la fermeté de leur caractère, et par le zèle de ceux qui les ont honorés.
Jésus-Christ, après avoir donné ces instructions à ses disciples comme devant parcourir le monde entier, pensant que le traître serait privé de l’un et de l’autre, et qu’il ne recevrait aucun de ces avantages ; qu’il serait privé, et de la patience dans les épreuves et des bons offices de ceux qui devaient recevoir ses apôtres, se troubla de nouveau[1]. C’est pour marquer ce trouble, et déclarer quelle en fut la cause, que l’évangéliste ajoute : « Jésus ayant dit ces choses, troubla son esprit, et se déclara ouvertement, en disant : Un d’entre vous me trahira (21) ». Le Sauveur ne le nommant point, les jette tous encore dans la crainte et dans l’effroi (22). Les disciples sont inquiets et en peine, quoiqu’ils ne se sentent coupables d’aucun mal, parce que le jugement de Jésus-Christ leur parait plus sûr que l’opinion qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes ; c’est pourquoi ils se regardaient l’un l’autre. Le Sauveur diminuait la crainte en restreignant la trahison à un seul, mais en disant : « Un d’entre vous », il les troublait et les effrayait tous. Quoi donc ? Ils se regardaient tous l’un l’autre ; mais Pierre, toujours vif et bouillant, « fit signe à Jean (24) ». Car, comme peu de temps auparavant il avait été réprimandé, et avait voulu empêcher son Maître de lui laver les pieds ; comme il est partout entraîné par son amour, et partout ; censuré, voilà pourquoi il est timide et craintif, il ne peut se retenir ; il n’ose point davantage ouvrir, la bouche, mais il cherche à s’éclairer par le ministère de Jean.
Il se présente ici une question digne de notre attention et de nos recherches ; pourquoi, tous étant dans l’inquiétude et dans la crainte, et le chef lui-même dans le trouble et dans la terreur, Jean comme s’il eût été dans la joie, se couche sur le sein de Jésus, et non seulement il s’y repose, mais aussi il y laisse tomber sa tête ; et ce n’est point là seulement la question qui est digne de nos recherches, mais encore ce qui suit. Quoi ? ce que Jean dit tee lui-même : « Le disciple que Jésus aimait ». Pourquoi aucun autre n’a parlé de lui en ces termes ? et d’ailleurs les autres aussi étaient aimés ? Mais celui-ci l’était plus que tous les autres. Que si nul autre n’a parlé de lui en ces termes, et si Jean lui-même est le seul qui l’ait fait, il n’est rien en cela qui nous doive surprendre. Saint Paul, dans l’occasion, en a usé de même, il a dit : « Je connais un homme, « qui fut ravi il y a quatorze ans ». (2Cor. 22,2) Et encore le saint apôtre a raconté beaucoup de choses qui ne lui font pas médiocrement honneur.
Jean entend cette parole : « Suivez-moi » (Mt. 4,21) ; sur-le-champ il quitte ses filets et son père, et il suit : croyez-vous que ce soit là peu de chose ? Et que Jésus l’ait pris avec Pierre, et l’ait mené à l’écart sur une montagne (Id. 17,1) ; selon vous, est-ce là peu de chose ? Et encore qu’il soit entré avec son Maître dans la maison du grand prêtre[2] ? Mais Jean lui-même, quel éloge n’a-t-il pas fait de Pierre ? Il n’a point passé sous silence ces paroles de Jésus-Christ : « Pierre, m’aimez-vous plus que ne font ceux-ci ? » (Jn. 21,15) Partout il le représente vif et bouillant, et

  1. C-à-d. il eut de l’horreur pour, l’action que Judas méditait, et fut en même temps ému, envisageant sa mort qui n’était pas éloignée. Jésus se troubla à la vue de sa mort, et à la présence de Judas mais ce trouble fut volontaire, de même que celui qu’il excita dans lui-même à l’approche du tombeau de Lazare, et ensuite dans le jardin des Oliviers.
  2. Saint Chrysostome, saint Jérôme, Théophilacte ; et plusieurs autres, ont cru que lorsque saint Jean dit : « Un autre disciple, qui était connu du grand-prêtre », il parle de soi, et que, par conséquent, il veut dire qu’il entra avec le Sauveur dans la maison du grand-prêtre. Plusieurs commentateurs en doutent, et combattent ce sentiment. Il serait trop long de rapporter les raisons de part et d’autre, et de les discuter. Ce qu’on peut dire de plus juste sur ces sortes de questions douteuses, sur lesquelles on a peu de lumières, c’est ce que dit saint Augustin, qu’« on ne doit pas témérairement prononcer sur une chose dont l’Écriture ne dit rien ». In Joan Tract. CXIII."