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crimes où ils se plongent volontairement, c’est contre Dieu que vous portez votre accusation, et vous voulez pénétrer ses secrets, et sonder la profondeur de ses mystères, quoique vous soyez très-persuadé que les méchants font le mal sans aucune contrainte, et que leur malice n’est que trop volontaire ?
Mais, dira-t-on, les bons seuls devraient venir au monde ; et alors on n’aurait pas besoin ni d’enfer, ni de châtiments, ni de supplices, puisqu’il n’y aurait pas même trace de mal nulle part. Quant aux méchants, ils devraient ou ne pas naître ou mourir aussitôt qu’ils sont nés. Nous ne croyons pas pouvoir mieux répondre d’abord à cette pensée que par ces paroles de saint Paul : « O homme ! qui êtes-vous, pour oser disputer avec Dieu ? Un vase d’argile, dit-il à celui qui l’a fait : Pourquoi m’avez-vous fait ainsi » ? (Rom. 9,20) Mais puisque vous voulez des raisons, je vous dirai en un mot que Dieu permet ce mélange et cette confusion des méchants avec les bons, pour rendre plus éclatante la vertu de ceux qui le servent. Pourquoi donc leur enviez-vous le combat qui leur doit produire une si riche couronne ?
Quoi donc ! direz-vous encore, faut-il que les uns soient punis pour que les autres aient l’occasion de briller et d’acquérir de la gloire ? – À Dieu ne plaise. Personne n’est puni que pour sa méchanceté propre. Les méchants ne sont pas tels par le seul fait de leur naissance ils le deviennent librement par le vice de leur volonté, et c’est pourquoi ils sont châtiés. Car de quels supplices ne sont pas dignes ceux qui n’ont pas voulu suivre la vertu dont ils ont sous les yeux de si beaux modèles ? Car, comme les bons méritent une double récompense, et parce qu’ils ont été bons, et parce qu’ils ne se sont point laissé corrompre par la malice des méchants ; ainsi, les méchants méritent d’être doublement punis, et parce qu’ils ont été méchants, et parce qu’ils se sont rendu inutile l’exemple des bons.
3. Mais considérons ce que Judas répond, lorsque le Sauveur le reprend de son crime « Seigneur », dit-il, « est-ce moi » ? Pourquoi ne fit-il pas tout d’abord cette demande à Jésus-Christ avec les autres ? parce le Sauveur n’avait dit qu’en général : « Un d’entre vous me trahira », et Judas crut que dans cette confusion il pourrait facilement n’être pas connu. Mais quand il se vit désigné en particulier, l’extrême douceur de Jésus-Christ lui fit espérer qu’il l’épargnerait encore : ce fut dans cette espérance qu’il lui fit cette question, et qu’il l’appela « Rabbi », c’est-à-dire maître. O aveuglement du cœur ! où pousses-tu les hommes quand tu les possèdes ? C’est là, mes frères, l’effet de l’avarice. Elle rend les hommes stupides et sans jugement. Elle les change en bêtes ou plutôt en démons. C’est cette passion furieuse qui a persuadé à Judas de s’abandonner au démon qui le voulait perdre, et de trahir Jésus-Christ qui le voulait sauver, Judas qui était lui-même un démon par la disposition de son cœur. C’est l’état où l’avarice réduit encore aujourd’hui ceux qui s’en rendent les esclaves ! Ils sont insensés, ils sont fous, ils sont tout entiers au gain ils sont comme Judas.
Mais comment saint Matthieu et deux autres Évangélistes disent-ils que le démon entra dans Judas aussitôt qu’il eût traité avec les Juifs ; au lieu que selon saint Jean ce ne fut qu’après que Jésus-Christ lui eut donné ce morceau de pain trempé ? Saint Jean mes frères, ne dit que ce que disent les autres Évangélistes : « Après le souper », dit-il, « lorsque le diable avait déjà mis dans le cœur de Judas le dessein de trahir son maître ». (Jn. 13,27) Mais comment donc dit-il ensuite : « Après ce morceau de pain le diable entra en lui » ? C’est, mes frères, parce que le démon ne se rend pas tout d’un coup maître du cœur de l’homme. Il n’y entre que peu à peu. C’est de cette manière qu’il se conduit ici envers Judas. Il le tente, il le sonde, jusqu’à ce qu’ayant reconnu qu’il s’abandonnait à lui, il se répand dans le fond de son cœur, et il se l’assujettit entièrement.
On peut faire ici encore une autre question : D’où vient que les disciples mangeant la Pâque « étaient assis », contrairement à l’ordonnance de la Loi ? Je réponds qu’ils mangèrent la Pâque sans s’asseoir, mais après qu’ils l’eurent mangée, et que cette cérémonie légale fut achevée, ils se mirent à table à l’ordinaire pour souper. Un autre Évangéliste marque que ce soir-là Jésus-Christ, non seulement mangea la Pâque, mais qu’il dit même en la mangeant : « J’ai désiré avec ardeur de manger cette Pâque avec vous » (Lc. 22) ; c’est-à-dire cette année. Quelle était la cause de ce grand désir ? Parce que l’heure était venue pour lui de sauver le monde, parce qu’il