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avec cette femme : tant ils savaient bien garder le rang de disciples ; tant était grande et profonde la vénération qu’ils avaient pour leur Maître ! S’ils n’avaient pas encore de lui l’opinion qu’ils devaient avoir, ils le regardaient pourtant, et ils l’honoraient comme un homme admirable. Souvent néanmoins ils ont paru plus hardis nomme lorsque Jean se reposa sur son sein (Jn. 13,23) ; lorsqu’ils s’approchèrent de lui et lui dirent : « Qui est le plus grand dans le royaume des cieux ? » (Mt. 28,1) ; lorsque les enfants de Zébédée demandent d’être assis dans son royaume, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche (Mt. 20,21). Pourquoi donc ici les disciples ne demandent-ils point à Jésus la raison de cet entretien ? Parce que, quand il s’agissait de leur propre intérêt, alors ils étaient dans la nécessité de demander ; mais ici rien ne les regardait. Au reste, ce n’est que longtemps après que Jean se reposa sur le sein de Jésus ; c’est lorsque, s’appuyant sur l’amour que Jésus lui portait, cet amour même lui inspira plus de hardiesse et de confiance. Car, parlant de soi, il dit : « C’était là le disciple que Jésus aimait ». (Jn. 19,26) Est-il rien d’égal à ce bonheur ?
Mais n’en demeurons point là, mes chers frères, ne nous contentons pas d’exalter cet apôtre et de le nommer bienheureux : faisons nous-mêmes tous nos efforts pour atteindre à la félicité (les bienheureux ; imitons l’évangéliste et cherchons à connaître ce qui lui a attiré ce grand amour de Jésus-Christ. Quelle en est la cause ? Il a quitté son père, et sa barque, et ses filets, et il a suivi Jésus-Christ : mais cela lui était commun avec son frère, et aussi avec Pierre, et avec André, et avec les autres apôtres. Qu’y a-t-il donc eu en lui de si grand, de si excellent pour lui mériter un si grand amour ? Saint Jean n’a rien dit de soi, sinon qu’il était aimé ; la raison de cet amour, il l’a cachée par modestie. Qu’il fût extrêmement aimé de Jésus-Christ, cela était visible pour tout le monde : cependant nous ne voyons pas qu’il eût des entretiens avec lui, ni qu’il l’interrogeât en particulier, comme souvent le firent Pierre et Philippe, et Judas, et Thomas (Jn. 13,24) ; si ce n’est une seule fois, et encore par amitié pour un de ses confrères dans l’apostolat, qui l’en avait prié. Le CORYPHÉE des apôtres lui ayant fait signe d’adresser une question, il le fit car ils avaient une vive affection fun pour l’autre. Ainsi l’on rapporte d’eux qu’ils étaient montés ensemble au Temple, qu’ils avaient prêché ensemble (Act. 3,1). D’ailleurs Pierre montre souvent plus d’ardeur e de feu que les autres, et enfin c’est à lui que Jésus-Christ dit : « Pierre, m’aimez-vous plus que ne font ceux-ci ? » (Jn. 21,15) Or, celui qui aimait plus que les autres, était sûrement aimé. Mais à l’égard de l’un on voyait éclater son amour pour Jésus, à l’égard de l’autre, c’était l’amour de Jésus qui paraissait visiblement. Qu’est-ce donc qui a fait aimer Jean d’un amour singulier ? Pour moi, il me semble que c’est son humilité et sa grande douceur : c’est pourquoi on remarque souvent une certaine crainte dans sa conduite.
Moïse nous l’apprend, combien est grande cette vertu de l’humilité : car c’est elle qui l’a rendu si grand. Rien, en effet, ne lui est comparable : voilà pourquoi c’est par elle que Jésus-Christ commence les béatitudes (Mt. 5,3) ; voulant jeter le fondement d’un grand édifice, il a placé l’humilité la première. En effet, sans elle personne ne peut obtenir la grâce du salut : qu’on jeûne, qu’on prie, qu’on donne l’aumône, si c’est par vanité et par ostentation, tout est abominable ; comme au cou traire avec elle tout est agréable, tout est doux et aimable, tout est paix et sûreté. Conduisons-nous donc humblement, mes chers frères, conduisons-nous humblement : certes il nous sera aisé et facile de pratiquer cette vertu, si nous veillons sur nous-mêmes. O homme, qu’avez-vous enfin qui puisse vous enorgueillir ? Ignorez-vous la bassesse de votre nature ? Ne savez-vous pas que votre volonté est portée au mal ? Pensez à la mort, pensez à la multitude de vos péchés.
Peut-être vos belles actions vous inspirent de hauts sentiments et vous enflent le cœur ? mais cela même vous en fera perdre tout le fruit. Voilà pourquoi ce n’est point tant le pécheur, que l’homme de bien et de vertu, qui doit s’attacher à l’humilité. Pour quelle raison ? Parce que celui-là, sa conscience l’y force ; mais celui-ci, s’il rie veille extrêmement, bientôt un vent impétueux l’emporte, et toute sa vertu s’évanouit, comme celle du pharisien dont parle l’évangéliste (Lc. 18,10). Vous faites l’aumône aux pauvres ? mais ce n’est point de votre bien ; c’est de celui qui appartient au Seigneur : c’est de ce qui vous est commun avec vos compagnons. Voilà justement pourquoi vous devez être et plus humbles et