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qu’il a plutôt tu et caché une partie de sa grandeur et de son excellence, que caché et tu ce qui lui manquait, et omis de déclarer qu’il ne l’avait pas. Voulant enseigner l’humilité aux hommes, il avait un sujet raisonnable de garder le silence sur ses plus sublimes attributs : mais ici, « à l’égard de sa prétendue création », vous ne sauriez m’alléguer la moindre raison un peu spécieuse de la taire. Car pourquoi Celui qui passait sous silence une infinité de ses titres, s’il eût été créé, l’aurait-il caché ? Celui qui, pour enseigner l’humilité, a souvent parlé dans des termes qui ne lui étaient ni propres, ni convenables, n’aurait pas omis, à plus forte raison, qu’il était créé, s’il eût été créé.
Ne vois-tu pas qu’il n’est rien qu’il ne fasse et ne dise pour empêcher qu’on pense qu’il n’est point engendré ; qu’il dit même des choses qui sont au-dessous de sa dignité et de sa nature, et qu’il s’abaisse jusqu’à l’humble qualité de prophète ? car ces paroles : « Je juge selon ce que j’entends » (Jn. 5,30), et ces autres : « C’est lui, c’est mon Père, qui m’a enseigné ce que je dois dire, et ce que je dois enseigner[1] », sont des paroles qui n’appartiennent qu’à des prophètes. Si donc, pour prévenir ce soupçon, il n’a pas dédaigné de tenir un si humble langage, à plus forte raison s’il eût été créé se serait-il encore exprimé de la sorte de peur que quelqu’un ne pensât qu’il était incréé : il eût dit, par exemple : Gardez-vous de croire que j’aie été engendré par le Père : j’ai été fait, et je ne suis point engendré, je ne suis pas non plus de la même substance que le Père. Mais maintenant il fait tout le contraire, il dit des choses qui nous forcent, même malgré nous, d’embrasser le sentiment opposé, comme par exemple : « Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi ». (Jn. 14,10) Et : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore ? Philippe, celui qui me voit, voit mon Père ». (Jn. 14,9) Et : « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». (Jn. 5,23) « Comme le Père ressuscite les morts, et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». (Jn. 5,21) « Mon Père ne cesse point d’agir jus« qu’à présent, et j’agis aussi incessamment ». (Jn. 5,1) « Comme mon Père me connaît je connais mon Père ». (Jn. 10,15) « Mon Père et moi nous sommes une même chose ». (Jn. 10,30) Et partout il met : « comme » et « ainsi » : il dit que son Père et lui sont une même chose, et il déclare qu’il n’y a aucune différence entre eux.
Mais encore : il montre et manifeste sa puissance, et par ces paroles et par plusieurs autres. Comme lorsqu’il dit : « Tais-toi, calme-toi » (Mc. 4,39), « je le veux, soyez guéri » (Mt. 8,3), « je te le commande : Démon sourd et muet, sors de cet enfant ». (Mc. 9,24) Et ceci encore : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : vous ne tuerez point ; mais moi je vous dis, que quiconque se mettra en colère sans sujet contre son frère, méritera d’être condamné ». (Mt. 5,21, 22) Et tant d’autres préceptes ou miracles qui suffisent pour prouver sa puissance ; que dis-je ? c’est bien des fois plus qu’il n’en faut pour gagner et convaincre tout homme qui n’aura pas perdu le sens et la raison.
5. Mais telle est la force de la vaine gloire, que, même dans les choses les plus claires et les plus évidentes, elle peut aveugler l’esprit de ceux qui en sont possédés, leur persuader de combattre ce qui est le mieux avéré ; elle peut même pousser au mensonge et à la révolte ceux qui sont le mieux convaincus de la vérité. C’est là ce qu’ont fait les Juifs : car ils ne niaient pas le Fils de Dieu par ignorance, mais pour se concilier la faveur du vulgaire : « Ils croyaient en lui », dit l’Écriture, « mais ils craignaient d’être chassés de la synagogue ». (Jn. 12,42) Et ils perdaient leur salut pour l’amour des autres. Celui qui recherche ainsi la gloire du monde ne peut acquérir celle qui vient de Dieu. Voilà pourquoi Jésus-Christ leur fait ce reproche : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire des hommes, et qui ne recherchez point celle qui vient de Dieu ? » (Jn. 5,44)
La vaine gloire, mes frères, est en quelque sorte une profonde ivresse, Voilà pourquoi celui qui est attaqué de cette maladie s’en délivre difficilement : elle est un cruel tyran qui, arrachant du ciel l’âme de ses esclaves, l’attache à la terre, ne lui permet pas de voir la vraie lumière, la pousse à se vautrer toujours dans la boue, et lui donne des maîtres si puissants, qu’ils la font obéir sans lui faire aucun commandement : car celui qui est infecté de cette passion, fait volontairement, quoique

  1. Le saint Docteur cite ici le sens ; et non les paroles ; mais ces paroles, quant au sens, se trouvent en plusieurs endroits de saint Jean.