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de parcourir l’espace intermédiaire pour s’approcher et se réunir. Le mouvement est donc aussi ancien que la matière, et l’impulsion ou répulsion est contemporaine de l’attraction ; mais, agissant en sens contraire, elle tend à éloigner tout ce que l’attraction a rapproché.

Le choc, et toute violente attrition entre les corps, produit du feu en divisant et repoussant les parties de la matière[1] ; et c’est de l’impulsion primitive que cet élément a tiré son origine ; élément lequel seul est actif et sert de base et de ministre à toute force impulsive, générale et particulière, dont les effets sont toujours opposés et contraires à ceux de l’attraction universelle. Le feu se manifeste dans toutes les parties de l’univers, soit par la lumière, soit par la chaleur ; il brille dans le soleil et dans les astres fixes ; il tient encore en incandescence les grosses planètes ; il échauffe plus ou moins les autres planètes et les comètes ; il a aussi pénétré, fondu, enflammé la matière de notre globe, lequel, ayant subi l’action de ce feu primitif, est encore chaud ; et, quoique cette chaleur s’évapore et se dissipe sans cesse, elle est néanmoins très active et subsiste en grande quantité, puisque la température de l’intérieur de la terre, à une médiocre profondeur, est de plus de dix degrés.

C’est de ce feu intérieur ou de cette chaleur propre du globe que provient le feu particulier de l’électricité. Nous avons déjà dit, dans notre introduction à l’Histoire des minéraux, et tout nous le persuade, que l’électricité tire son origine de cette chaleur intérieure du globe : les émanations continuelles de cette chaleur intérieure s’élèvent perpendiculairement à chaque point de la surface de la terre ; elles sont bien plus abondantes à l’équateur que dans toutes les autres parties du globe. Assez nombreuses dans les zones tempérées, elles deviennent nulles ou presque nulles aux régions polaires, qui sont couvertes par la glace ou resserrées par la gelée. Le fluide électrique, ainsi que les émanations qui le produisent, ne peuvent donc jamais être en équilibre autour du globe : ces émanations doivent nécessairement partir de l’équateur où elles abondent, et se porter vers les pôles où elles manquent[NdÉ 1].

Ces courants électriques, qui partent de l’équateur et des régions adjacentes, se compriment et se resserrent en se dirigeant à chaque pôle terrestre, à peu près comme les méridiens se rapprochent les uns des autres : dès lors, la chaleur obscure qui émane de la terre et forme ces courants électriques, peut devenir lumineuse en se condensant dans un moindre espace, de la même manière que la chaleur obscure de nos fourneaux devient lumineuse lorsqu’on la condense en la tenant enfermée[2]. Et c’est là la vraie cause de ces feux qu’on regardait autrefois comme des incendies célestes et qui ne sont néanmoins que des effets électriques auxquels on a donné le nom d’aurores polaires. Elles sont plus fréquentes dans les saisons de l’automne et de l’hiver, parce que c’est le temps où les émanations de la chaleur de la terre sont le plus complètement supprimées dans les zones froides,

  1. T. II, p. 221 et suiv.
  2. Voyez, t. II, l’article intitulé : Expériences sur les effets de la chaleur obscure.
  1. Buffon donne, dans ce passage, la première expression, toute divinatoire, de ce que l’on nomme aujourd’hui l’unité des forces physiques. Dans son Histoire du mercure, il a formulé l’idée de l’unité de composition de la matière. À la première page de son Traité de l’aimant, il a indiqué que la propriété la plus essentielle de la matière est le mouvement. Ici, suivant avec une remarquable vigueur la filière de ces pensées, il entrevoit, s’il ne la distingue pas très nettement, l’une des conceptions les plus remarquables des physiciens modernes, celle qui considère la chaleur, la lumière, l’électricité, comme des formes diverses d’une seule et même propriété, le mouvement, formes susceptibles de se transformer l’une dans l’autre. Buffon nous montre le mouvement produisant le « feu » qui se manifeste soit par la « lumière, soit par la chaleur » et la chaleur produisant l’électricité. Je ne crois donc pas me tromper en affirmant qu’il avait entrevu et deviné « la théorie de l’unité des forces physiques », admise aujourd’hui sans contestation par tous les savants. [Note de Wikisource : Notons cependant que cette unité, professée encore de nos jours, n’a toujours pas trouvé de formulation théorique convaincante. En effet, aujourd’hui encore, il existe un antagonisme irréductible entre la théorie de la gravitation (les théories relativistes) et les théories de l’électromagnétisme (les théories quantiques), de sorte que l’on ne sait pas expliquer ces deux forces par un même mécanisme, et donc encore moins expliquer l’une de ces forces par l’autre, comme prétend le faire Buffon. De manière générale, quasiment toutes les vues théoriques de Buffon sont ou bien fausses, ou bien appuyées sur des preuves équivoques. Ainsi, l’électricité souterraine, le fluide et les émanations électrique, l’influence des mines de fer et des défrichements sur l’orientation des boussoles, les multiples pôles magnétiques et plus généralement toutes les causes qu’il avance pour expliquer les phénomènes magnétiques, sont inexistants. Restent les vues de Buffon confirmées par la postérité, principalement : l’identité entre phénomènes électriques et magnétiques, le comportement de la Terre comme un aimant planétaire, et la marche erratique de ses pôles magnétiques.]