Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du mercure

DU MERCURE


Rien ne ressemble plus à l’étain ou au plomb, dans leur état de fusion, que le mercure dans son état naturel ; aussi l’a-t-on regardé comme un métal fluide auquel on a cherché, mais vainement, les moyens de donner de la solidité ; on a seulement trouvé que le froid extrême pouvait le coaguler, sans lui donner une solidité constante, ni même aussi permanente, à beaucoup près, que celle de l’eau glacée ; et, par ce rapport unique et singulier, le mercure semble se rapprocher de la nature de l’eau, autant qu’il approche du métal par d’autres propriétés, et notamment par sa densité, la plus grande de toutes après celle de l’or[1] ; mais il diffère de tout métal, et même de tout minéral métallique, en ce qu’il n’a nulle ténacité, nulle dureté, nulle solidité, nulle fixité, et il se rapproche encore de l’eau par sa volatilité, puisque, comme elle, il se volatilise et s’évapore à une médiocre chaleur. Ce liquide minéral est-il donc un métal ? ou n’est-il pas une eau qui ressemble aux métaux parce qu’elle est chargée des parties les plus denses de la terre, avec lesquelles elle s’est plus intimement unie que dans aucune autre matière ? On sait qu’en général toute fluidité provient de la chaleur, et qu’en particulier le feu agit sur les métaux comme l’eau sur les sels, puisqu’il les liquéfie, et qu’il les tiendrait en une fluidité constante s’il était toujours au même degré de violente chaleur, tandis que les sels ne demandent que celui de la température actuelle pour demeurer liquides : tous les sels se liquéfiant dans l’eau comme les métaux dans le feu, la fluidité du mercure tient, ce me semble, plus au premier élément qu’au dernier ; car le mercure ne se solidifie qu’en se glaçant comme l’eau ; il lui faut même un bien plus grand degré de froid, parce qu’il est beaucoup plus dense ; le feu est ici en quantité presque infiniment petite, au lieu que ce même élément ne peut agir sur les métaux, comme liquéfiant, comme dissolvant, que quand il leur est appliqué en quantité infiniment grande, en comparaison de ce qu’il en faut au mercure pour demeurer liquide.

De plus, le mercure se réduit en vapeurs par l’effet de la chaleur, à peu près comme l’eau, et ces deux vapeurs sont également incoercibles, même par les résistances les plus fortes : toutes deux font éclater et fendre les vaisseaux les plus solides avec explosion ; enfin, le mercure mouille les métaux, comme l’eau mouille les sels ou les terres, à proportion des sels qu’elles contiennent ; le mercure ne peut-il donc pas être considéré comme une eau dense et pesante, qui ne tient aux métaux que par ce rapport de densité ? Et cette eau, plus dense que tous les liquides connus, n’a-t-elle pas dû se former, après la chute des autres eaux et des matières également volatiles reléguées dans l’atmosphère, pendant l’incandescence du globe ? Les parties métalliques, terrestres, aqueuses et salines, alors sublimées ou réduites en vapeurs, se seront combinées ; et, tandis que les matières fixes du globe se vitrifiaient ou se déposaient sous la forme de métal ou de chaux métallique, tandis que l’eau, encore pénétrée de feu, produisait les acides et les sels, les vapeurs de ces substances métalliques, combinées avec celles de l’eau et des principes acides, n’ont-elles pas pu former cette substance du mercure, presque aussi volatile que l’eau et dense comme le métal ? Cette substance liquide, qui se glace comme l’eau et qui n’en diffère essentiellement que par sa densité, n’a-t-elle pas dû se trouver dans l’ordre des combinaisons de la nature, qui a produit non seulement des métaux et des demi-métaux, mais aussi des terres métalliques et salines, telles que l’arsenic ? Or, pour compléter la suite de ses opérations, n’a-t-elle pas dû produire aussi des eaux métalliques, telles que le mercure ? L’échelle de la nature, dans ses productions métalliques, commence par l’or qui est le métal le plus inaltérable et, par conséquent, le plus parfait ; ensuite l’argent qui, étant sujet à quelques altérations, est moins parfait que l’or ; après quoi le cuivre, l’étain et le plomb, qui sont susceptibles non seulement d’altération, mais de décomposition, sont des métaux imparfaits en comparaison des deux premiers ; enfin, le fer fait la nuance entre les métaux imparfaits et les demi-métaux ; car le fer et le zinc ne présentent aucun caractère essentiel qui doive réellement les faire placer dans deux classes différentes ; la ductilité du fer est une propriété que l’art lui donne, il se brûle comme le zinc ; il lui faut seulement un feu plus fort, etc. : on pourrait donc également prendre le fer pour le premier des demi-métaux, ou le zinc pour le dernier des métaux ; et cette échelle se continue par l’antimoine, le bismuth, et finit par les terres métalliques et par le mercure, qui n’est qu’une substance métallique liquide.

On se familiarisera avec l’idée de cette possibilité, en pesant les considérations que nous venons de présenter, et en se rappelant que l’eau, dans son essence, doit être regardée comme un sel insipide et fluide ; que la glace, qui n’est que ce même sel rendu solide, le devient d’autant plus que le froid est plus grand ; que l’eau, dans son état de liquidité, peut acquérir de la densité à mesure qu’elle dissout les sels ; que l’eau, purgée d’air, est incompressible, et dès lors composée de parties très solides et très dures ; que par conséquent elle deviendrait très dense, si ces mêmes parties s’unissaient de plus près ; et, quoique nous ne connaissions pas au juste le moyen que la nature a employé pour faire ce rapprochement des parties dans le mercure, nous en voyons néanmoins assez pour être fondés à présumer que ce minéral fluide est plutôt une eau métallique qu’un vrai métal ; de la même manière que l’arsenic, auquel on donne le nom de demi-métal, n’est qu’une terre plutôt saline que métallique, et non pas un vrai demi-métal[NdÉ 1].

On pourra me reprocher que j’abuse ici des termes, en disant que le mercure mouille les métaux, puisqu’il ne mouille pas les autres matières, au lieu que l’eau et les autres liquides mouillent toutes les substances qu’on leur offre et que, par conséquent, ils ont seuls la faculté de mouiller ; mais en faisant attention à la grande densité du mercure, et à la forte attraction qui unit entre elles ses parties constituantes, on sentira aisément qu’une eau, dont les parties s’attireraient aussi fort que celles du mercure, ne mouillerait pas plus que le mercure dont les parties ne peuvent se désunir que par la chaleur, ou par une puissance plus forte que celle de leur attraction réciproque, et que dès lors ces mêmes parties ne peuvent mouiller que l’or, l’argent et les autres substances qui les attirent plus puissamment qu’elles ne s’attirent entre elles ; on sentira de même que, si l’eau paraît mouiller indifféremment toutes les matières, c’est que ses parties intégrantes n’ayant qu’une faible adhérence entre elles, tout contact suffit pour les séparer, et plus l’attraction étrangère surpassera l’attraction réciproque et mutuelle de ces parties constituantes de l’eau, plus les matières étrangères l’attireront puissamment et se mouilleront profondément. Le mercure, par sa très grande fluidité, mouillerait et pénétrerait tous les corps solides de la nature, si la force d’attraction, qui s’exerce entre ses parties en proportion de leur densité, ne les tenait pour ainsi dire en masse et ne les empêchait par conséquent de se séparer et de se répandre en molécules assez petites pour pouvoir entrer dans les pores des substances solides : la seule différence entre le mercure et l’eau, dans l’action de mouiller, ne vient donc que du plus ou moins de cohérence dans l’agrégation de leurs parties constituantes, et ne consiste qu’en ce que celles de l’eau se séparent les unes des autres bien plus facilement que celles du mercure.

Ainsi ce minéral, fluide comme l’eau, se glaçant comme elle par le froid, se réduisant comme elle en vapeurs par le chaud, mouillant les métaux comme elle mouille les sels et les terres, pénétrant même la substance des huiles et des graisses, et entrant avec elles dans le corps des animaux, comme l’eau entre dans les végétaux, a de plus avec elle un rapport qui suppose quelque chose de commun dans leur essence ; c’est de répandre, comme l’eau, une vapeur qu’on peut regarder comme humide : c’est par cette vapeur que le mercure blanchit et pénètre l’or sans le toucher, comme l’humidité de l’eau répandue dans l’air pénètre les sels ; tout concourt donc, ce me semble, à prouver que le mercure n’est pas un vrai métal, ni même un demi-métal, mais une eau chargée des parties les plus denses de la terre ; comme les demi-métaux ne sont que des terres chargées, de même, d’autres parties denses et pesantes qui les rapprochent de la nature des métaux.

Après avoir exposé les rapports que le mercure peut avoir avec l’eau, nous devons aussi présenter ceux qu’il a réellement avec les métaux : il en a la densité, l’opacité, le brillant métallique, il peut de même être dissous par les acides, précipité par les alcalis ; comme eux, il ne contracte aucune union avec les matières terreuses, et, comme eux encore, il en contracte avec les autres métaux ; et si l’on veut qu’il soit métal, on pourrait même le regarder comme un troisième métal parfait, puisqu’il est presque aussi inaltérable que l’or et l’argent par les impressions des éléments humides. Ces propriétés relatives et communes le rapprochent donc encore plus de la nature du métal qu’elles ne l’éloignent de celle de l’eau, et je ne puis blâmer les alchimistes qui, voyant toutes ces propriétés dans un liquide, l’ont regardé comme l’eau des métaux, et particulièrement comme la base de l’or et de l’argent dont il approche par sa densité, et auxquels il s’unit avec un empressement qui tient du magnétisme, et encore parce qu’il n’a, comme l’or et l’argent, ni odeur ni saveur : enfin, on n’est pas encore bien assuré que ce liquide si dense n’entre pas comme principe dans la composition des métaux, et qu’on ne puisse le retirer d’aucun minéral métallique. Recherchons donc, sans préjugé, quelle peut être l’essence de ce minéral amphibie, qui participe de la nature du métal et de celle de l’eau ; rassemblons les principaux faits que la nature nous présente, et ceux que l’art nous a fait découvrir sur ses différentes propriétés avant de nous arrêter à notre opinion.

Mais ces faits paraissent d’abord innombrables : aucune matière n’a été plus essayée, plus maniée, plus combinée ; les alchimistes surtout, persuadés que le mercure ou la terre mercurielle était la base des métaux, et voyant qu’il avait la plus grande affinité avec l’or et l’argent, ont fait des travaux immenses pour tâcher de le fixer, de le convertir, de l’extraire ; ils l’ont cherché non seulement dans les métaux et minéraux, mais dans toutes les substances et jusque dans les plantes ; ils ont voulu ennoblir, par son moyen, les métaux imparfaits, et, quoiqu’ils aient presque toujours manqué le but de leurs recherches, ils n’ont pas laissé de faire plusieurs découvertes intéressantes. Leur objet principal n’était pas absolument chimérique, mais peut-être moralement impossible à atteindre ; car rien ne s’oppose à l’idée de la transmutation[NdÉ 2] ou de l’ennoblissement des métaux que le peu de puissance de notre art, en comparaison des forces de la nature, et puisqu’elle peut convertir les éléments, n’a-t-elle pas pu, ne pourrait-elle pas encore transmuer les substances métalliques ? Les chimistes ont cru, pour l’honneur du nom, devoir rejeter toutes les idées des alchimistes ; ils ont même dédaigné d’étudier et de suivre leurs procédés ; ils ont cependant adopté leur langue, leurs caractères et même quelques-unes des obscurités de leurs principes ; le phlogistique, si ce n’est pas le feu fixe animé par l’air, le minéralisateur, si ce n’est pas encore le feu contenu dans les pyrites et dans les acides, me paraissent aussi précaires que la terre mercurielle et l’eau des métaux ; nous croyons devoir rejeter également tout ce qui n’existe pas comme tout ce qui ne s’entend pas, c’est-à-dire tout ce dont on ne peut avoir une idée nette ; nous tâcherons donc, en faisant l’histoire du mercure, d’en écarter les fables autant que les chimères.

Considérant d’abord le mercure tel que la nature nous l’offre, nous voyons qu’il ne se trouve que dans les couches de la terre formées par le dépôt des eaux ; qu’il n’occupe pas, comme les métaux, les fentes perpendiculaires de la roche du globe, qu’il ne gît pas dans le quartz, et n’en est même jamais accompagné, qu’il n’est point mêlé dans les minerais des autres métaux ; que sa mine, à laquelle on donne le nom de cinabre, n’est point un vrai minerai, mais un composé, par simple juxtaposition, de soufre et de mercure réunis, qui ne se trouve que dans les montagnes à couches, et jamais dans les montagnes primitives ; que par conséquent la formation de ces mines de mercure est postérieure à celle des mines primordiales des métaux, puisqu’elle suppose le soufre déjà formé par la décomposition des pyrites ; nous verrons de plus que ce n’est que très rarement que le mercure se présente dans un état coulant, et que, quoiqu’il ait moins d’affinité que la plupart des métaux avec le soufre, il ne s’est néanmoins incorporé qu’avec les pierres ou les terres qui en sont surchargées ; que jamais il ne leur est assez intimement uni pour n’en pas être aisément séparé, qu’il n’est même entré dans ces terres sulfureuses que par une sorte d’imbibition, comme l’eau entre dans les autres terres, et qu’il a dû les pénétrer toutes les fois qu’il s’est trouvé réduit en vapeurs ; qu’enfin il ne se trouve qu’en quelques endroits particuliers, où le soufre s’est lui-même trouvé en grande quantité, et réduit en foie de soufre par des alcalis ou des terres calcaires, qui lui ont donné l’affinité nécessaire à son union avec le mercure : il ne se trouve, en effet, en quantité sensible que dans ces seuls endroits ; partout ailleurs, il n’est que disséminé en particules si ténues qu’on ne peut les rassembler, ni même les apercevoir que dans quelques circonstances particulières. Tout cela peut se démontrer en comparant attentivement les observations et les faits, et nous allons en donner les preuves dans le même ordre que nous venons de présenter ces assertions.

Des trois grandes mines de mercure, et dont chacune suffirait seule aux besoins de tout l’univers, deux sont en Europe et une en Amérique ; toutes trois se présentent sous la forme solide de cinabre : la première de ces mines est celle d’Idria dans la Carniole[2] ; elle est dans une ardoise noire surmontée de rochers calcaires ; la seconde est celle d’Almaden, en Espagne[3], dont les veines sont des bancs de grès[4] ; la troisième est celle de Guanca-Velica, petite ville à soixante lieues de Pisco, au Pérou[5]. Les veines du cinabre y sont ou dans une argile durcie et blanchâtre, ou dans de la pierre dure. Ainsi ces trois mines de mercure gisent également dans des ardoises ou des grès, c’est-à-dire dans des collines ou montagnes à couches, formées par le dépôt des eaux, et toutes trois sont si abondantes en cinabre qu’il semble que tout le mercure du globe y soit accumulé[6] ; car les petites mines de ce minéral que l’on a découvertes en quelques autres endroits ne peuvent leur être comparées ni pour l’étendue, ni pour la quantité de la matière, et nous n’en ferons ici mention que pour démontrer qu’elles se trouvent toutes dans des couches déposées par les eaux de la mer, et jamais dans les montagnes de quartz ou dans des rochers vitreux, qui ont été formés par le feu primitif.

En France, on reconnut en 1739, à deux lieues de Bourbonne-les-Bains, deux espèces de terre qui rendirent une trois centième partie de leur poids en mercure ; elles gisaient à quinze ou seize pieds de profondeur sur une couche de terre glaise[7]. À cinq lieues de Bordeaux, près de Langon, il y a une fontaine au fond de laquelle on trouve assez souvent du mercure coulant[8] ; en Normandie, au village de La Chapelle, élection de Saint-Lô, il y a eu quelques travaux commencés pour exploiter une mine de mercure, mais le produit n’était pas équivalent à la dépense, et cette mine a été abandonnée[9] ; enfin, dans quelques endroits du Languedoc, particulièrement à Montpellier, on a vu du mercure dans l’argile à de petites profondeurs, et même à la surface de la terre[10].

En Allemagne, il se trouve quelques mines de mercure dans les terres du Palatinat et du duché de Deux-Ponts[11] ; et, en Hongrie, les mines de Cinabre, ainsi que celles d’Almaden en Espagne, sont souvent accompagnées de mine de fer en rouille, et quelquefois le fer, le mercure et le soufre y sont tellement mêlés qu’ils ne font qu’un même corps[12].

Cette mine d’Almaden est si riche qu’elle a fait négliger toutes les autres mines de mercure en Espagne ; cependant on en a reconnu quelques-unes près d’Alicante et de Valence[13] ; on a aussi exploité une mine de ce minéral en Italie, à six milles de la Valle imperina, près de Feltrino, mais cette mine est actuellement abandonnée[14] ; on voit de même des indices de mines de mercure en quelques endroits de la Pologne[15].

En Asie, les voyageurs ne font mention de mines de mercure qu’à la Chine[16] et aux Philippines[17], et ils ne disent pas qu’il y en ait une seule en Afrique ; mais en Amérique, outre la grande et riche mine de Guanca-Velica du Pérou, on en connaît quelques autres ; on en a même exploité une près d’Azoque, dans la province de Quito[18]. Les Péruviens travaillaient depuis longtemps aux mines de cinabre, sans savoir ce que c’était que le mercure : ils n’en connaissaient que la mine dont ils faisaient du vermillon pour se peindre le corps ou faire des images ; ils avaient fait beaucoup de travaux à Guanca-Velica dans cette seule vue[19], et ce ne fut qu’en 1567 que les Espagnols commencèrent à travailler le cinabre pour en tirer le mercure[20]. On voit, par le témoignage de Pline, que les Romains faisaient aussi grand cas du vermillon, et qu’ils tiraient d’Espagne, chaque année, environ dix mille livres de cinabre tel qu’il sort de la mine, et qu’ils le préparaient ensuite à Rome. Théophraste, qui vivait quatre cents ans avant Pline, fait mention du cinabre d’Espagne : ces traits historiques semblent prouver que les mines d’Idria, bien plus voisines de Rome que celles d’Espagne, n’étaient pas encore connues et, de fait, l’Espagne était policée et commerçante, tandis que la Germanie était encore inculte.

On voit, par cette énumération des mines de mercure des différentes parties du monde, que toutes gisent dans les couches de la terre remuée et déposée par les eaux, et qu’aucune ne se trouve dans les montagnes produites par le feu primitif, ni dans les fentes du quartz : on voit de même qu’on ne trouve point de cinabre mêlé avec les mines des autres métaux[21], à l’exception de celles de fer en rouille, qui, comme l’on sait, sont de dernière formation. L’établissement des mines primordiales d’or, d’argent et de cuivre dans la roche quartzeuse est donc bien antérieur à celui des mines de mercure ; et dès lors, n’en doit-on pas conclure que ces métaux, fondus ou sublimés par le feu primitif, n’ont pu saisir ni s’assimiler une matière qui, par sa volatilité, était alors comme l’eau, reléguée dans l’atmosphère ; que dès lors, il n’est pas possible que ces métaux contiennent un seul atome de cette matière volatile et que, par conséquent, on doit renoncer à l’idée d’en tirer le mercure ou le principe mercuriel qui ne peut s’y trouver ? Cette idée du mercure, principe existant dans l’or et l’argent, était fondée sur la grande affinité et l’attraction très forte qui s’exerce entre le mercure et ces métaux ; mais on doit considérer que toute attraction, toute pénétration qui se fait entre un solide et un liquide est généralement proportionnelle à la densité des deux matières, et que celle du mercure étant très grande et ses molécules infiniment petites, il peut aisément pénétrer les pores de ces métaux, et les humecter comme l’eau humecte la terre.

Mais suivons mes assertions : j’ai dit que le cinabre n’était point un vrai minéral, mais un simple composé de mercure saisi par le foie de soufre, et cela me paraît démontré par la composition du cinabre artificiel fait par la voie humide : il ne faut que le comparer avec la mine de mercure pour être convaincu de leur identité de substance. Le cinabre naturel en masse est d’un rouge très foncé ; il est composé d’aiguilles luisantes appliquées longitudinalement les unes sur les autres, ce qui seul suffit pour démontrer la présence réelle du soufre : on en fait en Hollande du tout pareil et en grande quantité ; nous en ignorons la manipulation, mais nos chimistes l’ont à peu près devinée ; ils font du cinabre artificiel par le moyen du feu, en mêlant du mercure au soufre fondu[22], et ils en font aussi par la voie humide, en combinant le mercure avec le foie de soufre[23]. Ce dernier procédé paraît être celui de la nature : le foie de soufre n’étant que le soufre lui-même combiné avec les matières alcalines, c’est-à-dire avec les matières terrestres, à l’exception de celles qui ont toutes été produites par le feu primitif, on peut concevoir aisément que, dans les lieux où le foie de soufre et le mercure se seront trouvés ensemble, comme dans les argiles, les grès, les pierres calcaires, les terres limoneuses et autres matières formées par le dépôt des eaux, la combinaison du mercure, du soufre et de l’alcali se sera faite, et le cinabre aura été produit. Ce n’est pas que la nature n’ait pu former aussi, dans certaines circonstances, du cinabre par le feu des volcans ; mais, en comparant les deux procédés par lesquels nous avons su l’imiter dans cette production du cinabre, on voit que celui de la sublimation par le feu exige un bien plus grand nombre de combinaisons que celui de la simple union du foie de soufre au mercure par la voie humide.

Le mercure n’a par lui-même aucune affinité avec les matières terreuses, et l’union qu’il contracte avec elles par le moyen du foie de soufre, quoique permanente, n’est point intime ; car on les retire aisément des masses les plus dures de cinabre en les exposant au feu[24]. Ce n’est donc que par des accidents particuliers, et notamment par l’action des feux souterrains, que le mercure peut se séparer de sa mine, et c’est par cette raison qu’on le trouve si rarement dans son état coulant. Il n’est donc entré dans les matières terreuses que par imbibition, comme tout autre liquide, et il s’y est uni au moyen de la combinaison de leurs alcalis avec le soufre ; et cette imbibition ou humectation paraît bien démontrée, puisqu’il suffit de faire chauffer le cinabre pour le dessécher[25], c’est-à-dire pour enlever le mercure, qui dès lors s’exhale en vapeurs, comme l’eau s’exhale par le dessèchement des terres humectées.

Le mercure a beaucoup moins d’affinité que la plupart des métaux avec le soufre, et il ne s’unit ordinairement avec lui que par l’intermède des terres alcalines : c’est par cette raison qu’on ne le trouve dans aucune mine pyriteuse, ni dans les minerais d’aucun métal, non plus que dans le quartz et autres matières vitreuses produites par le feu primitif ; car les alcalis ni le soufre n’existaient pas encore dans le temps de la formation des matières vitreuses ; et, quoique les pyrites, étant d’une formation postérieure, contiennent déjà les principes du soufre, c’est-à-dire l’acide et la substance du feu, ce soufre n’était ni développé ni formé, et ne pouvait, par conséquent, se réunir à l’alcali, qui lui-même n’a été produit qu’après la formation des pyrites, ou tout au plus tôt en même temps.

Enfin, quoiqu’on ait vu, par l’énumération que nous avons faite de toutes les mines connues, que le mercure ne se trouve en grande quantité que dans quelques endroits particuliers où le soufre tout formé s’est trouvé réuni aux terres alcalines, il n’en faut cependant pas conclure que ces seuls endroits contiennent toute la quantité de mercure existante ; on peut, et même on doit croire, au contraire, qu’il y en a beaucoup à la surface et dans les premières couches de la terre, mais que ce minéral fluide étant, par sa nature, susceptible d’une division presque infinie, il s’est disséminé en molécules si ténues qu’elles échappent à nos yeux et même à toutes les recherches de notre art, à moins que par hasard, comme dans les exemples que nous avons cités, ces molécules ne se trouvent en assez grand nombre pour pouvoir les recueillir ou les réunir par la sublimation. Quelques auteurs ont avancé qu’on a tiré du mercure coulant des racines d’une certaine plante semblable au doronic[26], qu’à la Chine on en tirait du pourpier sauvage[27] ; je ne veux pas garantir ces faits, mais il ne me paraît pas impossible que le mercure disséminé en molécules très petites soit pompé avec la sève par les plantes, puisque nous savons qu’elles pompent les particules du fer contenu dans la terre végétale.

En faisant subir au cinabre l’action du feu dans des vaisseaux clos, il se sublimera sans changer de nature, c’est-à-dire sans se décomposer ; mais en l’exposant au même degré de feu dans des vaisseaux ouverts, le soufre du cinabre se brûle, le mercure se volatilise et se perd dans les airs ; on est donc obligé, pour le retenir, de le sublimer en vaisseaux clos, et afin de le séparer du soufre, qui se sublime en même temps, on mêle, avec le cinabre réduit en poudre, de la limaille de fer[28] ; ce métal, ayant beaucoup plus d’affinité que le mercure avec le soufre, s’en empare à mesure que le feu le dégage, et par cet intermède le mercure s’élève seul en vapeurs qu’il est aisé de recueillir en petites gouttes coulantes dans un récipient à demi plein d’eau. Lorsqu’on ne veut que s’assurer si une terre contient du mercure ou n’en contient pas, il suffit de mêler de la poudre de cette terre avec de la limaille de fer sur une brique que l’on couvre d’un vase de verre et de mettre du feu sous cette brique : si la terre contient du mercure, on le verra s’élever en vapeurs qui se condenseront, au haut du vase, en petites gouttes de mercure coulant.

Après avoir considéré le mercure dans sa mine, où il fait partie du solide de la masse il faut maintenant l’examiner dans son état fluide. Il a le brillant métallique peut-être plus qu’aucun autre métal, la même couleur ou plutôt le même blanc que l’argent ; sa densité est entre celle du plomb et celle de l’or ; il ne perd qu’un quatorzième de son poids dans une eau dont le pied cube est supposé peser soixante-douze livres, et par conséquent le pied cube de mercure pèse mille huit livres. Les éléments humides ne font sur le mercure aucune impression sensible ; sa surface même ne se ternit à l’air que par la poussière qui la couvre, et qu’il est aisé d’en séparer par un simple et léger frottement ; il paraît se charger de même de l’humidité répandue dans l’air ; mais, en l’essuyant, sa surface reprend son premier brillant.

On a donné le nom de mercure vierge à celui qui est le plus pur et le plus coulant, et qui se trouve quelquefois dans le sein de la terre, après s’être écoulé de sa mine par la seule commotion ou par un simple mouvement d’agitation, sans le secours du feu ; celui que l’on obtient par la sublimation est moins pur, et l’on pourra reconnaître sa grande pureté à un effet très remarquable : c’est qu’en le secouant dans un tuyau de verre, son frottement produit alors une lumière sensible et semblable à l’éclair électrique ; l’électricité est, en effet, la cause de cette apparence lumineuse.

Le mercure répandu sur la surface polie de toute matière avec laquelle il n’a point d’affinité forme, comme tous les autres liquides, de petites gouttes globuleuses par la seule force de l’attraction mutuelle de ses parties : les gouttes du mercure se forment non seulement avec plus de promptitude, mais en plus petites masses, parce qu’étant douze ou quinze fois plus dense que les autres liquides, sa force d’attraction est bien plus grande et produit des effets plus apparents.

Il ne paraît pas qu’une chaleur modérée, quoique très longtemps appliquée, change rien à l’état du mercure coulant[29] ; mais, lorsqu’on lui donne un degré de chaleur beaucoup plus fort que celui de l’eau bouillante, l’attraction réciproque de ses parties n’est plus assez forte pour les tenir réunies ; elles se séparent et se volatilisent, sans néanmoins changer d’essence ni même s’altérer ; elles sont seulement divisées et lancées par la force de la chaleur : on peut les recueillir en arrêtant cet effet par la condensation, et elles se représentent alors sous la même forme et telles qu’elles étaient auparavant.

Quoique la surface du mercure se charge des poussières de l’air et même des vapeurs de l’eau qui flottent dans l’atmosphère, il n’a aucune affinité avec l’eau, et il n’en prend avec l’air que par le feu de calcination : l’air s’attache alors à sa surface et se fixe entre ses pores, sans s’unir bien intimement avec lui et même sans se corrompre ni s’altérer ; ce qui semble prouver qu’il n’y a que peu ou point de feu fixe dans le mercure, et qu’il ne peut en recevoir à cause de l’humidité qui fait partie de sa substance, et même l’on ne peut y attacher l’air qu’au moyen d’un feu assez fort et soutenu pendant plusieurs mois : le mercure, par cette très longue digestion dans des vaisseaux qui ne sont pas exactement clos, prend peu à peu la forme d’une espèce de chaux[30], qui néanmoins est différente des chaux métalliques ; car, quoiqu’elle en ait l’apparence, ce n’est cependant que du mercure chargé d’air pur, et diffère des autres chaux métalliques en ce qu’elle se revivifie d’elle-même et sans addition d’aucune matière inflammable ou autre qui ait plus d’affinité avec l’air qu’il n’en a avec le mercure : il suffit de mettre cette prétendue chaux dans un vaisseau bien clos, et de la chauffer à un feu violent pour qu’en se volatilisant le mercure abandonne l’air avec lequel il n’était uni que par la force d’une longue contrainte, et sans intimité, puisque l’air qu’on en retire est pur, et n’a contracté aucune des qualités du mercure ; que d’ailleurs, en pesant cette chaux, on voit qu’elle rend par sa réduction la même quantité, c’est-à-dire autant d’air qu’elle en avait saisi ; mais, lorsqu’on réduit les autres chaux métalliques, c’est l’air que l’on emporte en lui offrant des matières inflammables, au lieu que, dans celles-ci, c’est le mercure qui est emporté et séparé de l’air par sa seule volatilité[31].

Cette union de l’air avec le mercure n’est donc que superficielle ; et, quoique celle du soufre avec le mercure dans le cinabre ne soit pas bien intime, cependant elle est beaucoup plus forte et plus profonde ; car, en mettant le cinabre en vaisseaux clos comme la chaux de mercure, le cinabre ne se décompose pas, il se sublime sans changer de nature et sans que le mercure se sépare, au lieu que, par le même procédé, sa chaux se décompose et le mercure quitte l’air.

Le foie de soufre paraît être la matière avec laquelle le mercure a le plus de tendance à s’unir, puisque, dans le sein de la terre, le mercure ne se présente que sous la forme de cinabre : le soufre seul, et sans mélange de matières alcalines, n’agit pas aussi puissamment sur le mercure ; il s’y mêle à peu près comme les graisses lorsqu’on les triture ensemble, et ce mélange, où le mercure disparaît, n’est qu’une poudre pesante et noire à laquelle les chimistes ont donné le nom d’éthiops minéral[32] ; mais, malgré ce changement de couleur et malgré l’apparence d’une union assez intime entre le mercure et le soufre dans ce mélange, il est encore vrai que ce n’est qu’une union de contact et très superficielle ; car il est aisé d’en retirer sans perte, et précisément, la même quantité de mercure sans la moindre altération ; et, comme nous avons vu qu’il en est de même lorsqu’on revivifie le mercure du cinabre, il paraît démontré que le soufre, qui altère la plupart des métaux ne cause aucun changement intérieur dans la substance du mercure.

Au reste, lorsque le mercure, par le moyen du feu et par l’addition de l’air, prend la forme d’une chaux ou d’une terre en poudre, cette poudre est d’abord noire, et devient ensuite d’un beau rouge en continuant le feu : elle offre même quelquefois de petits cristaux transparents et d’un rouge de rubis.

Comme la densité du mercure est très grande, et qu’en même temps ses parties constituantes sont presque infiniment petites, il peut s’appliquer mieux qu’aucun autre liquide aux surfaces de tous les corps polis. La force de son union, par simple contact, avec une glace de miroir, a été mesurée par un de nos plus savants physiciens[33], et s’est trouvée beaucoup plus forte qu’on ne pourrait l’imaginer : cette expérience prouve encore, comme je l’ai dit à l’article de l’étain, qu’il y a, entre la feuille d’étain et la glace, une couche de mercure pur, vif et sans mélange d’aucune partie d’étain, et que cette couche de mercure coulant n’est adhérente à la glace que par simple contact.

Le mercure ne s’unit donc pas plus avec le verre qu’avec aucune autre matière terreuse ; mais il s’amalgame avec la plupart des substances métalliques ; cette union par amalgame est une humectation qui se fait souvent à froid et sans produire de chaleur ni d’effervescence, comme cela arrive dans les dissolutions ; c’est une opération moyenne entre l’alliage et la dissolution ; car la première suppose que les deux matières sont liquéfiées par le feu, et la seconde ne se fait que par la fusion ou la calcination du métal par le feu contenu dans le dissolvant, ce qui produit toujours de la chaleur ; mais, dans les amalgames, il n’y a qu’humectation et point de fusion ni de dissolution : et même un de nos plus habiles chimistes[34] a observé que non seulement les amalgames se font sans produire de chaleur, mais qu’au contraire ils produisent un froid sensible qu’on peut mesurer en y plongeant un thermomètre.

On objectera peut-être qu’il se produit du froid pendant l’union de l’alcali minéral avec l’acide nitreux, du sel ammoniac avec l’eau, de la neige avec l’eau, et que toutes ces unions sont bien de vraies dissolutions ; mais cela même prouve qu’il ne se produit du froid que quand la dissolution commence par l’humectation ; car la vraie cause de ce froid est l’évaporation de la chaleur de l’eau ou des liqueurs en général, qui ne peuvent mouiller sans s’évaporer en partie.

L’or s’amalgame avec le mercure par le simple contact : il le reçoit à sa surface, le retient dans ses pores, et ne peut en être séparé que par le moyen du feu. Le mercure colore en entier les molécules de l’or ; leur couleur jaune disparaît, l’amalgame est d’un gris tirant sur le brun si le mercure est saturé. Tous ces effets proviennent de l’attraction de l’or qui est plus forte que celle des parties du mercure entre elles, et qui par conséquent les sépare les unes des autres, et les divise assez pour qu’elles puissent entrer dans les pores et humecter la substance de l’or ; car en jetant une pièce de ce métal dans du mercure, il en pénétrera toute la masse avec le temps, et perdra précisément en quantité ce que l’or aura gagné, c’est-à-dire ce qu’il aura saisi par l’amalgame. L’or est donc de tous les métaux celui qui a la plus grande affinité avec le mercure, et on a employé très utilement le moyen de l’amalgame pour séparer ce métal précieux de toutes les matières étrangères avec lesquelles il se trouve mêlé dans ses mines : au reste, pour amalgamer promptement l’or ou d’autres métaux, il faut les réduire en feuilles minces ou en poudre, et les mêler avec le mercure par la trituration.

L’argent s’unit aussi avec le mercure par le simple contact, mais il ne le retient pas aussi puissamment que l’or, leur union est moins intime ; et, comme la couleur de l’argent est à peu près la même que celle du mercure, sa surface devient seulement plus brillante lorsqu’elle en est humectée : c’est ce beau blanc brillant qui a fait donner au mercure le nom de vif-argent.

Cette grande affinité du mercure avec l’or et l’argent semblerait indiquer qu’il doit se trouver dans le sein de la terre des amalgames naturels de ces métaux ; cependant, depuis qu’on recherche et recueille des minéraux, à peine a-t-on un exemple d’or natif amalgamé, et l’on ne connaît en argent que quelques morceaux tirés des mines d’Allemagne, qui contiennent une quantité assez considérable de mercure pour être regardés comme de vrais amalgames[35] : il est aisé de concevoir que cette rareté des amalgames naturels vient de la rareté même du mercure dans son état coulant, et ce n’est pour ainsi dire qu’entre nos mains qu’il est dans cet état, au lieu que dans celles de la nature il est en masse solide de cinabre, et dans des endroits particuliers très différents, très éloignés de ceux où se trouvent l’or et l’argent primitifs, puisque ce n’est que dans les fentes du quartz et dans les montagnes produites par le feu que gisent ces métaux de première formation, tandis que c’est dans les couches formées par le dépôt des eaux que se trouve le mercure.

L’or et l’argent sont les seules matières qui s’amalgament à froid avec le mercure ; il ne peut pénétrer les autres substances métalliques qu’au moyen de leur fusion par le feu, il s’amalgame aussi très bien par ce même moyen avec l’or et l’argent : l’ordre de la facilité de ces amalgames est l’or, l’argent, l’étain, le plomb, le bismuth, le zinc et l’arsenic ; mais il refuse de s’unir et de s’amalgamer avec le fer, ainsi qu’avec les régules d’antimoine et de cobalt. Dans ces amalgames qui ne se font que par la fusion, il faut chauffer le mercure jusqu’au degré où il commence à s’élever en vapeurs, et en même temps faire rougir au feu la poudre des métaux qu’on veut amalgamer pour la triturer avec le mercure chaud. Les métaux qui, comme l’étain et le plomb, se fondent avant de rougir, s’amalgament plus aisément et plus promptement que les autres ; car ils se mêlent avec le mercure qu’on projette dans leur fonte, et il ne faut que la remuer légèrement pour que le mercure s’attache à toutes leurs parties métalliques. Quant à l’or, l’argent et le cuivre, ce n’est qu’avec leurs poudres rougies au feu que l’on peut amalgamer le mercure ; car, si l’on en versait sur ces métaux fondus, leur chaleur trop forte, dans cet état de fusion, non seulement le sublimerait en vapeurs, mais produirait des explosions dangereuses.

Autant l’amalgame de l’or et de l’argent se fait aisément, soit à chaud, soit à froid, autant l’amalgame du cuivre est difficile et lent : la manière la plus sûre et la moins longue de faire cet amalgame est de tremper des lames de cuivre dans la dissolution du mercure par l’acide nitreux ; le mercure dissous s’attache au cuivre et en blanchit les lames. Cette union du mercure et du cuivre ne se fait donc que par le moyen de l’acide, comme celle du mercure et du soufre se fait par le moyen de l’alcali.

On peut verser du mercure dans du plomb fondu, sans qu’il y ait explosion, parce que la chaleur qui tient le plomb en fusion est fort au-dessous de celle qui est nécessaire pour y tenir l’or et l’argent : aussi l’amalgame se fait très aisément avec le plomb fondu[36] ; il en est de même de l’étain ; mais il peut aussi se faire à froid avec ces deux métaux, en les réduisant en poudre et les triturant longtemps avec le mercure ; c’est avec cet amalgame de plomb qu’on lute les bocaux ou vases de verre, dans lesquels on conserve les animaux dans l’esprit-de-vin.

L’amalgame avec l’étain est d’un très grand et très agréable usage pour l’étamage des glaces : ainsi des six métaux il y en a quatre, l’or, l’argent, le plomb et l’étain, avec lesquels le mercure s’amalgame naturellement, soit à chaud, soit à froid ; il ne se joint au cuivre que par intermède ; enfin il refuse absolument de s’unir au fer ; et nous allons trouver les mêmes différences dans les demi-métaux.

Le bismuth et le mercure s’unissent à froid en les triturant ensemble ; ils s’amalgament encore mieux lorsque le bismuth est en fusion, et ils forment des cristaux noirs assez réguliers, et qui ont peu d’adhérence entre eux ; mais cette cristallisation du bismuth n’est pas un effet qui lui soit propre et particulier ; car l’on est également parvenu à obtenir par le mercure une cristallisation de tous les métaux avec lesquels il peut s’unir[37].

Lorsqu’on mêle le mercure avec le zinc en fusion, il se fait un bruit de grésillement, semblable à celui de l’huile bouillante dans laquelle on trempe un corps froid ; cet amalgame prend d’abord une sorte de solidité, et redevient fluide par la simple trituration ; le même effet arrive lorsqu’on verse du mercure dans de l’huile bouillante, il y prend même une solidité plus durable que dans le zinc fondu. Néanmoins cette union du zinc et du mercure paraît être un véritable amalgame ; car l’un de nos plus savants chimistes, M. Sage, a reconnu qu’il se cristallise comme les autres amalgames, et, d’ailleurs, le mercure semble dissoudre à froid quelque portion du zinc : cependant cette union du zinc et du mercure paraît être incomplète ; car il faut agiter le bain qui est toujours gluant et pâteux.

On ne peut pas dire non plus qu’il se fasse un amalgame direct, et sans intermède, entre le mercure et le régule d’arsenic, lors même qu’il est en fusion ; enfin le mercure ne peut s’amalgamer d’aucune manière avec l’antimoine et le cobalt : ainsi, de tous les demi-métaux, le bismuth est le seul avec lequel le mercure s’amalgame naturellement ; et qui sait si cette résistance à s’unir avec ces substances métalliques, et la facilité de s’amalgamer avec d’autres, et particulièrement avec l’or et l’argent, ne provient pas de quelques qualités communes dans leur tissu, qui leur permet de s’humecter de cette eau métallique, laquelle a tant de rapport avec eux par sa densité ?

Quoi qu’il en soit, on voit, par ces différentes combinaisons du mercure avec les matières métalliques, qu’il n’a réellement d’affinité bien sensible qu’avec l’or et l’argent, et que ce n’est pour ainsi dire que par force, et par des affinités préparées par le feu, qu’il se joint aux autres métaux, et que même il s’unit plus facilement et plus intimement avec les substances animales et végétales qu’avec toutes les matières minérales, à l’exception de l’or et de l’argent.

Au reste, ce n’est point un amalgame, mais un onguent que forme le mercure mêlé par la trituration avec les huiles végétales et les graisses animales ; elles agissent sur le mercure comme le foie de soufre, elles le divisent en particules presque infiniment petites, et par cette division extrême, cette matière si dense pénètre tous les pores des corps organisés, surtout ceux où elle se trouve aidée de la chaleur, comme dans le corps des animaux sur lequel elle produit des effets salutaires ou funestes, selon qu’elle est administrée. Cette union des graisses avec le mercure paraît même être plus intime que celle de l’amalgame qui se fait à froid avec l’or et l’argent[38], parce que deux fluides qui ont ensemble quelque affinité se mêleront toujours plus aisément qu’un solide avec un fluide, quand même il y aurait entre eux une forte attraction : ainsi les graisses agissent peut-être plus puissamment que ces métaux sur la substance du mercure, parce qu’en se rancissant elles saisissent l’acide aérien, qui doit agir sur le mercure ; et la preuve en est qu’on peut le retirer sans aucune perte de tous les amalgames, au lieu qu’en fondant la graisse on ne le retire pas en entier, surtout si l’onguent a été gardé assez longtemps pour que la graisse ait exercé toute son action sur le mercure[39].

Considérant maintenant les effets des dissolvants sur le mercure, nous verrons que les acides ne le dissolvent pas également comme ils dissolvent les métaux, puisque le plus puissant de tous, l’acide vitriolique, ne l’attaque qu’au moyen d’une forte chaleur[40] ; il en est à peu près de même de l’acide marin : pour qu’il s’unisse intimement avec le mercure, il faut que l’un et l’autre soient réduits en vapeurs, et de leur combinaison résulte un sel d’une qualité très funeste, qu’on a nommé sublimé corrosif ; dans cet état forcé, le mercure ne laisse pas de conserver une si grande attraction avec lui-même, qu’il peut se surcharger des trois quarts de son poids de mercure nouveau[41] ; et c’est en chargeant ainsi le sublimé corrosif de nouveau mercure, qu’on en diminue la qualité corrosive, et qu’on en fait une préparation salutaire, qu’on appelle mercure doux, qui contient en effet si peu de sel marin qu’il n’est pas dissoluble dans l’eau ; on peut donc dire que le mercure oppose une grande résistance à l’action de l’acide vitriolique et de l’acide marin ; mais l’acide nitreux le dissout avec autant de promptitude que d’énergie : lorsque cet acide est pur, il a la puissance de le dissoudre sans le secours de la chaleur ; cette dissolution produit un sel blanc qui peut se cristalliser, et qui est corrosif comme celui de la dissolution d’argent par cet acide[42]. Dans cette dissolution, le mercure est en partie calciné ; car, après la formation des cristaux, il se précipite en poudre d’un jaune citrin qu’on peut regarder comme une chaux de mercure. Au reste, l’acide nitreux, qui dissout si puissamment le mercure coulant, n’attaque point le cinabre, parce que le mercure y est défendu par le soufre qui l’enveloppe, et sur lequel cet acide n’a point d’action. Cette différence entre le mercure et le soufre semble indiquer qu’autant le soufre contient de feu fixe, autant le mercure en est privé, et cela confirme l’idée que l’essence du mercure tient plus à l’élément de l’eau qu’à celui du feu.

Des acides végétaux, celui du tartre est le seul qui agisse sensiblement sur le mercure ; le vinaigre ne l’attaque pas dans son état coulant, et ne s’unit qu’avec sa chaux ; mais en triturant longtemps la crème de tartre avec le mercure coulant, on vient à bout de les unir en y ajoutant néanmoins un peu d’eau ; on pourrait donc dire qu’aucun acide végétal n’agit directement et sans intermède sur le mercure. Il en est de même des acides qu’on peut tirer des animaux ; ils ne dissolvent ni n’attaquent le mercure, à moins qu’ils ne soient mêlés d’huile ou de graisse, en sorte qu’à tout considérer, il n’y a que l’acide aérien qui agisse à la longue par l’intermède des graisses sur le mercure, et l’acide nitreux qui le dissolve d’une manière directe et sans intermède : car les alcalis fixes ou volatils n’ont aucune action sur le mercure coulant, et ne peuvent se combiner avec lui que quand ils le saisissent en vapeurs ou en dissolutions ; ils le précipitent alors sous la forme d’une poudre ou chaux, mais que l’on peut toujours revivifier sans addition de matière charbonneuse ou inflammable ; on produit cet effet par les seuls rayons du soleil, au foyer d’un verre ardent.

Une preuve particulière de l’impuissance des acides végétaux ou animaux pour dissoudre le mercure, c’est que l’acide des fourmis, au lieu de dissoudre sa chaux, la revivifie ; il ne faut pour cela que les tenir ensemble en digestion[43].

Le mercure n’étant par lui-même ni acide, ni alcalin, ni salin, ne me paraît pas devoir être mis au nombre des dissolvants, quoiqu’il s’attache à la surface et pénètre les pores de l’or, de l’argent et de l’étain : ces trois métaux sont les seules matières auxquelles il s’unit dans son état coulant, et c’est moins une dissolution qu’une humectation ; ce n’est que par addition aux surfaces, et par juxtaposition, et non par pénétration intime et décomposition de la substance de ces métaux qu’il se combine avec eux.

Non seulement tous les alcalis, ainsi que les terres absorbantes, précipitent le mercure de ses dissolutions et le font tomber en poudre noire ou grise, qui prend avec le temps une couleur rouge, mais certaines substances métalliques le précipitent également : le cuivre, l’étain et l’antimoine, ne décomposent pas ces dissolutions ; et ces précipités, tous revivifiés, offrent également du mercure coulant.

On détruit en quelque sorte la fluidité du mercure en l’amalgamant avec les métaux ou en l’unissant avec les graisses ; on peut même lui donner une demi-solidité en le jetant dans l’huile bouillante : il y prend assez de consistance pour qu’on puisse le manier, l’étendre, et en faire des anneaux et d’autres petits ouvrages ; le mercure reste dans cet état de solidité, et ne reprend sa fluidité qu’à l’aide d’une chaleur assez forte.

Il y a donc deux circonstances, bien éloignées l’une de l’autre, dans lesquelles néanmoins le mercure prend également de la solidité, et ne reprend de la fluidité que par l’accession de la chaleur : la première est celle du très grand froid, qui ne lui donne qu’une solidité presque momentanée, et que le moindre degré de diminution de ce froid, c’est-à-dire la plus petite augmentation de chaleur, liquéfie ; la seconde, au contraire, n’est produite que par une très grande chaleur, puisqu’il prend cette solidité dans l’huile bouillante ou dans le zinc en fusion, et qu’il ne peut ensuite se liquéfier que par une chaleur encore plus grande. Quelle conséquence directe peut-on tirer de la comparaison de ces deux mêmes effets dans des circonstances si opposées, sinon que le mercure participant de la nature de l’eau et de celle du métal, il se gèle, comme l’eau, par le froid d’une part, et de l’autre se consolide, comme fait un métal en fusion par la température actuelle, en ne reprenant sa fluidité, comme tout autre métal, que par une forte chaleur ? Néanmoins, cette conséquence n’est peut-être pas la vraie, et il se peut que cette solidité qu’acquiert le mercure dans l’huile bouillante et dans le zinc fondu provienne du changement brusque d’état que la forte chaleur occasionne dans ses parties intégrantes, et peut-être aussi de la combinaison réelle des parties de l’huile ou du zinc qui en font un amalgame solide.

Quoi qu’il en soit, on ne connaît aucun autre moyen de fixer le mercure ; les alchimistes ont fait de vains et immenses travaux pour atteindre ce but : l’homme ne peut transmuer les substances, ni d’un liquide de nature en faire un solide par l’art ; il n’appartient qu’a la nature de changer les essences[44] et de convertir les éléments, et encore faut-il qu’elle soit aidée de l’éternité du temps, qui, réunie à ses hautes puissances, amène toutes les combinaisons possibles et toutes les formes dont la matière peut devenir susceptible.

Il en est à peu près de même des grandes recherches et des longs travaux que l’on a faits pour tirer le mercure des métaux ; nous avons vu qu’il ne peut pas exister dans les mines primordiales formées par le feu primitif ; dès lors, il serait absurde de s’obstiner à le rechercher dans l’or, l’argent et le cuivre primitifs, puisqu’ils ont été produits et fondus par ce feu : il semblerait plus raisonnable d’essayer de le trouver dans les matières dont la formation est contemporaine ou peu antérieure à la sienne ; mais l’idée de ce projet s’évanouit encore lorsqu’on voit que le mercure ne se trouve dans aucune mine métallique, même de seconde formation, et que le seul fer décomposé et réduit en rouille l’accompagne quelquefois dans sa mine où, étant toujours uni au soufre et à l’alcali, ce n’est et ne peut même être que dans les terres grasses et chargées des principes du soufre par la décomposition des pyrites, qu’on pourra se permettre de le chercher avec quelque espérance de succès.

Cependant plusieurs artistes, qui même ne sont pas alchimistes, prétendent avoir tiré du mercure de quelques substances métalliques, car nous ne parlerons pas du prétendu mercure des prétendus philosophes, qu’ils disent être plus pesant, moins volatil, plus pénétrant, plus adhérent aux métaux que le mercure ordinaire, et qui leur sert de base comme fluide ou solide : ce mercure philosophique n’est qu’un être d’opinion, un être dont l’existence n’est fondée que sur l’idée assez spécieuse que le fonds de tous les métaux est une matière commune, une terre que Beccher a nommée terre mercurielle, et que les autres alchimistes ont regardée comme la base des métaux. Or il me paraît qu’en retranchant l’excès de ces idées, et les examinant sans préjugés, elles sont aussi fondées que celles de quelques autres actuellement adoptées dans la chimie : ces êtres d’opinion, dont on fait des principes, portent également sur l’observation de plusieurs qualités communes qu’on voudrait expliquer par un même agent doué d’une propriété générale ; or, comme les métaux ont évidemment plusieurs qualités communes, il n’est pas déraisonnable de chercher quelle peut être la substance active ou passive qui, se trouvant également dans tous les métaux[NdÉ 3], sert de base générale à leurs propriétés communes ; on peut même donner un nom à cet être idéal pour pouvoir en parler et s’entendre sur ses propriétés supposées ; c’est là tout ce qu’on doit se permettre ; le reste est un excès, une source d’erreurs, dont la plus grande est de regarder ces êtres d’opinion comme réellement existants, et de les donner pour des substances matérielles, tandis qu’ils ne représentent que par abstraction des qualités communes de ces substances.

Nous avons présenté, dans nos Suppléments, la grande division des matières qui composent le globe de la terre : la première classe contient la matière vitreuse fondue par le feu ; la seconde, les matières calcaires formées par les eaux ; la troisième, la terre végétale provenant du détriment des végétaux et des animaux ; or, il ne paraît pas que les métaux soient expressément compris dans ces trois classes, car ils n’ont pas été réduits en verre par le feu primitif ; ils tirent encore moins leur origine des substances calcaires ou de la terre végétale. On doit donc les considérer comme faisant une classe à part, et certainement ils sont composés d’une matière plus dense que celle de toutes les autres substances : or, quelle est cette matière si dense ? Est-ce une terre solide, comme leur dureté l’indique ? est-ce un liquide pesant, comme leur affinité avec le mercure semble aussi l’indiquer ? est-ce un composé de solide et de liquide tel que la prétendue terre mercurielle ? ou plutôt n’est-ce pas une matière semblable aux autres matières vitreuses, et qui n’en diffère essentiellement que par sa densité et sa volatilité ? car on peut aussi la réduire en verre. D’ailleurs les métaux, dans leur état de nature primitive, sont mêlés et incorporés dans les matières vitreuses ; ils ont seuls la propriété de donner au verre des couleurs fixes que le feu même ne peut changer : il me paraît donc que les parties les plus denses de la matière terrestre étant douées, relativement à leur volume, d’une plus forte attraction réciproque, elles se sont, par cette raison, séparées des autres et réunies entre elles sous un plus petit volume ; la substance des métaux, prise en général, ne présente donc qu’un seul but à nos recherches, qui serait de trouver, s’il est possible, les moyens d’augmenter la densité de la matière vitreuse, au point d’en faire un métal, ou seulement d’augmenter celle des métaux qu’on appelle imparfaits, autant qu’il serait nécessaire pour leur donner la pesanteur de l’or ; ce but est peut-être placé au delà des limites de la puissance de notre art, mais au moins il n’est pas absolument chimérique, puisque nous avons déjà reconnu une augmentation considérable de pesanteur spécifique dans plusieurs alliages métalliques.

Le chimiste Juncker a prétendu transmuer le cuivre en argent[45], et il a recueilli les procédés par lesquels on a voulu tirer du mercure des métaux ; je suis persuadé qu’il n’en existe dans aucun métal de première formation, non plus que dans aucune mine primordiale, puisque ces métaux et le mercure n’ont pu être produits ensemble. M. Grosse, de l’Académie des sciences, s’est trompé sur le plomb, dont il dit avoir tiré du mercure, car son procédé a été plusieurs fois répété, et toujours sans succès, par les plus habiles chimistes ; mais, quoique le mercure n’existe pas dans les métaux produits par le feu primitif, non plus que dans leurs mines primordiales, il peut se trouver dans les mines métalliques de dernière formation, soit qu’elles aient été produites par le dépôt et la stillation des eaux, ou par le moyen du feu et par la sublimation dans les terrains volcanisés.

Plusieurs auteurs célèbres, et entre autres Beccher et Lancelot, ont écrit qu’ils avaient tiré du mercure de l’antimoine ; quelques-uns même ont avancé que ce demi-métal n’était que du mercure fixé par une vapeur arsenicale. M. de Souhey, ci-devant médecin consultant du roi, a bien voulu me communiquer un procédé par lequel il assure aussi avoir tiré du mercure de l’antimoine[46]. D’autres chimistes disent avoir augmenté la quantité du mercure en traitant le sublimé corrosif avec le cinabre d’antimoine[47] ; d’autres, par des préparations plus combinées, prétendent avoir converti quelques portions d’argent en mercure[48] ; d’autres enfin assurent en avoir tiré de la limaille de fer, ainsi que de la chaux, du cuivre, et même de l’argent et du plomb, à l’aide de l’acide marin[49].

C’est par l’acide marin, et même par les sels qui en contiennent, que le mercure est précipité plus abondamment de ces dissolutions, et ces précipités ne sont point en poudre sèche, mais en mucilage ou gelée blanche, qui a quelque consistance ; c’est une sorte de sel mercuriel, qui néanmoins n’est guère soluble dans l’eau. Les autres précipités du mercure par l’alcali et par les terres absorbantes sont en poudre de couleurs différentes ; tous ces précipités détonent avec le soufre, et M. Bayen a reconnu qu’ils retiennent tous quelques portions de l’acide dissolvant et des substances qui ont servi à la précipitation.

On connaît, en médecine, les grands effets du mercure mêlé avec les graisses dans lesquelles néanmoins on le croirait éteint : il suffit de se frotter la peau de cette pommade mercurielle pour que ce fluide si pesant soit saisi par intussusception et entraîné dans toutes les parties intérieures du corps, qu’il pénètre intimement, et sur lesquelles il exerce une action violente qui se porte particulièrement aux glandes et se manifeste par la salivation. Le mercure, dans cet état de pommade ou d’union avec la graisse, a donc une très grande affinité avec les substances vivantes, et son action paraît cesser avec la vie ; elle dépend, d’une part, de la chaleur et du mouvement des fluides du corps, et, d’autre part, de l’extrême division de ses parties, qui, quoique très pesantes en elles-mêmes, peuvent, dans cet état de petitesse extrême, nager avec le sang, et même y surnager, comme il surnage les acides dans sa dissolution en formant une pellicule au-dessus de la liqueur dissolvante. Je ne vois donc pas qu’il soit nécessaire de supposer au mercure un état salin pour rendre raison de ses effets dans les corps animés, puisque son extrême division suffit pour les produire, sans addition d’aucune autre matière étrangère que celle de la graisse qui en a divisé les parties et leur a communiqué son affinité avec les substances animales ; car le mercure en masse coulante, et même en cinabre, appliqué sur le corps ou pris intérieurement, ne produit aucun effet sensible, et ne devient nuisible que quand il est réduit en vapeurs par le feu ou divisé en particules infiniment petites par les substances qui, comme les graisses, peuvent rompre les liens de l’attraction réciproque de ses parties.


Notes de Buffon
  1. La pesanteur spécifique de l’or à 24 carats est de 192 581, et celle du plomb de 113 523. La pesanteur spécifique du mercure coulant est de 135 681, et celle du cinabre d’Almaden est de 102 185. Voyez les Tables de M. Brisson.
  2. Idria est une petite ville située dans la Carniole, dans un vallon très profond, sur les deux bords de la rivière d’Idria, dont elle porte le nom ; elle est entourée de hautes montagnes de pierres calcaires qui portent sur un schiste ou ardoise noire, dans les couches duquel sont les travaux des fameuses mines de mercure ; l’épaisseur de ce schiste pénétré de mercure et de cinabre est d’environ vingt toises d’Idria, et sa largeur ou étendue est de deux jusqu’à trois cents toises : cette riche couche d’ardoise varie soit en s’inclinant, soit en se replaçant horizontalement, souvent même à contresens. La profondeur des principaux puits est de cent onze toises. Voyez la Description des mines d’Idria, par M. Ferber, publiée en 1774.
  3. Almaden est un bourg de la province de la Manche, qui est environné, du côté du midi, de plusieurs montagnes dépendantes de la Sierra-Morena ou montagne Noire. Ce bourg est situé au sommet d’une montagne, sur le penchant et au pied de laquelle, du côté du midi, il y a cinq ouvertures différentes qui conduisent par des chemins souterrains aux endroits d’où se tire le cinabre. On ne voit point au dehors de cette mine ni de ces terres qui caractérisent par quelque couleur extraordinaire le minéral que l’on trouve dans son sein, ni de ces décombrements qui rendent ordinairement leur entrée difficile ou qui exhalent quelque odeur sensible… On tire la mine en gros quartiers massifs, et ce sont des forçats qui sont condamnés à ce travail et qui sont emprisonnés dans une enceinte qui environne l’un des puits de là mine… Les veines, qui paraissent au fond de l’endroit où les mineurs travaillent, sont de trois sortes. La plus commune est de pure roche de couleur grisâtre à l’extérieur et mêlée dans son intérieur de nuances rouges, blanches et cristallines. Cette première veine en contient une seconde dont la couleur approche de celle du minium.

    La troisième est d’une substance compacte, très pesante, dure et grenue comme celle du grès, et d’un rouge mat de brique, parsemée d’une infinité de petits brillants argentins.

    Parmi ces trois sortes de veines, qui sont les seules utiles, se trouvent différentes autres pierres de couleur grisâtre et ardoisée, et deux sortes de terres grasses et onctueuses, blanches et grises que l’on rejette. Extrait du Mémoire de M. de Jussieu, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1719, p. 350 et suiv.

  4. La ville d’Almaden est composée de plus de trois cents maisons, avec l’église, bâtie sur le cinabre… La mine est dans une montagne dont le sommet est une roche nue sur laquelle on aperçoit quelques petites taches de cinabre… Dans le reste de la montagne on trouve quelques petites veines d’ardoise avec des veines de fer, lesquelles, à la superficie, suivent la direction de la colline… Deux veines traversent la colline en longueur ; elles ont depuis deux jusqu’à quatorze pieds de large. En certains endroits il en sort des rameaux qui prennent une direction différente… La pierre de ces veines est la même que celle du reste de la colline, qui est du grès semblable à celui de Fontainebleau ; elle sert de matrice au cinabre, qui est plus ou moins abondant, selon que le grain est plus ou moins fin ; quelques-uns de ces morceaux de la même veine renferment jusqu’à dix onces de vif argent par livre et d’autres n’en contiennent que trois…

    La hauteur de cette colline d’Almaden est d’environ cent vingt pieds… les énormes morceaux de rochers de grès qui composent l’intérieur de la montagne sont divisés par des fentes verticales… Deux veines de ces rochers, plus ou moins pourvues de cinabre, coupent la colline presque verticalement, lesquelles, comme nous l’avons dit, ont depuis trois jusqu’à quatorze pieds de largeur ; ces deux veines se réunissent en s’éloignant jusqu’à cent pieds, et c’est de là qu’on a tiré la plus riche et la plus grande quantité du minéral. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 5 jusqu’à 29.

  5. Guanca-Velica est une petite ville d’environ cent familles, éloignée de Pisco de soixante lieues ; elle est fameuse par une mine de vif-argent, qui seule fournit tous les moulins d’or et d’argent du Pérou… Lorsqu’on en a tiré une quantité suffisante, le roi fait fermer la mine.

    La terre qui contient le vif-argent est d’un rouge blanchâtre comme de la brique mal cuite ; on la concasse et on la met dans un fourneau de terre dont le chapiteau est une voûte en cul-de-four, un peu sphéroïde ; on l’étend sur une grille de fer recouverte de terre, sous laquelle on entretient un petit feu avec de l’herbe icho, qui est plus propre à cela que toute autre matière combustible, et c’est pourquoi il est défendu de la couper à vingt lieues à la ronde ; la chaleur de ce feu volatilise le vif-argent en fumée et, au moyen d’un réfrigérant, on le fait tomber dans l’eau. Frézier, Voyage à la mer du Sud, p. 164 et 165… Ces mines de Guanca-Velica sont abondantes et en grand nombre ; mais, sur toutes ces mines, celle qu’on appelle d’Amador de Cabrera, autrement des Saints, est belle et remarquable ; c’est une roche de pierre très dure, toute semée de vif-argent et de telle grandeur qu’elle s’étend à plus de quatre-vingts vares de longueur et quarante en largeur, en laquelle mine on a fait plusieurs puits et fosses de soixante-dix stades de profondeur… La seule mine de Cabrera est si riche en mercure, qu’on en a estimé la valeur à plus de cinq cent mille ducats. C’est de cette mine de Guanca-Velica qu’on porte le mercure, tant au Mexique qu’au Potosi, pour tirer l’argent des matières qu’on appelait raclures et qu’on rejetait auparavant comme ne valant pas la peine d’être traitées par la fonte. Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes, p. 150 et suiv.

  6. La nature a prodigué les mines de mercure en si grande quantité à Idria, qu’elles pourraient non seulement suffire à la consommation de notre partie du monde, mais encore en pourvoir toute l’Amérique si on le voulait et si on ne diminuait pas l’extraction de la mine pour soutenir le mercure à un certain prix. Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, p. 14… On tire tous les ans de la mine d’Almaden cinq ou six mille quintaux de vif-argent pour le Mexique. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 5 et suiv.
  7. Traité de la fonte des mines de Schlutter, t. Ier, p. 7.
  8. Lettres de M. l’abbé Belley à M. Hellot. Idem, ibid., p. 51.
  9. Idem, ibid., p. 68.
  10. La colline sur laquelle est bâtie la ville de Montpellier renferme du mercure coulant aussi bien que les terres des environs ; il se trouve dans une terre argileuse jaunâtre et quelquefois grise. Histoire naturelle du Languedoc, par M. de Gensane, t. Ier, p. 252. — Depuis le Mas-de-l’Église jusqu’à Oulargues et même jusqu’à Colombières, on trouve une grande quantité d’indices de mines de mercure et on assuré qu’on en voit couler quelquefois d’assez grosses gouttes sur la surface de la terre. La qualité du terroir, au pied de ces montagnes, consiste en roches ardoisées blanchâtres ; elles sont entremêlées de quelques bancs de granit fort talqueux. Idem, t. II, p. 214.
  11. Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, p. 12.
  12. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 5 jusqu’à 29.
  13. À deux lieues de la ville d’Alicante… en une montagne de pierre calcaire… en fouillant du côté du vallon, on trouva une veine de cinabre ; mais, quand je vis cette veine disparaître à cent pieds de profondeur, je fis suspendre l’excavation.

    Dans cette ouverture de la roche on trouva treize onces de sable de belle couleur rouge, qui, par l’essai, rendit plus d’une once de vif-argent par livre. Ce sable, par sa dureté et sa figure angulaire, ressemblait tout à fait à celui de la mer… À la superficie de cette montagne et près d’un banc de plâtre couleur de chair, il y avait des coquilles de mer, de l’ambre minéral et une veine, comme un fil, de cinabre… Je fis creuser au pied d’une montagne, près de la ville de Saint-Philippe en Valence, et à la profondeur de vingt-deux pieds, il se trouve une terre très dure, blanche et calcaire, dans laquelle on aperçoit plusieurs gouttes de vif-argent fluide, et, ayant fait laver cette terre, il en sortit vingt-cinq livres de mercure vierge… Un peu au-dessus de l’endroit où se trouve le mercure, il y a des pétrifications et du plâtre. La ville de Valence est traversée par une bande de craie sans pétrifications, qui, à deux pieds de sa superficie, est remplie de gouttes de vif-argent… Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 34 et suiv.

  14. Lettres sur la minéralogie, par Ferber, p. 48.
  15. Rzaczynski dit, d’après Belius, que la partie des monts Karpathes qui regarde la Pologne renferme du cinabre et peut-être des paillettes d’or… et il dit, d’après Bruckmann, que le comté de Spia renferme aussi du cinabre. M. Guettard, Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 318.
  16. Le tchacha est probablement le cinabre ; le meilleur vient de la province de Houquang ; il est plein de mercure, et l’on assure que d’une livre de cinabre on en tire une demi-livre de mercure coulant… Lorsqu’on laisse ce cinabre à l’air, il ne perd rien de sa couleur et il se vend fort cher. Le Père d’Entrecolles, Lettres édifiantes, vingt-deuxième Recueil, p. 358.
  17. L’île de Panamao, aux Philippines, est presque contiguë à celle de Leyte… elle est montagneuse, arrosée de plusieurs ruisseaux et pleine de mines de soufre et de vif-argent. Gemelli Gareri, Voyage autour du monde, Paris, 1719, t. V, p. 119.
  18. Histoire générale des Voyages, t. XIII, p. 598.
  19. Histoire naturelle des Indes, par Acosta, p. 150.
  20. Histoire philosophique et politique des deux Indes, t. III, p. 235.
  21. On observe que dans les mines de cinabre d’Almaden il n’y a aucun autre métal. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1719, p. 350.
  22. On fait du cinabre artificiel semblable en tout au cinabre naturel… Pour cela on mêle quatre parties de mercure coulant avec une partie de soufre qu’on a fait fondre dans un pot de terre non vernissé ; on agite ce mélange qui s’unit très facilement à l’aide de la chaleur ; le mercure, uni au soufre, devient noirâtre… La force d’affinité s’exerce avec tant de puissance entre ces deux matières, qu’il en résulte une combinaison… On laisse ce mélange brûler pendant une minute ; après quoi on retire la matière, on la pulvérise dans un mortier de marbre et, par cette trituration, elle se réduit en une poudre violette… On fait sublimer cette poudre en la mettant dans un matras à un feu de sable qu’on augmente graduellement jusqu’à ce que le fond du matras soit bien rouge. Le sublimé qu’on obtient par cette opération est en masse aiguillée, de couleur rouge brun, comme l’est le cinabre naturel lorsqu’il n’est pas pulvérisé… Par ce procédé, donné par M. Baumé, on obtient, à la vérité, du cinabre, mais qui n’est pas si beau que celui que l’on fait en Hollande, où il y a des manufactures en grand de cinabre artificiel, mais dont les procédés ne nous sont pas connus au juste. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Cinabre.
  23. On peut aussi faire du cinabre artificiel par la voie humide, en appliquant, soit au mercure seul, soit aux dissolutions de mercure par les acides, mais surtout par l’acide nitreux, les différentes espèces de foie de soufre,… et l’on doit remarquer que ce cinabre, fait par la voie humide, a une couleur rouge vif de feu, infiniment plus éclatante que celle du cinabre qu’on obtient par la sublimation ;… mais cette différence ne vient que de ce que le cinabre sublimé est en masse plus compacte que l’autre, ce qui lui donne une couleur rouge si foncée qu’il paraît rembruni ; mais, en le broyant sur un porphyre en poudre très fine, il prend un rouge vif éclatant… Celui qu’on obtient par la voie humide n’étant point en masse comme le premier, mais en poudre fine, paraît donc plus rouge par cette seule raison. Idem, ibid.
  24. Il est aisé de reconnaître si une pierre contient du mercure : il suffit de la faire chauffer et de la mettre toute rouge sous une cloche de verre, car alors la fumée qu’elle exhalera se convertit en petites gouttelettes de mercure coulant.

    J’ai observé, dit M. de Jussieu, dans les endroits même de la veine la plus riche, que l’on n’y trouve point de mercure coulant et que, s’il en paraît quelquefois, ce n’est qu’un effet de la violence des coups que les mineurs donnent sur le cinabre, qui est une roche dure, ou plus encore de la chaleur de la poudre dont on se sert pour pétarder ces mines. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1719, p. 350 et suiv.

  25. Ceci est exactement vrai pour tout cinabre qui contient une base terreuse capable de retenir le soufre ; cependant on doit excepter le cinabre qui ne serait uniquement composé que de soufre et de mercure, car il se sublimerait plutôt que de se décomposer ; mais ce cinabre sans base terreuse ne se trouve guère dans la nature.
  26. « Selon M. Manfredi, il vient dans la vallée de Lancy, qui est située entre les montagnes de Tunis, une plante semblable au doronic ; on trouve auprès de ses racines du mercure coulant en petits globules ; son suc exprimé à l’air dans une belle nuit fournit autant de mercure qu’il s’est dissipé de suc. » Collection académique, partie étrangère, t. II, p. 93.
  27. Le P. d’Entrecolles rapporte qu’à la Chine on tire du mercure de certaines plantes, et surtout du pourpier sauvage, que même ce mercure est plus pur que celui qu’on tire des mines, et qu’on les distingue à la Chine par deux différents noms. Lettres édifiantes, vingt-deuxième Recueil, p. 457.
  28. Si on met le cinabre sur le feu dans des vaisseaux clos, il se sublime en entier, sans changer de nature. Si on l’expose, au contraire, à l’air libre et sur le même feu, c’est-à-dire dans des vaisseaux ouverts, il se décompose, parce que le soufre se brûle, et alors le mercure se dégage réduit en vapeurs ; mais, comme il s’en produit beaucoup par cette manière, on a trouvé moyen de le séparer du soufre en vaisseaux clos, en offrant au soufre quelque intermède qui ait avec lui plus d’affinité qu’il n’en a avec le mercure… comme l’alcali fixe, la chaux, etc., et même les métaux et demi-métaux, surtout le fer, le cuivre, l’étain, le plomb, l’argent, le bismuth et le régule d’antimoine, qui tous ont plus d’affinité avec le soufre que n’en a le mercure, et de toutes ces substances, c’est le fer qui est la plus commode et la plus usitée pour la décomposition du cinabre en petit. On prend deux parties de cinabre et une partie de limaille de fer non rouillée ; on les mêle bien ensemble ; on met ce mélange dans une cornue qu’on place dans un fourneau à feu nu, ou dans une capsule, au bain de sable, arrangée de manière qu’on puisse donner un feu assez fort ; on ajoute à la cornue un récipient qui contient de l’eau, et on procède à la distillation. Le mercure, dégagé du soufre par l’intermède du fer, s’élève en vapeurs qui passent dans le récipient et s’y condensent, pour la plus grande partie, au fond de l’eau en mercure coulant. Il y a aussi une portion du mercure qui reste très divisée et qui s’arrête à la surface de l’eau, à cause de la finesse de ses parties, sous la forme d’une poudre noirâtre, qu’il faut ramasser exactement pour la mêler avec le mercure en masse, avec lequel elle s’incorpore facilement. Ce mercure, qu’on passe ensuite à travers un linge serré, est très pur… On trouve dans la cornue le soufre du cinabre uni avec le fer, ou l’alcali, ou telle autre matière qu’on aura employée pour le séparer du mercure…

    Trois livres de cinabre, suivant M. Baumé, donnent deux livres deux onces de mercure ; la limaille de fer absorbe douze onces et demie de soufre, et il y a perte d’une once et demie. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Cinabre.

  29. Boërhaave a soumis dix-huit onces de mercure à cinq cents distillations de suite, et n’y a remarqué, après cette longue épreuve, aucun changement sensible, sinon qu’il lui a paru plus fluide, que sa pesanteur spécifique était un peu augmentée, et qu’il lui est resté quelques grains de matière fixe. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Mercure.
  30. Par la digestion à un degré de chaleur très fort et soutenu pendant plusieurs mois dans un vaisseau qui n’est pas exactement clos, le mercure éprouve une altération plus sensible ; sa surface se change peu à peu en une poudre rougeâtre, terreuse, qui n’a plus aucun brillant métallique, et qui nage toujours à la surface du reste du mercure, sans s’y incorporer : on peut convertir ainsi en entier en poudre rouge une quantité donnée de mercure ; il ne faut que le temps et les vaisseaux convenables. On appelle cette préparation du mercure précipité per se, et on ne peut obtenir cette poudre rouge ou précipité per se qu’en faisant subir au mercure la plus forte chaleur qu’il puisse supporter sans se réduire en vapeurs.

    Ce précipité paraît être une vraie chaux de mercure… d’autant qu’il ne s’est fait que par le concours de l’air ; il ne pèse pas autant que le mercure, puisqu’il nage à sa surface, mais son volume ou pesanteur absolue est augmentée d’environ 1/10. On en peut dégager l’air auquel est due cette augmentation de poids, et faire la réduction de ce précipité ou de cette chaux sans addition dans des vaisseaux clos, dans lesquels le mercure se revivifie ; l’air qui se dégage de cette chaux de mercure est très pur (ce qui est bien différent de l’air qui se dégage des autres chaux métalliques, qui est très corrompu), et il n’y a point de perte de mercure dans cette réduction. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Mercure.

  31. Ayant communiqué cet article à mon savant ami M. de Morveau, aux lumières duquel j’ai la plus grande confiance, je dois avouer qu’il ne s’est pas trouvé de mon avis ; voici ce qu’il m’écrit à ce sujet : « Il paraît que la chaux de mercure est une vraie chaux métallique, dans le sens des chimistes, Stalhiens, c’est-à-dire à laquelle il manque le feu fixe ou phlogistique ; en voici trois preuves directes entre bien d’autres :

    » 1o L’acide vitriolique devient sulfureux avec le mercure ; il n’acquiert cette propriété qu’en prenant du phlogistique ; il ne peut en prendre qu’où il y en a ; le mercure contient donc du phlogistique. Le précipité per se de même avec l’acide vitriolique ne le rend pas sulfureux ; il est donc privé de ce principe inflammable ;

    » 2o L’acide nitreux forme de l’air nitreux avec toutes les matières qui peuvent lui fournir du phlogistique ; cela arrive avec le mercure, non avec le précipité per se : l’un tient donc ce principe, et l’autre en est privé ;

    » 3o Les métaux imparfaits traités au feu en vaisseaux clos avec la chaux du mercure se calcinent pendant qu’il se détruit ; ainsi l’un reçoit ce que l’autre perd. Avant l’opération, le métal imparfait pouvait fournir au nitre le phlogistique nécessaire à sa déflagration ; il ne le peut plus après l’opération. N’est-il pas évident qu’il en a été privé pendant cette opération ? »

    Je conviens avec M. de Morveau de tous ces faits, et je conviendrai aussi de la conséquence qu’il en tire, pourvu qu’on ne la rende pas générale. Je suis bien éloigné de nier que le mercure ne contienne pas du feu fixe et de l’air fixe, puisque toutes les matières métalliques ou terreuses en contiennent ; mais je persiste à penser qu’une explication où l’on n’emploie qu’un de ces deux éléments est plus simple que toutes les autres où l’on a recours à deux ; et c’est le cas de la chaux du mercure, dont la formation et la réduction s’expliquent très clairement par l’union et la séparation de l’air, sans qu’il soit nécessaire de recourir au phlogistique ; et nous croyons avoir très suffisamment démontré que l’accession ou la récession de l’air fixé suffirait pleinement pour opérer et expliquer tous les phénomènes de la formation et de la réduction des chaux métalliques.

  32. L’éthiops minéral est une combinaison de mercure avec une assez grande quantité de soufre ; il est noir… Il se fait ou par la fusion ou par la simple trituration… On fait fondre du soufre dans un vaisseau de terre non vernissé ; aussitôt qu’il est fondu, on y mêle une égale quantité de mercure en retirant le vaisseau de dessus le feu. On agite le mélange jusqu’à ce qu’il soit refroidi et figé ; il reste après cela une masse noire et friable qu’on broie et qu’on tamise, et c’est l’éthiops.

    Et lorsqu’on veut faire de l’éthiops sans feu, on triture le mercure avec le soufre dans un mortier de verre ou de marbre, en mettant deux parties de mercure sur trois parties de fleurs de soufre, et on triture jusqu’à ce que le mercure ne soit plus visible… L’union du mercure et du soufre dans l’éthiops n’est pas si forte que dans le cinabre ; il ne faut pas croire pour cela qu’elle soit nulle, et qu’il n’y ait dans l’éthiops qu’un simple mélange ou interposition des parties des deux substances : il y a adhérence et combinaison réelle. La preuve en est qu’on ne peut les séparer que par des intermèdes qui sont les mêmes que ceux qu’on emploie pour séparer le mercure du cinabre, et cet éthiops peut aisément devenir, étant traité par les procédés chimiques, du véritable cinabre artificiel. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Éthiops.

  33. Si l’on met, dit M. de Morveau, en équilibre une balance portant à l’un de ses bras un morceau de glace taillé en rond, de deux pouces et demi de diamètre, suspendu dans une position horizontale par un crochet mastiqué sur la surface supérieure, et que l’on fasse ensuite descendre cette glace sur la surface du mercure placé au-dessous, à très peu de distance, il faudra ajouter dans le bassin opposé jusqu’à neuf gros dix-huit grains pour détacher la glace du mercure et vaincre l’adhésion résultant du contact.

    Le poids et la compression de l’atmosphère n’entrent pour rien dans ce phénomène, car l’appareil étant mis sur le récipient dénué d’air de la machine pneumatique, le mercure adhérera encore à la glace avec une force égale, et cette adhésion soutiendra de même les neuf gros dont on aura chargé précédemment l’autre bras de la balance. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. Ier, p. 54 et 55.

  34. M. de Machi.
  35. M. Sage fait mention d’un morceau d’or natif de Hongrie, d’un jaune grisâtre, fragile, et dans lequel l’analyse lui a fait trouver une petite quantité de mercure, avec lequel ou peut croire que cet or avait été naturellement amalgamé. Ce morceau, ne contenant que très peu de mercure, doit être certainement rangé parmi les mines d’or ; mais les amalgames natifs d’argent de Sahlberg et du Palatinat contiennent souvent plus de mercure que d’argent ; ils devraient donc être rapportés parmi les mines de mercure. Lettres de M. Demeste, t. II, p. 109.
  36. 1o Parties égales de mercure et de plomb forment une masse blanche solide, dont une partie du mercure se sépare par une exsudation, occasionnée par la seule chaleur de l’atmosphère, en globules infiniment petits.

    2o Deux parties de plomb et une de mercure forment une masse blanche, dure, cassante, à petits grains comme ceux de l’acier, dont le mercure ne s’échappe pas ; ces deux substances forment alors une combinaison durable.

    3o Trois parties de plomb et une de mercure forment une masse plus ductile que le plomb et l’étain ; on en peut faire des vases et on la tire aisément à la filière.

    4o Ce dernier mélange est d’une fusibilité extraordinaire ; mais, si on l’expose d’abord à un grand feu, il éclate avec explosion ; si, au contraire, on le liquéfie à une douce chaleur, on peut ensuite le chauffer au rouge ; mais il bout continuellement avec un bruissement comme la graisse.

    5o Si l’on continue à le tenir en fusion, le mercure se dissipe successivement et totalement en vapeurs.

    6o La crasse qui se forme à la surface du plomb combiné avec le mercure, exposée seule dans un vaisseau rouge de feu, décrépite comme le sel marin.

    7o Cet amalgame de mercure et de plomb se combine avec l’or, l’argent, le cuivre rosette, le laiton, le régule d’antimoine, le zinc et le bismuth ; il les aigrit tous, excepté l’étain, avec lequel il produit un assez beau métal mixte, blanc et ductile. (Note communiquée par M. de Grignon, en octobre 1782.)

  37. Voyez là-dessus les expériences de M. Sage.
  38. Il ne faut pas regarder le mercure comme simplement distribué et entremêlé avec les parties de la graisse dans l’onguent mercuriel : il est très certain, au contraire, qu’il y a adhérence et combinaison, même très intime, au moins d’une portion du mercure avec la graisse ;… car, lorsqu’il est fait depuis un temps, on ne peut plus, en le fondant, retirer tout le mercure qu’on y avait mis. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Mercure.
  39. Quoique le mercure soit susceptible de se diviser lorsqu’on le triture avec une huile grasse, il ne paraît pas qu’il y ait réellement dissolution… Le mercure se combine plus facilement avec les graisses animales, qui ne sont néanmoins qu’une espèce d’huile où l’acide est plus abondant et qui manifestent d’ailleurs les mêmes affinités que les autres substances huileuses. On ne doit pas néanmoins attribuer l’action de ces graisses sur le mercure à l’acide phosphorique qu’elles contiennent.

    C’est en combinant la graisse avec le mercure que l’on forme la pommade mercurielle… Dans cet onguent, les parties de mercure ne paraissent pas simplement distribuées ou entremêlées avec les parties de la graisse ; on est fondé à penser, au contraire, qu’il y a adhérence et union, même très intime, car cette graisse de l’onguent mercuriel se rancit très promptement, comme il arrive à toutes les matières huileuses qui entrent dans quelque combinaison…

    Lorsque l’onguent mercuriel est vieux, si on le frotte entre deux papiers gris, la graisse s’imbibe dans le papier et l’on ne voit point de globules de mercure ; il n’en est pas de même lorsque cet onguent est récent ; on y découvre très aisément une grande quantité de parties métalliques. Toutes ces observations prouvent qu’il y a une vraie combinaison, une union intime dans ce mélange lorsqu’il est vieux. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. III, p. 389 et suiv.

  40. L’acide vitriolique, dans son état ordinaire, n’agit point ou n’agit que très faiblement et très mal sur le mercure en masse. Ces deux substances ne peuvent se combiner ensemble, à moins que l’acide ne soit dans le plus grand degré de concentration et secondé par la chaleur la plus forte… Lorsque cet acide est bien concentré, il réduit le mercure en une masse saline de couleur blanche, appelée vitriol de mercure.

    Si on expose à l’action du feu la combinaison de l’acide vitriolique avec le mercure, la plus grande partie de cet acide s’en détache ; mais, une chose fort remarquable, c’est que le mercure, traité ainsi par l’acide vitriolique, soutient une plus grande chaleur et paraît, par conséquent, un peu plus fixe que quand il est pur. Cette fixité est une suite de son état de chaux. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Mercure.

  41. L’acide marin en liqueur n’agit point sensiblement sur le mercure en masse, même lorsqu’il est aidé de la chaleur de l’ébullition ; mais lorsque cet acide très concentré est réduit en vapeurs et qu’il rencontre le mercure réduit aussi en vapeurs, alors ils s’unissent d’une manière très intime. Il en résulte un sel marin mercuriel cristallisé en aiguilles aplaties et qu’on a nommé sublimé corrosif, parce que l’on ne l’obtient que par la sublimation. L’affinité de l’acide marin avec le mercure est si grande, qu’il se charge, en quelque sorte, d’une quantité considérable de cette matière métallique… Le sublimé corrosif peut absorber et se charger peu à peu, par la trituration, des trois quarts de son poids de nouveau mercure. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Mercure.
  42. L’acide nitreux dissout très bien le mercure : dix onces de bon acide suffisent pour achever la dissolution de huit onces de ce métal ; il l’attaque même à froid et produit effervescence et chaleur… La dissolution se colore d’abord en bleu, par l’union du principe inflammable ; il s’y forme, par le refroidissement, un sel neutre, non déliquescent, disposé en aiguilles : c’est le nitre mercuriel… M. Baumé remarque que la dissolution de nitre mercuriel, refroidie sur le bain de sable, donnait des aiguilles perpendiculaires et que, refroidie loin du feu, elle donnait des aiguilles horizontales. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 179 et suiv.
  43. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 15.
  44. Je ne puis donner une entière confiance à ce qui est rapporté dans les Récréations chimiques, par M. Parmentier, t. Ier, p. 339 et suiv. ; c’est néanmoins ce que nous avons de plus authentique sur la transmutation des métaux : on y donne un procédé pour convertir le mercure en or, résistant à toute épreuve, et ce par le moyen de l’acide de tartre. Ce procédé, qui est de Constantin, a été répété par Mayer et vérifié par M. Parmentier, qui a soin d’avancer qu’il n’est pas fait pour enrichir.
  45. Voici son procédé : on fait couler en masse, au feu de sable, quatre parties de feuilles de cuivre, quatre parties de sublimé corrosif et deux parties de sel ammoniac ; on pulvérise ce composé et on le lave dans le vinaigre jusqu’à ce que le nouveau vinaigre ne verdisse plus ; on fond alors ce qui reste avec une partie d’argent et on coupelle avec le plomb. Suivant Juncker, le cuivre se trouve converti en argent. M. Weber, chimiste allemand, vient de répéter jusqu’à deux fois ce procédé, sur l’assurance que deux personnes lui avaient donnée qu’il leur avait réussi ; il avoue qu’il n’a retrouvé que l’argent ajouté à la fusion, et il remarque, avec toute raison, que c’est opérer assez heureusement et avec toute exactitude lorsqu’une portion du métal fin ne passe pas par la cheminée avec l’espérance de la transmutation. Magasin physico-chimique de M. Weber, t. Ier, p. 121.
  46. « Le mercure, dit M. de Souhey, est un mixte aqueux et terreux dans lequel il entre une portion du principe inflammable ou sulfureux, et qui est chargé jusqu’à l’excès de la terre de Beccher ; voilà, dit-il, la meilleure définition qu’on puisse donner du mercure. Il m’a paru si avide du principe constituant les métaux et les demi-métaux, que je suis parvenu à précipiter ceux-ci avec le mercure ordinaire sous une forme de chaux réductible, sans addition, avec le secours de l’eau et avec celui du feu ; j’ai ainsi calciné tous les métaux, même les plus parfaits, d’une manière aussi irréductible, avec du mercure tiré des demi-métaux.

    » L’affinité du mercure est si grande avec les métaux et les demi-métaux, qu’on pourrait, pour ainsi dire, assurer que le mercure est au règne minéral ce que l’eau est aux deux autres règnes. Pour prouver cette assertion, j’ai fait des essais sur les demi-métaux et j’expose seulement ici le procédé fait sur le régule d’antimoine : en fondant une partie de ce régule avec deux parties d’argent (qui sert ici d’intermède et qu’on sépare l’opération finie), on réduira ces matières en poudre, qu’on amalgamera avec cinq ou six parties de mercure ; on triturera le mélange avec de l’eau de fontaine, pendant douze à quinze heures, jusqu’à ce qu’elle en sorte blanche ; l’amalgame sera longtemps brun et, par les lotions réitérées, l’eau entraînera peu à peu avec elle le régule sous une forme de chaux noire entièrement fusible ; cette chaux, recueillie avec soin, séchée et mise au feu dans une cornue, on en sépare le mercure que s’y était mêlé ; en décantant l’eau qui a servi à nettoyer l’amalgame, on ne trouvera que les deux tiers du poids du régule qui avait été fondu et ensuite amalgamé avec le mercure ; on sépare aussi, par la sublimation, celui qui était resté avec l’argent : alors, si l’opération a été bien faite, l’argent sera dégagé de tout alliage et très blanc ; le mercure aura sensiblement augmenté de poids, en tenant compte de celui qui était mêlé avec la chaux du régule qu’on suppose avoir été séparé par la distillation. On peut conclure que le mercure s’est approprié le tiers du poids qui manque sur la totalité du régule et que ce tiers s’est réduit en mercure, ne pouvant plus s’en séparer ; les deux tiers restants quittent l’état de chaux si on les rétablit par les procédés ordinaires avec le flux noir ou autre fondant, et l’expérience peut être répétée jusqu’à ce que le régule d’antimoine soit en entier réduit en mercure.

    » Si l’on fait évaporer jusqu’à siccité l’eau qui a servi aux lotions, après l’avoir laissée déposer, il restera une terre grisâtre ayant un goût salin et rougissant un peu au feu ; cette terre appartenait au mercure qui l’a déposée dans l’eau qui la tenait en dissolution.

    » Le mercure, dans l’opération ci-dessus, fait la fonction du feu et produit les mêmes effets ; il a fait disparaître du régule d’antimoine son aspect brillant, il lui a fait perdre une partie de son poids en le calcinant d’une manière irréductible, sans addition, avec le secours de l’eau et de la trituration, aussi complètement que pourrait le faire le feu. »

    On peut remarquer dans cet exposé de M. de Souhey que son idée sur l’essence du mercure, qu’il regarde comme une eau métallique, s’accorde avec les miennes ; mais j’observerai qu’il n’est pas étonnant que les métaux traités avec le mercure se calcinent même par la simple trituration. On sait que le métal fixe retient un peu de mercure au feu de distillation ; on sait aussi que le mercure emporte à la distillation un peu de métaux fixes ; ainsi, tant qu’on n’aura pas purifié le mercure que l’on croit avoir augmenté par le mercure d’antimoine, ce fait ne sera pas démontré.

  47. Voici un exemple ou deux de mercurification, tirés de Vallerius et Teichmeyer. Si l’on distille du cinabre d’antimoine fait par le sublimé corrosif, on retirera toujours des distillations, après la revivification du mercure, plus de mercure qu’il n’y en avait dans le sublimé corrosif. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Mercure.
  48. Si l’on prépare un sublimé corrosif avec l’esprit de sel et le mercure coulant et qu’on sublime plusieurs fois de la chaux ou de la limaille d’argent avec ce sublimé, une partie de l’argent se changera en mercure. Idem, ibidem.
  49. La limaille de fer bien fine, exposée pendant un an à l’air libre, ensuite bien triturée dans un mortier… remise après cela encore pendant un an à l’air et enfin soumise à une distillation dans une cornue, fournit une matière dure qui s’attache au col du vaisseau, et avec cette matière un peu de mercure.

    Si l’on prend de la cendre ou chaux de cuivre, qu’on la mêle avec du sel ammoniac, qu’on expose ce mélange pendant un certain temps à l’air et qu’on le mette en distillation avec du savon, on obtiendra du mercure.

    On prétend aussi tirer du mercure du plomb et de l’argent corné, en le mêlant avec parties égales d’esprit de sel bien concentré, en le laissant en digestion pendant trois ou quatre semaines et saturant ensuite ce mélange avec de l’alcali volatil, et le remettant en digestion pendant trois ou quatre semaines ; au bout de ce temps, il faut y joindre égale quantité de flux noir et de savon de Venise, et mettre le tout en distillation dans une cornue de verre, il passera du mercure dans le récipient. Idem, ibidem.

Notes de l’éditeur
  1. Malgré les erreurs que contiennent les considérations auxquelles se livre ici Buffon, elles n’en sont pas moins remarquables parce qu’elles montrent combien le savant naturaliste était convaincu des relations qui existent entre les différents corps, même minéraux, et des traits de ressemblance qui rapprochent les uns des autres ceux qui paraissent différer le plus. [Note de Wikisource : Parmi les corrections indispensables au sujet du mercure, il faut signaler : 1o que le mercure est réellement un métal, et un corps simple, et donc ne contient ni eau ni sels ; 2o que s’il est présent naturellement sous forme liquide, c’est que son point de fusion est extrêmement bas (–39°C environ), non qu’il tient de l’eau ; 3o que s’il peut se vaporiser, c’est aussi le cas de tous les corps simples, et pas seulement de ceux liquides à température ambiante.]
  2. Le lecteur sera frappé de la hardiesse des pensées qu’émet ici Buffon. Pour lui, tous les corps minéraux ne sont produits que par la « transmutation » les uns des autres. Dans ces derniers temps, les expériences de Lockyer, en montrant que très probablement la plupart des éléments chimiques, considérés comme simples, ne sont que des états différents d’un même corps, ont donné une grande probabilité à l’opinion émise par Buffon. (Voyez mon Introduction à cette édition.)

    [Note de Wikisource : Lockyer a émis l’hypothèse, sur la base d’études spectroscopiques de corps simples placés au feu puis dans un arc électrique, que les atomes composant les corps simples, que l’on pensait jusque là être les constituants ultimes de la matière, doivent se dissocier eux-mêmes en des composants plus élémentaires ; cette intuition a été confirmée quelques décennies plus tard par la découverte de la radioactivité.

    Pour autant, cela ne signifie absolument pas que les éléments chimiques sont absolument des « états d’un même corps », corps qui, aux yeux de Lockyer, aurait été l’hélium, puisqu’il reste impossible de transmuter un élément en un autre par des transformations physiques ou chimiques, et qu’il est nécessaire pour cela de recourir à d’autres types de réactions, dites nucléaires. Cela signifie seulement qu’il existe des particules subatomiques (à savoir : protons, neutrons et électrons), dont sont constitués tous les atomes, de quelque élément qu’ils soient, et qu’un élément chimique est déterminé par le nombre de particules subatomiques (ou, plus précisément, par le seul nombre des protons) que ses atomes contiennent.]

  3. Ici encore, Buffon se montre préoccupé de l’idée de l’unité de la matière.