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peut produire que du fer très médiocre ou mauvais ; mais comme le débit en est plus assuré que celui du bon fer qu’on ne peut pas donner au même prix, et qu’il y a beaucoup plus à gagner, cette mauvaise pratique s’est introduite dans presque toutes les forges, et rien n’est plus rare que les fourneaux où l’on fait de bonnes fontes. On verra dans le Mémoire suivant, où je rapporte les expériences que j’ai faites au sujet des canons de la marine, combien les bonnes fontes sont rares, puisque celles même dont on se sert pour les canons n’est pas à beaucoup près d’une aussi bonne qualité qu’on pourrait et qu’on devrait la faire.

Il en coûte à peu près un quart de plus pour faire de la bonne fonte que pour en faire de la mauvaise : ce quart, que dans la plupart de nos provinces on peut évaluer à dix francs par millier, produit une différence de quinze francs sur chaque millier de fer ; et ce bénéfice qu’on ne fait qu’en trompant le public, c’est-à-dire en lui donnant de la mauvaise marchandise, au lieu de lui en fournir de la bonne, se trouve encore augmenté de près du double par la facilité avec laquelle ces mauvaises fontes coulent à l’affinerie ; elles demandent beaucoup moins de charbon et encore moins de travail pour être converties en fer ; de sorte qu’entre la fabrication du bon fer et du mauvais fer, il se trouve nécessairement, et tout au moins une différence de vingt-cinq francs. Et néanmoins dans le commerce, tel qu’il est aujourd’hui et depuis plusieurs années, on ne peut espérer de vendre le bon fer que dix francs tout au plus au-dessus du mauvais : il n’y a donc que les gens qui veulent bien, pour l’honneur de leur manufacture, perdre quinze francs par millier de fer, c’est-à-dire environ deux mille écus par an, qui fassent de bon fer. Perdre, c’est-à-dire gagner moins ; car avec de l’intelligence, et en se donnant beaucoup de peine, on peut encore trouver quelque bénéfice en faisant du bon fer, mais ce bénéfice est si médiocre, en comparaison du gain qu’on fait sur le fer commun, qu’on doit être étonné qu’il y ait encore quelques manufactures qui donnent du bon fer. En attendant qu’on réforme cet abus, suivons toujours notre objet : si l’on n’écoute pas ma voix aujourd’hui, quelque jour on y obéira en consultant mes écrits, et l’on sera fâché d’avoir attendu si longtemps à faire un bien qu’on pourrait faire dès demain, en proscrivant l’entrée des fers étrangers dans le royaume, ou en diminuant les droits de la marque des fers.

Si l’on veut donc avoir, je ne dis pas de la fonte parfaite et telle qu’il la faudrait pour les canons de la marine, mais seulement de la fonte assez bonne pour faire du fer liant, moitié nerf et moitié grain, du fer en un mot aussi bon et meilleur que les fers étrangers, on y parviendra très aisément par les procédés que je viens d’indiquer. On a vu dans le quatrième Mémoire, où j’ai traité de la ténacité du fer, combien il y a de différence pour la force et pour la durée entre le bon et le mauvais fer, mais je me borne dans celui-ci à ce qui a rapport à la fusion des mines et à leur produit en fonte : pour m’assurer de leur qualité et reconnaître en même temps si elle ne varie pas, mes gardes-fourneaux ne manquent jamais de faire un petit enfoncement horizontal d’environ 3 pouces de profondeur à l’extrémité antérieure du moule de la gueuse ; on casse le petit morceau lorsqu’on la sort du moule, et on l’enveloppe d’un morceau de papier portant le même numéro que celui de la gueuse ; j’ai de chacun de mes fondages deux ou trois cents de ces morceaux numérotés, par lesquels je connais non seulement le grain et la couleur de mes fontes, mais aussi la différence de leur pesanteur spécifique, et par là je suis en état de prononcer d’avance sur la qualité du fer que chaque gueuse produira ; car quoique la mine soit la même et qu’on suive les mêmes procédés au fourneau, le changement de la température de l’air, le haussement ou le baissement des eaux, le jeu des soufflets plus ou moins soutenu, les retardements causés par les glaces ou par quelque accident aux roues, aux harnais ou à la tuyère, et au creuset du fourneau, rendent la fonte assez différente d’elle-même, pour qu’on soit forcé d’en faire un choix si l’on veut avoir du fer toujours de même qualité. En général il faut, pour qu’il soit de cette bonne qualité,