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pour les engloutir ; au delà, j’aperçois ces vastes plaines toujours calmes et tranquilles[1], mais tout aussi dangereuses, où les vents n’ont jamais exercé leur empire, où l’art du nautonier devient inutile, où il faut rester et périr ; enfin portant les yeux jusqu’aux extrémités du globe, je vois ces glaces[2] énormes qui se détachent des continents des pôles, et viennent comme des montagnes flottantes voyager et se fondre jusque dans les régions tempérées[3].

Voilà les principaux objets que nous offre le vaste empire de la mer ; des milliers d’habitants de différentes espèces en peuplent toute l’étendue : les uns, couverts d’écaillés légères, en traversent avec rapidité les différents pays ; d’autres, chargés d’une épaisse coquille, se traînent pesamment et marquent avec lenteur leur route sur le sable ; d’autres, à qui la nature a donné des nageoires en forme d’ailes, s’en servent pour s’élever et se soutenir dans les airs ; d’autres enfin, à qui tout mouvement a été refusé, croissent et vivent attachés aux rochers ; tous trouvent dans cet élément leur pâture ; le fond de la mer produit abondamment des plantes, des mousses et des végétations encore plus singulières ; le terrain de la mer est de sable, de gravier, souvent de vase, quelquefois de terre ferme, de coquillages, de rochers, et partout il ressemble à la terre que nous habitons.

Voyageons maintenant sur la partie sèche du globe, quelle différence prodigieuse entre les climats ! quelle variété de terrains ! quelle inégalité de niveau ! mais observons exactement, et nous reconnaîtrons que les grandes[4] chaînes de montagnes se trouvent plus voisines de l’équateur que des pôles ; que, dans l’ancien continent, elles s’étendent d’orient en occident beaucoup plus que du nord au sud, et que dans le nouveau monde elles s’étendent au contraire du nord au sud beaucoup plus que d’orient en occident ; mais ce qu’il y a de très remarquable, c’est que la forme de ces montagnes et leurs contours, qui paraissent absolument irréguliers[5], ont cependant les directions suivies et correspondantes[6] entre elles, en sorte que les angles saillants d’une montagne se trouvent toujours opposés aux angles rentrants de la montagne voisine qui en est séparée par un vallon ou par une profondeur. J’observe aussi que les collines opposées ont toujours à très peu près la même hauteur, et qu’en général les montagnes occupent le milieu des continents et partagent dans la plus grande longueur les îles, les promontoires et les autres[7] terres avancées. Je suis de même la direction des plus grands fleuves, et je vois qu’elle est toujours presque perpendiculaire à la côte de

  1. Les calmes et les tornados de la mer Éthiopique.
  2. Voyez les Preuves, art. vi et x.
  3. Voyez la Carte de l’expédition de M. Bouvet, dressée par M. Buache en 1739.
  4. Voyez les Preuves, art. ix.
  5. Voyez les Preuves, art. ix et xii.
  6. Voyez Lettres philos. de Bourguet, p. 181.
  7. Vid. Varenii Geogr., p. 69.