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DE PIERRE DE RONSARD

esprit noble, et bien nay, et qui avoit quelques bons commencemens en la Poësie Françoise, estant retourné de Poictiers, de l’estude des loix, auquel il avoit esté dedié *, changea beaucoup son stil, qui sentoit encor je ne sçay quoy de rance, et du vieux temps, par la hantise de Ronsard, et de Baïf[1] *. C’estoit à qui mieux mieux feroit, tantost sur le sujet d’amour, qui se monstra lors le plus ordinaire en nostre France, tantost sur quelque occasion que le temps presentoit[2] : comme Ronsard[3], qui ne pouvoit plus se tenir en ses bornes, fit premierement veoir le jour à un Epithalame[4] sur le mariage de Monsieur de Vendosme, qui espousa Madame Jeanne d’Albret, Royne de Navarre * : puis fit l’Entrée du Roy[5] qui fut suivie de l’Hymne de la Paix[6] *. Baïf aussi en mesme temps mit en lumiere le Poëme de la Paix et le Ravissement d’Europe[7] *. Puis Ronsard s’estant ressouvenu d’une belle fille qui avoit nom Cassandre *, qu’il eut seulement moyen de voir, d’aimer, et de laisser à mesme instant en un voyage qu’il fit à Bloys, à son retour d’Escosse *, il se delibera[8] de la chanter, comme Petrarque avoit faict la Laure[9], amoureux seulement de ce beau nom, comme luy mesmes m’a dit maintefois[10] *, ce qu’il semble quasi vouloir donner à cognoistre en un Sonet qui commence :

  1. C Environ ce temps qui estoit l’an mil cinq cens quarante neuf, ainsi qu’il retournoit d’un voyage de Poictiers à Paris, de fortune il se rencontra en une mesme hostellerie avec Joachim Du Bellay *, jeune Gentil-homme Angevin, et issu de ceste illustre et docte maison de Du Bellay, lequel en retournant aussi de Poictiers de l’estude des loix, où il avoit esté dedié, comme ordinairement les bons esprits ne se peuvent celer non plus que la lumiere de Phœbus Apollon leur guide, ils se firent cognoistre l’un à l’autre, pour estre non seulement alliez de parentage, mais de mesme inclination aux Muses *, qui fut cause qu’ils acheverent le voyage ensemble : et depuis l’attira Ronsard à demeurer avec luy et Baïf, pour en cest heureux Triumvirat, et à la semonce les uns des autres, donner effect à l’ardent desir qu’ils avoient de reveiller la Poësie Françoise avant eux foible et languissante * : par la hantise desquels luy qui s’estoit plus adonné à la Poësie Latine qu’à la Françoise * changea beaucoup son stil, qui sentoit encor quelque chose de rance et du vieux temps.
  2. C C’estoit à qui mieux mieux feroit, tantost sur le suject d’Amour, qui deslors quitta l’Italie pour voler en France, tantost (on lit France : tantost) sur quelque autre suject, que le temps leur presentoit :
  3. A presentoit, comme Ronsard | B presentoit comme Ronsard | C presentoit : Comme Ronsard
  4. C à l’Epithalame
  5. A Navarre : Puis fit l’entrée du Roy
  6. AB Hymne de la paix | C puis [fit] un Poëme sur l’entrée du Roy à Paris qu’il a suprimé, qui fut suivy de l’Hynne de la Paix
  7. AB le Poëme de la paix et le ravissement d’Europe | C le Poëme de la Paix et le ravissement d’Europe.
  8. A d’Escosse : Il se delibera | B qu’il fit à Blois, aiant lors attaint l’âge de vingt ans *, il se delibera
  9. B sa Laure
  10. A luy mesmes ma dit maintefois | B ainsi que luy mesmes m’a dit autrefois :