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INTRODUCTION

le premier relevé une erreur flagrante de Binet[1]. Mais sa critique s’est bornée là : il a encore jugé bon de ne pas le suivre sur deux ou trois points, mais sans le dire, ni pourquoi[2]. Binet est celui de ses « originaux » auquel il a fait le plus d’emprunts en toute confiance, et très souvent des emprunts qui n’en méritaient aucune[3]. — P. Bayle a lu Binet avec plus de précaution et l’a cité avec plus de scepticisme. « Chimères », dit-il à propos des origines étrangères de la famille Ronsart ; « réflexions peu judicieuses, froide hyperbole de panégyriste, traits d’esprit qu’on appelle concetti au delà des monts », à propos des passages sur la naissance et le baptême du poète ; « la narration de Binet est toute remplie de fautes », ajoute-t-il. D’ailleurs il ne montre pas ces fautes, sauf celles du début que nous venons de rappeler, et une autre relative au temps que Ronsard fut page : « Binet se trompe grossièrement dans son calcul[4]... » L’abbé Joly n’est pas moins sévère. À propos de « la prétenduë satire de la Truelle crossée, faite, dit on, contre de Lorme par Ronsard », il écrit : « Je ne doute presque point que Binet, qui à entassé fautes sur fautes dans sa Vie de Ronsard, comme Bayle l’avouë, n’ait métamorphosé un simple sonnet en satire[5]. » — Sainte-Beuve à son tour : « Claude Binet, quoique ami et disciple de Ronsard, paraît assez inexactement informé des premières années de ce poète, et les dates qu’il donne me semblent souvent suspectes » ; et, à propos d’un grave dissentiment qui, d’après Binet, serait survenu entre Ronsard et Du Bellay en 1549. et aurait abouti à une action en justice intentée par Ronsard, le fin critique déclarait encore : « Cette anecdote m’a toujours paru suspecte[6]. »

Malgré ces avertissements, ce n’est que tout à la fin du xixe siècle qu’on s’avisa de contrôler et de rectifier Binet. C’est à M. Henri Chamard que revient l’honneur d’avoir attiré l’attention des ronsardisants sur les trois rédactions de la Vie de Ronsard. dont les variantes nombreuses et importantes sont la meilleure preuve du peu de crédit qu’elle mérite, étant inspirées par un zèle inopportun de panégyriste et de littérateur bien plus que par le souci de la vérité « J’avoue, écrivait-il en 1899, que je ne puis me défendre d’un certain scepticisme en ce qui touche cette querelle (celle de 1549 entre Ronsard et du Bellay) et le caractère qu’on lui prête, et mes doutes s’appuient des variations de Binet lui-même sur ce point. On cite toujours Binet d’après l’édition de 1597. Mais on oublie trop que cette édition fut précédée de deux autres, qui présentent avec elle de notables divergences. C’est en 1586, un an après la mort du grand homme, que Binet publia pour la première fois sa Vie de Ronsard. L’année suivante, lorsque parut, chez Gabriel Buon, la première

  1. V. ci après le Commentaire, p. 70, note sur les mots « devant Pavie ».
  2. V. ci-après, p. 150, fin de la note sur l’hymne de l’Hercule Chrestien ; p. 156, note sur les Dithyrambes ; p. 162, note sur les Sonnets pour Astrée.
  3. Notice sur P. de Ronsard éditée par Blanchemain en tête des Œuvres inédites de Ronsard, en 1855 pp. 19 et 20.
  4. Dict hist. et crit., article Ronsard. notes A, B, C, D.
  5. Remarques crit. sur le Dict. de Bayle, article Ronsard.
  6. Tableau de la poés. fr. au XIXe s., édition courante in-12 de la Bibliothèque Charpentier, pp. 291, note, et 333.