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DISSERTATION

Ma deuxième remarque est un peu plus considérable. D’Aubigné a eu grand tort de laisser dans sa dernière édition ce qu’il avait dit dans la première pour désigner M. du Plessis Mornai ; car puisqu’il avait appris dans la suite que le vrai auteur de l’ouvrage était Hubert Languet, et que l’autre n’avait fait que le publier, il ne devait plus assurer si précisément que cet autre lui avait avoué qu’il en était l’auteur, et que le livre était avoué par cet autre. C’était représenter M. du Plessis Mornai à toute l’Europe comme un menteur qui se parait des plumes d’autrui. Or cela ne paraîtra jamais vrai à ceux qui feront réflexion sur sa vertu, et sur la gloire qu’il avait acquise. D’autre côté, il n’y a nulle apparence que d’Aubigné eût voulu mettre un tel fait dans son Histoire, s’il n’avait cru fermement se souvenir que du Plessis, à qui seul cela convenait, et qui était plein de vie, lui en avait parlé en ces termes. Mais voici, ce me semble, le dénoûment : M. du Plessis avait avoué cet ouvrage par des expressions qui conviennent également à celui qui compose et à celui qui publie, comme aurait été, par exemple, d’avouer qu’il avait donné au public le livre de Junius Brutus, que c’était à lui que le public était redevable de ce présent : et d’Aubigné, n’y prenant pas assez garde, détermina ces expressions au sens particulier d’avoir composé le livre. Pendant qu’il n’avait pas d’autres instructions, c’était une faute assez légère d’avoir limité à un certain sens ce qui en pouvait recevoir un autre ; mais ayant enfin publié ce qui en était, il n’a pu laisser son texte dans le premier état, sans faire passer M. du Plessis Mornai pour un menteur plagiaire. De semblables négligences à rappeler sa mémoire, qui apparemment lui eût fait voir que ce gentilhomme ne s’était exprimé que comme aurait pu faire la sage-femme d’un livre, sont beaucoup moins pardonnables que celles que nous avons déjà remarquées dans les faiseurs d’additions [a].

En troisième lieu, il me semble que d’Aubigné donne dans un étrange anachronisme par les deux époques qu’il établit pour le livre de Junius Brutus. Il veut par son premier passage, que ce livre ait précédé la conjuration d’Amboise, et qu’il ait été l’un des écrits qui encouragèrent les protestans ; et par l’autre, qu’il ait paru l’année d’après le massacre de la Saint-Barthélemi. Quelque époque que l’on choisisse de ces deux-là, il n’y aura plus moyen d’ajouter foi au récit que je tirerai ci-dessous de l’oraison funèbre de Simon Goulart, la pièce la plus authentique que l’on ait pour le système historique de Junius Brutus. Ce n’est pas la seule faute où d’Aubigné soit tombé par rapport au temps et à la matière des libelles de ce siècle-là.

VI. Remarques sur Placcius.

M. Placcius, professeur à Hambourg, a inséré dans son livre

  1. Voyez ci-dessus l’article Acidalius, tom. I, pag. 176, remarque (G) ; et le 2e. article Maldonat, tom. X, pag. 165, remarque (I), à la fin.