Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Acidalius


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ACIDALIUS (Valens) aurait été un des bons critiques de ces derniers siècles si une plus longue vie lui eût permis de porter à leur perfection les talens qu’il avait reçus de la nature[a]. Il naquit à Wistoch, dans la Marche de Brandebourg ; et, ayant vu diverses académies d’Allemagne, d’Italie, et de quelques autres pays, où il se fit fort aimer (A), il s’arrêta à Breslaw, capitale de la Silésie. Il y attendit assez longtemps quelque emploi ; mais, comme rien ne venait, il passa dans la communion romaine, et y trouva bientôt le rectorat d’une école (B). On dit qu’à peine quatre mois furent expirés, qu’il lui arriva un accident tout-à-fait étrange. Il suivait une procession du saint Sacrement, et il tomba tout à coup en frénésie. On le porta chez lui, et il mourut bientôt après. Quelques-uns dirent qu’il s’était tué lui-même (C). Ce fut dommage ; car il avait de l’esprit, et il travaillait beaucoup. Cette grande application fut la cause de sa mort, si nous en croyons M. de Thou[b], qui dit que, pour avoir trop veillé en composant ses Divinations sur Plaute (D), il devint sujet à un mal (E) qui l’emporta dans trois jours, le 25 de mai 1595. Il ne faisait que commencer sa vingt-neuvième année (F). Nous avons plusieurs ouvrages de sa façon [c]. On lui avait imputé à tort un petit livre (G) qui fut imprimé l’an 1595, dont le sujet était que les femmes ne sont pas des animaux raisonnables, mulieres non esse homines[* 1]. J’ai lu quelque part qu’il était médecin (H), et qu’il aurait fait des notes sur Aulugelle s’il avait encore vécu quelque temps[d]. Il paraît par ses lettres qu’il avait travaillé sur Apulée. M. Baillet l’a inséré parmi ses Enfans célèbres, ayant dit qu’il travaillait sur Plaute à dix-sept ou dix-huit ans, sans parler de diverses poésies latines que nous avons de lui, et qui sont de même temps. Un de ses premiers ouvrages imprimés est le Velleius Paterculus, qu’il publia à Padoue l’an 1591. Il dit lui-même qu’il eut honte de ce fruit précoce de sa plume[e], et il s’étonna qu’on eût voulu le réimprimer en France[f]. Lipse, qui lui écrivit quelques lettres remplies d’estime et d’amitié[g], le regardait comme un grand homme à venir. Ipse Valens (non te fallam augur) gemmula erit Germaniæ vestræ, vivat modò. C’est ce qu’il écrivit à Monavius, en 1594, comme on le peut voir au commencement des lettres d’Acidalius.

  1. * J. C. Leuschner a publié : De Valentis Acidalii vitâ, moribus et scriptis commentatio ; Leipsic, 1757, in-8o., où il cherche à prouver que V. Acidalius n’est pas auteur de l’ouvrage qu’on lui attribue, et dont il existe une traduction française par Querlon, sous le titre de Problèmes sur les Femmes, 1744, in-12 ; et une traduction litre par Clapiès, sous le titre de Paradoxes sur les Femmes, etc., 1766, in-12.
  1. Adolescens summæ spei et eruditionis. Thuan. Hist. lib. CXIII, pag. 687.
  2. Ibidem.
  3. Voyez la remarque (D).
  4. Nisi juveni illi fata quietem miserabiliter properassent. Sciopp. de Arte Critic. pag. 18.
  5. Val. Acidal. Epistolar. p. 70, 78, 127.
  6. Val. Acidal. Epistolar. pag. 160, 161, 209, 255.
  7. La Xe. et la XXVIe. de la Centuria ad Ital. et Hisp.

(A) Où il se fit fort aimer. ] Par le commerce de lettres qu’il entretenait avec Vincent Pinelli, Jérôme Mercurial, Antoine Riccobon, Ascagne Persio, etc., on peut voir la considération qu’avaient pour lui les illustres d’Italie : il avait demeuré trois ans en ce pays-là[1].

(B) Le rectorat d’une école. ] C’est Barthius qui l’assure : Rector scholæ Neussanæ factus, dit-il[2]. Je crois qu’il fallait dire Neissanæ ou Nissanæ. Neisse, qu’Acidalius nomme toujours Nyssa dans ses lettres, est à trois ou quatre lieues de Breslaw. L’évêque de ce nom y réside[3]. Celui qui l’était alors avait pour son chancelier Jean Mathieu Wacker, qui aimait les sciences et les savans. Il fit venir Acidalius à Neisse, et le logea chez lui. Voyez les lettres d’Acidalius[4]. Je n’ai point remarqué dans celles qu’il a écrites de ce lieu-là qu’il ait jamais fait mention du rectorat de l’école.

(C) Qu’il s’était tué lui-même[5]. ] Christien Acidalius, frère de Valens, n’a pas osé franchir le mot quand il s’est plaint des calomnies qui avaient été répandues touchant la mort de son frère ; mais il ne faut plus douter, après ce que Barthius avait écrit dans un de ses livres, que le sujet de ces plaintes ne fût le bruit que l’on fit courir qu’Acidalius s’était tué : chose qui fit bien pousser des exclamations en chaire. Voici comme parle Christien Acidalius, après avoir dit que son frère fut enterré pompeusement : Ut mirari satis nequeam calida multorum in judicundo nimiùm præcipitantium et temerariorum ingenia, qui et ipsius morbi et loci etiam sæpè ignari, quicquid maledicendi libido dictavit, vel fama quæ

Tam ficti pravique tenax quàm nuncia veri,


de obitu ipsius sparsit, propagare porrò in exteras etiam regiones et propugnare, imò nescio quas non tragædias etiam in concionibus ad plebem, ubi regnare solent, excitare non erubuerunt [6]. Il ne nie point que son frère n’eût eu des transports au cerveau qui bouleversèrent sa raison : Gravissimum illud febrium acutarum symptoma paraphrenitidem aliquoties sensit, quod extremum malorum animam etiam suâ sede ejecit[7]. Mais il soutient que de très-habiles médecins, et la famille de M. Wacker, chez qui Valens était malade, l’assistèrent jusqu’à sa mort. Il n’y a peut-être rien sur quoi la fabuleuse renommée débite plus de mensonges que sur les maladies et sur la mort des hommes illustres : c’est pourquoi les prédicateurs, et en général tous les moralistes, devraient être extrêmement réservés à faire des réflexions là-dessus. On ne saurait se défier autant qu’il le faut de la téméraire crédulité ou de la malice artificieuse de ces sortes de nouvellistes.

(D) Ses Divinations sur Plaute. ] Il eut d’un côté le plaisir de les voir annoncées dans le catalogue de Francfort [8], et de l’autre le déplaisir de faire cent plaintes contre la lenteur de son libraire. En un mot, elles ne parurent qu’après sa mort. Barthius fait cas de cet ouvrage. Pauci, dit-il[9], eum comicit locum assecuti sunt…. solus Acidalius rectum sensum percepit, ut alia multa in comico. M. Teissier dit qu’on estime fort le Commentaire d’Acidalius sur Quinte-Curce[10]. Il le dédia à l’évêque de Breslaw, qui l’en récompensa bien, comme les remercîmens le témoignent dans la LXXXIXe. lettre de l’auteur. Il fit des notes sur Tacite, sur les XII panégyriques, et sur Velleius Paterculus, outre des harangues, des lettres et des poésies [11]. Ce dernier ouvrage, inséré dans les Délices des Poëtes allemands, contient des vers épiques, des odes et des épigrammes que Borrichius ne trouve que médiocres[12]. Sa dissertation de Constitutione Carminis Elegiaci plaît à Barthius[13].

(E) Il devint sujet à un mal. ] M. de Thou n’explique point quelle était cette maladie ; mais on apprend d’ailleurs qu’Acidalius s’échauffa tellement le sang lorsqu’il employa trop de veilles à commenter Plaute, qu’il fut sujet depuis ce temps-là à des fièvres chaudes. Voici comme son frère en parle : Uratislaviæ, quæ Silesiorum metropolis, per sesquiannum plus minùs utrumque se mihi præstitit (præceptorem et patrem) ; donec indè Nyssam evocatus familiari morbo suo, quem ex nimiis vigiliis in adornandis Plautinis Divinationibus suis contraxerat, biliosi alias etiam habitûs juvenis, febri scilicet acutissima opprimeretur [14]. Il fut grièvement malade plus d’une fois en Italie, et il écrivait à ses amis que la fièvre était son mal ordinaire en ce pays-là. Voyez ses lettres, à la page 97 et à la 112.

(F) Il ne faisait que commencer sa vingt-neuvième année. ] C’est ainsi que je traduis ce latin de M. de Thou, cum vix annum 28 excessisset. Du Rier traduit, n’ayant pas encore atteint sa vingt-huitième année. Je laisse à juger aux lecteurs s’il a mieux rencontré que moi. M. Baillet ne donne que vingt-sept ans et quelques mois à notre Acidalius[15]. Il a peut-être découvert que l’on n’avait pas appris à M. de Thou avec toute sorte d’exactitude l’âge de ce jeune auteur.

(G) On lui avait imputé à tort un petit livre, etc. ] Geisler l’a justifié de cette fausse imputation, comme il paraît par ce passage de Placcius : Prioris [16] auctor quomodò non ex verò sit habitus Valens Acidalius, vide apud Geislerum decadis 3 n. 8[17]. Nous parlerons de cette dissertation dans l’article Gediccus : mais, sans aller plus loin, je dois dire ici sur quel fondement elle fut attribuée à notre Acidalius. Comme il cherchait à dédommager le libraire qui avait imprimé son Quinte-Curce, et qui se plaignait souvent d’y avoir perdu[18], il lui tomba entre les mains un écrit que plusieurs personnes avaient déjà fait copier : c’est celui dont il est ici question. Il le lut ; et, l’ayant trouvé plaisant, il le copia, et l’offrit à son libraire comme une copie lucrative. Il ne l’exhorta pas néanmoins à la mettre sous la presse : on crut sans doute qu’il suffisait de lui dire qu’elle pourrait le dédommager du mauvais débit de Quinte-Curce ; mais on lui déclara que c’était à lui à voir ce qu’il voulait faire là-dessus, et à bien examiner si les railleries trop libres de la pièce ne le commettraient pas. Cela ne refroidit point le libraire : il se hâta d’imprimer. On cria terriblement contre la dissertation ; on le mit en justice : et, parce qu’il avoua d’où la copie lui était venue, on se déchaîna d’une manière épouvantable contre Valens Acidalius, qui s’étonna qu’on s’alarmât tant pour des jeux d’esprit. Obstupesco ad judicia sæculi nostri, et tam irritabiles animos illorum (bonos non tango) θεολογουμένων. Jocos nemo ferè jam admittit, et ex levissimâ quisque re gravem calumniandi caussam et ansam captat[19]. Il pria son bon ami Monavius d’intercéder pour le libraire auprès des magistrats et des professeurs de Leipsick, et de faire en sorte qu’ils ne fissent rien qui pût flétrir l’honneur de lui Acidalius. Il craignait de n’en être pas quitte pour les diffamations dont on l’accablait : il n’était pas sans quelque peur que l’on n’excitât contre lui la fureur du peuple, et surtout il désirait passionnément de n’avoir rien à démêler avec les prédicateurs. Nomen sic traductum jam in vulgus calumniosis fabulis satis sit, quod est nimio plus satis : ulterius ne quid furori populari concedatur. In primis a theologis et concionatoribus ne quid noceatur mihi, cum quibus nolo committi, nec quicquam magis opto quàm illorum tribunitiis edictis nunquàm misceri, nec scriptis publicis incessi[20]. Il mourut peu de mois après ; et comme la mémoire du scandale que causa la publication de ce livre était encore toute fraîche, on fut beaucoup plus disposé à crier et à tempêter sur le genre de sa mort : Quæ calumniarum et mendaciorum lerna indè potissimium nata est, quòd recens adhuc esset fabula illa in apologeticâ epistolâ satis refutata, quæ multorum animis altè nimis insederat, ut facile esset improbis quidvis in invidiam trahere, conviciis proscindere, et è plaustro quasi calumniari [21]. Au reste, il assure que l’écrit en question courait depuis assez longtemps de main en main, et qu’apparemment il avait été composé dans la Pologne.

Peu de gens s’étonneront qu’Acidalius ait cru qu’il aurait affaire à une trop forte partie s’il se commettait avec les prédicateurs ; car, comme on est fort enclin à mal juger de son prochain, on se figure assez ordinairement qu’ils ressemblent à Éole :

Æole, (namque tibi divûm pater alque hominum rex,
Et mulcere dedit fluctus et tollere vento)[22] ;


mais de telle manière qu’ils sont plus capables d’exciter une tempête que de l’apaiser. Ce dernier effet demande des hommes graves :

Tum pietate gravem ac meritis si fortè virum quem....

Ille regit dictis animos, et pectora mulcet[23].
Il n’en faut pas tant pour produire l’autre.

(H) Qu’il était médecin. ] On lui donne cette qualité dans un ouvrage de Scioppius[24]. Il arriva en effet jusqu’au doctorat : mais ce fut seulement ad honores ; car il ne pratiqua jamais, et n’eut jamais envie de pratiquer. Il n’y avait que les maladies des manuscrits qu’il se proposât de guérir. Medicum τῇ πράξει nec ago, nec agere propositum unquàm fuit : certo consilio tamen inter ejus artis candidatos nomen dedi, nec pœnitet, eo, quod petii, indè jam ablato, etc. [25]. Un peu auparavant il avait dit, Dabam illic (in Italiâ) me τοῖς Ἀσκληπιάδαις, quorum sacris et in Italiâ fueram initiatus : ce qu’il dit ailleurs[26] signifie davantage, Indè rediens cum solemni illorum (studiorum medicinæ) honore.

  1. Valens Acidal. in Epist., pag. 209, 215.
  2. Apud Konigii Biblioth. pag. 6.
  3. Nissa ad fluvium cognominem, episcopi Wratislaviensis sedes. Bune, in Cluverii Introd. lib. III, cap. XIII, pag. 196, edit. Amst. anno 1697.
  4. Pag. 228, 318.
  5. Barthius avait écrit cela de sa main sur son exemplaire des Poésies d’Acidalius. Voyez Konigii Biblioth. vet. et nov. pag. 6.
  6. Christian. Acidalius in præf. Epist. Valentis Acidalii, Hanoviæ editarum, anno 1606
  7. Id. ibid.
  8. Valens Acidal. Epist. pag. 317, 326.
  9. Barth. in Statium, tom. I, pag. 239.
  10. Teissier, Éloges tirés de M. de Thou, tom. II, pag. 215.
  11. La même.
  12. Borrich. Dissert. de Poët. pag. 125.
  13. In Claudian. apud Konigii Biblioth. p. 6.
  14. Christ. Acidal. præfat. Epistolar. Val. Acidalii.
  15. Baillet, Jugem. sur les poët. num. 1346.
  16. C’est-à-dire, Dissertationis Mulieres non esse Homines.
  17. Placcius de Anonymis, pag. 72.
  18. Ut genus hominum lucri cupidum est, cùm aviditati ejus emolumentum editionis non satis respondisset, questum persœpè de jacturâ suâ. Valens Acidal. Epist. Apolog. ad calcem Epistolarum.
  19. Acidalii Epistola Apologet. ad calcem Epistular.
  20. Ibid.
  21. Christ. Acidal. præf. Epist. Val. Acidal.
  22. Virgil. Æneld. lib. I, vs. 65.
  23. Ibidem, vs. 151.
  24. Scioppius, de Arte criticâ, pag. 18.
  25. Val. Acidal. Epist. pag. 215, ac etiam pag. 194, 209.
  26. Ibid, pag. 249.

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