Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Maldonat 2


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MALDONAT (Jean), jésuite espagnol (A), naquit l’an 1534. Il fit ses études à Salamanque, et il y enseigna la philosophie : la théologie et la langue grecque, avant que de se vouer à la compagnie des jésuites dans la même ville. Il n’y prit point l’habit de l’ordre, mais à Rome, l’an 1562. Il fut envoyé à Paris l’année suivante, pour y enseigner la philosophie dans le collége que les jésuites venaient d’obtenir. Il y enseigna ensuite la théologie (B) avec un très-grand succès ; car ce que l’on conte de la multitude de ses auditeurs est admirable (C). Il fut envoyé à Poitiers avec neuf autres jésuites : l’an 1570. Il y fit des leçons latines, et il y prêcha en français ; mais n’ayant pu y fonder un bon établissement, il s’en retourna à Paris[* 1], après avoir soutenu quelques disputes contre ceux de la religion. Il fit une course en Lorraine, et en passant par Sedan il y disputa contre plus de vingt ministres (D). Il eut de fâcheuse affaires à Paris ; car non-seulement on l’accusa d’hérésie, mais aussi d’avoir volé une succession (E) en séduisant le président de Saint-André, pour l’obliger à laisser son bien aux jésuites. Pierre de Gondi, évêque de Paris, le justifia d’hérésie (F), et le parlement le déclara innocent de l’autre crime. Mais cela n’empêcha point que Maldonat ne prît la résolution de s’aller cacher dans le collége de Bourges, pour s’y appliquer tout entier à des commentaires sur l’Écriture. Il fit un songe que l’événement confirma (G). Étant allé à Rome par ordre du pape, pour travailler à l’édition de la bible grecque, il y acheva son commentaire sur les évangiles, et le présenta au général Aquaviva, le 21 de décembre 1582. Un peu après il tomba malade précisément selon son songe, et fut trouvé mort dans son lit la veille des rois 1583. Il n’y a point de doute qu’une trop ardente application à l’étude ne lui ait abrégé les jours. Il composa quantité de livres (H), qui témoignent qu’il avait beaucoup de capacité [a]. M. de Thou lui donne de grands éloges (I). Quelques protestans lui en donnent aussi beaucoup [b] ; mais ils se plaignent des emportemens de sa plume. Quelques autres en parlent avec le dernier mépris (K). On a fait plus de vacarme que la chose ne méritait, sur une de ses leçons touchant l’existence de Dieu ; et je m’étonne que Pasquier n’ait pas compris la faiblesse (L) de cette objection.

  1. * Joly transcrit quelques particularités concernant Maldonat, extraites des Mémoires apologétiques de la compagnie de Jésus en France, par le père François de la Vie, conservés en manuscrit dans la bibliothéque du collége de Dijon.
  1. Tiré de Natanaël Sotuel, Bibl. Script. societ., pag. 473 et seq.
  2. Voyez Pope Blount, Censura autorum, pag. m. 535.

(A) Jésuite espagnol. ] Le lieu de sa naissance s’appelle las Casas de la Reina : il est situé proche de Léréna dans la province d’Estramadure [* 1], et appartient au grand-maître des chevaliers de Saint-Jacques. Maldonat atteste toutes ces choses dans un écrit signé de sa main, qui est conservé à Rome dans des archives des jésuites [1]. Ainsi George Cardose [2], M. de Thou [3], et M. Thiers [4] se trompent quand ils le font Portugais. Alegambe ne connaissait pas ceci trop exactement ; car il nomme la patrie de Maldonat Fuente del Maestro in ditione Zafrensi [5]. Nicolas Antonio [6] la nomme de même. M. Moréri a perverti ce nom en celui de Fruente deli Maestro.

(B) Il y enseigna ensuite la théologie. ] Je n’ai pas voulu dire qu’il l’y enseigna pendant dix ans tout entiers, encore que Sotuel l’assure [7] ; car j’ai trouvé cela un peu embrouillé. Cet auteur débite que Maldonat enseigna d’abord la philosophie à Paris, où il avait été envoyé l’an 1563, et qu’il alla à Poitiers environ l’an 1570, et qu’ensuite il fit une course en Lorraine. On ne nous parle plus de ses leçons en théologie : où prendrons-nous donc les dix années ? Sotuel aurait dû dire qu’après le voyage de Lorraine Maldonat recommença à professer au collége de Paris. Maldonat régenta d’abord la philosophie, et commença de le faire l’an 1564 [8]. Il employa deux ou trois ans à cela : un cours de philosophie ne durait guère moins alors [* 2]. Il enseigna ensuite la théologie, et en acheva le cours dans quatre ans. Tradidit ille primùm totam theologiam compendio annis quatuor [9]. Nous voilà au temps qu’il fut envoyé à Poitiers. Or comme un ministre [10], qui avait changé de religion pendant le massacre de la Saint-Barthélemi, l’accompagna au voyage de Lorraine, nous ne pouvons placer ce voyage avant le mois de septembre 1572. Il y a beaucoup d’apparence qu’étant de retour à Paris, il commença d’exécuter le dessein qu’il avait formé de dicter un cours de théologie plus ample que le précédent ; car s’il eût commencé de l’exécuter après son retour de Poitiers, l’eût-on tiré de cet exercice pour l’envoyer en Lorraine ? Ce cours plus ample fut interrompu par les procès d’hérésie, et de séduction testamentaire, qui lui furent intentés. Iterùm eandem uberiùs tradere aggressus, cùm jam procul esset progressus alienissimo sanè tempore, ab hostibus variis calumniis appetitus est [11]. Or ce procès fut vidé l’an 1575 ; et Maldonat, malgré son absolution, ne laissa pas de quitter Paris : je ne suis donc point où l’on trouverait les dix années de profession en théologie dont nous parlent les deux bibliothécaires des jésuites.

Je me suis arrêté à ces bagatelles, afin de faire sentir qu’un narré chair et exact est un ouvrage plus difficile qu’on ne pense. Alegambe, qui passe pour très-exact, ne nous jette-t-il point ici dans la confusion ? Que peut-on voir de plus ténébreux que son récit ? Ceux qui font des livres semblables au sien devraient savoir ce que je critique ici.

(C) Ce que l’on conte de la multitude de ses auditeurs est admirable. ] Les bibliothécaires de la compagnie assurent, que de peur de ne trouver point de place, on se rendait à l’auditoire deux ou trois heures avant qu’il montât en chaire, et qu’il fut souvent obligé de faire leçon dans une cour, et dans les rues, parce que les bancs ne suffisaient pas à ceux qui venaient l’entendre. Ils ajoutent qu’il y eut même des ministres qui furent à ses leçons. Ne ipsi quidem calvinistæ, et calvinistarunt ministri ipsius prælectionibus abstinerent. Duabus quotidiè, tribusve horis antè subsellia certatim implebant, quàm ludum ille ingrederetur, ne excluderentur. Sæpé in aperto, atque adeò in viis publicis docere coactus est ob multitudinem auditorum, quos nullæ exedræ capiebant [12] [* 3].

(D) Il disputa à Sedan contre plus de vingt ministres. ] Génébrard, auteur suspect, témoigne que Maldonat les terrassa tous, et qu’il y en eut deux qui se convertirent. « De quo certamine Genebrardus sic ait, Joannes Maldonatus Capellum, Holinum, Loqueum, et xx alios ministros calvinistas, primùm disserendo, deindè declamitando prostravit : nan in declamationes disputationem commutandam ministri censuerant, quòd ejus vim syllogisticam non possent depellere. Additque Launeum et Henricum Penneterium ministros, qui aderant, fuisse conversos [13]. » Il est sûr que Matthieu de Launoi, et Henri Pennetier changèrent de religion ; mais ce ne fut pas en conséquence de cette dispute de Maldonat. Ils se firent papistes environ l’an 1577, et publièrent aussitôt un ouvrage de controverse [14], qu’ils dédièrent au roi de France. Ils y font mention de Maldonat ; mais sans dire qu’il eût disputé avec les ministres de Sedan, ni que ses raisons leur eussent ouvert les yeux. Ils nous apprennent [15] que l’ex-ministre du Rosier accompagnait Maldonat, et qu’il le quitta à Metz pour s’en aller en Allemagne, parce que les ministres de Sedan lui persuadèrent que s’il s’en retournait à Paris avec ce jésuite, on le ferait mourir, et que Maldonat en avait donné quelque enseigne disant qu’il sentait encore le fagot. Ils ne disent pas en quelle année cela se fit ; mais on peut être assuré que ce fut trois ou quatre ans avant leur abjuration : car, comme je l’ai déjà remarqué, ce fut après la Saint-Barthélemi que Maldonat et du Rosier furent envoyés à Metz. L’on [16] crut à la cour de France que du Rosier, ayant changé de religion, et contribué beaucoup à l’abjuration du roi de Navarre, de la princesse Catherine, du prince de Condé, de la femme et de la belle-mère de ce prince, serait un bon instrument de conversion à Metz ; et c’est pourquoi on l’y envoya avec Maldonat. Le duc de Montpensier les pria d’aller à Sedan, afin qu’ils désabusassent la duchesse de Bouillon sa fille, qui était fort bonne huguenote [17].

(E) Non-seulement on l’accusa d’hérésie, mais aussi d’avoir volé une succession. ] Citons Alegambe. Alienissimo sanè tempore, ab hostibus variis calumniis appetitus est : nam et præsidem Montibrunensem S. Andreæ moribundum circumvenisse, et posteros ejus fortunis evertisse, illi persuadendo ut sua omnia societati legaret, dicebatur, seductor simul et prædo nuncupatus ; et à nonnullis Lutetiæ, zelo præpostero, hæresis est accersitus ; verùm ab hâc eum injuriâ vindicavit summi pontificis Gregorii XIII auctoritate Petrus Gondius Parisiensis Antistes : ab illâ verò publico senatus consulto liberatus est. Verùm quamvis sic ejus innocentia publicè satis testata foret, satiùs tamen fore putavit, si paucorum æmulationi, præsertim ingravescente ætate viribusque labefactis, cederet, lucemque illam hominum fugeret [18].

Antoine Arnauld, plaidant contre les jésuites l’an 1594, suppose que Maldonat était effectivement coupable d’avoir séduit le président de Saint-André, et que le parlement de Paris ne l’en avait point absous. Rien n’en sort, dit-il [19], tout y entre, et ab intestat, et par les testamens qu’ils captent chaque jour, mettant d’un côté l’effroi de l’enfer en ses esprits proches de la mort, et de l’autre leur proposant le paradis ouvert à ceux qui donnent à la société de Jésus : comme fit Maldonat au président de Montbrun Saint-André, tirant de lui tous ses meubles et acquêts par une confession pleine d’avarice et d’imposture, de laquelle M. de Pibrac appela comme d’abus en pleine audience. Je ne sais point ce que le jésuite Richeome répondit sur cet article ; car je n’ai point l’Apologie qu’il publia sous le nom de François de la Montagne [* 4] contre le plaidoyer d’Antoine Arnauld.

(F) Pierre de Gondi..……… le justifia d’hérésie. ] Les bibliothécaires des jésuites n’ont point dit de quelle hérésie il fut accusé ; mais en voici un petit détail que M. Simon me fournit. « Il était difficile qu’un homme de ce mérite, et qui faisait profession de dire librement ses sentimens, sans s’arrêter aux préjugés des autres, plût à tout le monde. Quelques faux zélés l’accusèrent d’avoir enseigné des hérésies. Leurs accusations allèrent si loin, qu’ayant été portées à Rome, le pape Grégoire XIII les renvoya à l’évêque de Paris, pour être examinées sur les lieux. Les faits de l’accusation consistaient en ce qu’il avait enseigné, contre le sentiment de la faculté de théologie de Paris, qu’il n’était point de foi que la Sainte Vierge eût été conçue sauf péché originel. Les docteurs poursuivirent cette affaire avec tant de chaleur, que Maldonat, qui rendait de si bons services à la religion et à l’état, fut obligé de comparaître au tribunal de l’évêque, où il fut absous. Ses confrères jugèrent à propos de faire imprimer la sentence de son absolution à la tête de son Commentaire, de la manière qu’elle avait été publiée. Elle ne se trouve cependant que dans les premières éditions, c’est-à-dire dans celle de Pont-à-Mousson qui parut en 1596, et dans les autres jusques à 1615, auquel temps les jésuites retouchèrent ce Commentaire dans une édition de Lyon : et je vois qu’on a suivi presque toujours dans la suite cette édition réformée, d’où l’on a ôté la sentence d’absolution que je rapporterai ici entière, comme je l’ai lue dans l’édition de Pont-à-Mousson [20]. » M. Simon, ayant rapporté toute la sentence [21], ajoute qu’encore qu’elle fût bien favorable, Maldonat jugea qu’il était plus à propos d’abandonner entièrement ses leçons de théologie, que de donner occasion à ses ennemis de lui susciter de nouvelles affaires. Il se retira à Bourges, pour y étudier en repos dans le collége de la société [22].

Rapportons ici quelques extraits des registres de la faculté de théologie de Paris. Jean Maldonat faisait des leçons sur le maître des sentences au collége de Clermont, l’an 1574, et disputait ardemment sur la conception immaculée de la Sainte Vierge, contre la faculté de théologie, qui faisait jurer à ses suppôts qu’ils croiraient comme un article de foi cette conception. Le recteur de l’université de Paris convoqua les quatre facultés ; et d’un commun consentement elles résolurent de se plaindre de ce jésuite à Pierre de Gondi, évêque de Paris. La faculté de théologie s’étant assemblée, tous les docteurs, hormis huit ou neuf, déclarèrent formellement qu’ils tenaient comme un article de foi que la Sainte Vierge avait été conçue sans péché originel. De là vint que l’évêque de Paris publia une censure contre le recteur, et contre les principaux membres de l’université ; mais voyant que son procédé excitait beaucoup de tumultes, il changea d’avis, et lança une excommunication sur le doyen, et sur le syndic de la faculté de théologie. Les quatre facultés en appelèrent comme d’abus au parlement, qui désapprouva la conduite de l’évêque. Vous trouverez ceci en latin dans un livre de M. Joly [23] [* 5]. Vous y trouverez aussi [24] ce que je vais copier. « Cinq mois et un jour après la sentence de M. l’évêque de Paris, par laquelle Maldonat fut renvoyé de l’accusation d’hérésie à lui imposée, au sujet de la conception ; et après que le recteur et ses principaux suppôts, le doyen et syndic de la faculté furent excommuniés, pour avoir contrevenu au décret du concile de Trente, rapporté ci-devant, toutes les facultés, le 18 juin 1575, déclarèrent que M. l’évêque de Paris m’avait point la puissance d’excommunier ni le recteur, ni les personnes principales de l’université, et condamnèrent en outre les paroles de Maldonat d’hérésie. Voici les paroles tirés des registres de la nation de France. Rursùs 18 ejusdem mensis junii eædem facultates fuerunt convocatæ super anathemate episcopi Parisiensis, qui quoniam dominus Tissart rector proposuerat omnibus facultatibus dictos articulos Maldonati cum et cæteri academiæ.......... percussit, declaratum est et conclusum episcopum Parisiensem non posse ferire anathemate neque rectorem, neque cæteros academiæ proceres, eâdemque congregatione fuit condemnata opinio Maldonati tanquam hæretica. » Ceux qui connaissent l’état présent de la controverse de l’immaculée conception, admirent sans doute qu’un jésuite ait été persécuté par la Sorbonne pour un tel sujet.

(G) Il fit un songe que l’événement confirma. ] Il crut voir un homme pendant quelques nuits, qui l’exhortait à continuer vigoureusement son Commentaire, et qui assurait qu’il l’achèverait, mais qu’il ne survivrait guère à la conclusion. En disant cela cet homme marquait un certain endroit du ventre, qui fut le même où Maldonat sentit les vives douleurs dont il mourut. Cùm autem instituisset primùm in quatuor Evangelia Commentarios scribere, per aliquot noctes visus est sibi videre quendam, qui ut strennè, cœptunt opus prosequeretur, exhortabatur, fore enim ut illud ex sententiâ perficeret : sed operi parùm diù supervicturum ; atque hæc cùm diceret, intento digito certam aliquam ventris partem illi signabat. Hoc visum quanquàm pro somni ludibrio habitum, comprobavit eventus ; nam à Gregorio XIII pontifice maximo è Galliâ in urbem accersitus ; ut operam sua prestaret ad editionem græcam lxx interpretum, quam parabat, non diù Romæ superstes fuit. Ibi lucubrationem illam suam absolvit, et Claudio Aquavivæ recens in præpositum generalem electo ad diem xxi decembris, anno mdlxxxii obtulit ; ac secundum id, acerrimus eum dolor incessit eâ corporis parte, quæ tanto jam priùs illi fuerat per nocturnam signata visionem [25]. Il est très-probable qu’on a su cela de Maldonat même, et qu’il n’a point prétendu tromper ceux à qui il le racontait. Il est d’ailleurs peu probable que le hasard ait été cause de cette grande conformité entre le songe de ce jésuite et l’événement. De tels faits, dont l’univers est tout plein, embarrassent plus les esprits forts qu’ils ne le témoignent.

(H) Il composa beaucoup de livres. ] Il ne publia rien lui-même ; tout ce qu’on a vu de lui a été mis sous presse depuis sa mort. Le premier de ses ouvrages qui ait vu le jour, est le Commentaire sur les quatre Évangiles [* 6]. M. Simon en a dit beaucoup de bien. Voici ses paroles : elles sont critiques et historiques en même temps [26]. « De tous les commentateurs dont nous avons parlé jusques à présent, il y en a peu qui aient expliqué avec tant de soin, et même avec tant de succès, le sens littéral des évangiles, que Jean Maldonat, jésuite espagnol. Étant mort à Rome avant qu’il eût atteint l’âge de cinquante ans, Claude Aquaviva, général de sa société, à qui il recommanda son Commentaire en mourant, donna ordre aux Jésuites de Pont-à-Mousson de le faire imprimer sur une copie qui leur fut envoyée. Ces jésuites témoignent dans la préface qui est à la tête de cet ouvrage, qu’ils y ont inséré quelque chose de leur façon, et qu’ils ont été obligés de redresser la copie MS. qui était défectueuse en quelques endroits, n’étant point en leur pouvoir de consulter l’original qui était à Rome. L’auteur, de plus, n’ayant point marqué à la marge de son exemplaire, les livres et les lieux d’où il avait pris une bonne partie de ses citations, ils ont suppléé à ce défaut. Il paraît même que Maldonat n’avait pas lu dans la source tout ce grand nombre d’écrivains qu’il cite ; mais qu’il avait profité, comme il arrive ordinairement, du travail de ceux qui l’ont précédé. Aussi n’est-il pas si exact que s’il avait mis la dernière main à son Commentaire [27]. Nonobstant ces défauts, et quelques autres qu’il est aisé de redresser, on voit bien que ce jésuite a travaillé avec beaucoup d’application à cet excellent ouvrage. Il ne laisse passer aucune difficulté qu’il ne l’examine à fond. Lorsqu’il se présente plusieurs sens littéraux d’un même passage, il a de coutume de choisir le meilleur, sans avoir trop d’égard à l’autorité des anciens commentateurs, ni même au plus grand nombre, ne considérant que la vérité en elle-même. Il rejette souvent les interprétations de saint Augustin, etc. »

Les Commentaires de Maldonat sur Jérémie, Baruch, Ezéchiel et Daniel furent imprimés à Lyon, l’an 1609, et à Cologne, l’an 1611. On y joignit son Exposition du psaume cix et une lettre touchant sa dispute de Sedan. Son Traité de Fide fut imprimé à Mayence l’an 1600, et celui des Anges et des Démons, à Paris l’an 1605. Quant à la Somme des cas de Conscience, et aux Controverses des sept Sacremens, deux ouvrages qui ont paru sous son nom, les bibliothécaires de la compagnie les traitent de supposés. Voici leurs paroles : « Summa casuum conscientiæ, quæ tanquam hausta è scriptis et doctrinâ Maldonati et collecta per Martinum Codognat, Minimum, prodiit Lugduni apud hæredes Gulielmi Rovillii mdciv, Venetiis etiam et alibi, partus supposititius est, erroribus scatens, Maldonato prorsùs indignus, et meritò ab apostolici sede damnatus. Similiter Disputationum ac Controversiarum decisarum circa vii Ecclesiæ romanæ Sacramenta, tom. ii Lugduni sinè typographi nomine, nec illius nec ullius de societate sunt, et suos etiam errores continent [28]. » Ils ne disent rien d’un in-folio, qui fut imprimé à Paris, chez Sébastien Cramoisy, l’an 1643, sous lettre de Joannis Maldonati soc. J. Commentarii in præcipuos sacræ Scripturæ libros Veteris Testamenti. Don Nocolas Antonio en fait mention [29], et de quelques autres ouvrages MS. du même jésuite. On publia à Paris, en 1675, quelques pièces de Maldonat qui n’avaient jamais paru : son Traité de la Grâce, celui du Péché originel, celui de la Providence et de la Justice, celui de la Justification et du mérite des œuvres, ses Préfaces, ses Harangues, ses Lettres. Ces nouveaux traités ne composent pas trois volumes in folio, comme l’assure M. Teissier [30] ; ils n’en composent qu’un. Les deux autres, imprimés en même temps chez Pralard, avaient déjà vu le jour. On fait espérer d’autres traités de ce jésuite, et il est assez probable qu’on en trouvera, parce qu’un grand nombre de gens firent copier ce qu’il dictait à Paris [31]. Je crois que M. du Bois, docteur de Sorbonne, a procuré l’édition des nouveaux traités de Maldonat : il y a mis une préface qui contient l’éloge de ce jésuite [32].

J’ai lu dans un livre de M. Joly un passage que je vais copier. « Les lettres manuscrites de Maldonat, et son livre des Sacremens, ont été imprimés à Paris il y a vingt ou trente ans ; mais les jésuites en retirèrent toutes les copies [33]. » M. Simon a prouvé que cet ouvrage sur les Sacremens est de Maldonat [34]. Voyez la quinzième de ses Lettres Choisies : elle est toute pleine de particularités touchant ce docte jésuite. Voyez aussi le même ouvrage de M. Simon, aux pages 181, 182, 187, 188.

(I) M. de Thou lui donne de grands éloges. ] Selon lui, le mérite de Maldonat fut cause que le parlement de Paris ne prononça rien au désavantage des jésuites, quoiqu’ils fussent devenus suspects aux plus sages têtes, et que toute l’université les haît beaucoup. Peut-on mieux louer un homme ? Unus in caussâ extitisse meritò creditur, ut sodalitium illud toti academiæ valdè invisum, et alioqui jam prudentioribus suspectum, ob tanti viri gratiam ac commendationem à senatu apud quem lis adhuc indecisa pendebat, tamdiù toleraretur ; et eousque dùm rebus sodalium in urbe confirmatis, Maldonatus post conciliatam insigni suâ unius eruditione novo ordini celebritatem, à Gregorio XIII pontifice Romam evocatus est [35]. M. de Thou venait de dire que ce jésuite avait joint une piété singulière, et la pureté des mœurs, et un jugement exquis, avec une exacte connaissance de la philosophie et de la théologie : Qui ad exactum philosophiæ et theologiæ studium singularem pietatem, morum candorem et acerrimum judicium cùm attulisset, magnâ cum laude et frequenti omnium ordinum concursu totos X annos Lutetiæ Parisiorum, ubi et eum pueri audivimus, in Claromontanâ scholâ professus est [36]. Il n’a point su le véritable âge de Maldonat : il le fait vivre plus de cinquante-six ans, et il ne fallait pas même lui en donner cinquante. On s’étonnera moins de cette faute, quand on saura que Richeome a fait Maldonat plus jeune qu’il ne fallait, dans un temps où l’intérêt de sa cause semblait demander qu’au lieu de lui ravir des années, il lui en donnât. On reprochait aux jésuites qu’ils mettaient de jeunes gens pour enseigner les basses classes [37]. Richeome répond [38] que Jean Maldonat commença à lire la philosophie l’an 1564, âgé de vingt-sept ans. C’est une erreur : il fallait dire âgé de trente ans, et par-là, dira-t-on, la réponse eût été meilleure. Il le semble d’abord : mais quand on y regarde de près, on trouve que le mensonge de Richeome fait du bien à sa cause ; car son but était de prouver qu’un homme, pour être jeune, ne laisse pas d’être propre à bien enseigner. Maldonat, dont les leçons furent admirées, en est un exemple. Or plus vous le ferez jeune, plus vous donnerez de poids à cet exemple. Ainsi Richeome ne se trompait pas à son dam.

J’ai dit ailleurs [39], qu’il est difficile de bien abréger un livre : disons ici qu’il est malaisé d’y bien faire des additions. Il y a telle addition qui demande que l’on corrige vingt endroits. La patience seule ne rend pas toujours capable de faire ces changemens : il faut de plus s’apercevoir des rapports les plus imperceptibles, et s’en souvenir long-temps, et toutes les fois que cela est nécessaire. Un auteur qui augmente son propre ouvrage n’a pas toujours ces qualités ; mais pour l’ordinaire il s’acquitte mieux des corrections que les endroits ajoutés demandent, que ne fait un homme qui augmente le travail d’autrui. On doit excuser sa faute, quand l’addition est fort éloignée du lieu qui doit être corrigé. Sotuel n’est point dans le cas à l’égard de ce qu’on va censurer ; car son addition ne précède que de peu de lignes les paroles d’Alegambe, qui devaient être corrigées. Alegambe a dit que Maldonat était mort au commencement de sa cinquantième année, le 5 janvier 1583 [40]. S’il ne l’a pas pu dire sans s’exposer à débiter un mensonge, il a pu du moins le dire sans se réfuter soi-même, puisqu’il n’a marqué quoique ce soit touchant l’année de la naissance. Sotuel, son continuateur, a inséré quelques additions de Maldonat ; une entre autres qui nous apprend que ce jésuite naquit l’an 1534. Dès lors les paroles d’Alegambe que j’ai rapportées sont fausses ; et néanmoins : Sotuel n’y a rien changé ; il les a donc rapportées, et par conséquent il est coupable de contradiction, ou de faux calcul.

(K) Quelques protestans….. se plaignent des emportemens de sa plume. Quelques autres en parlent avec le dernier mépris. ] Citons Casaubon [41]. Quùm ubique virulentus hic scriptor in magnos viros pro suâ modestiâ, pari petulantiâ debacchetur ; nusquàm tamen maledicæ suæ laxiores habenas indulsit, quàm in hâc disputatione : hæreticos tertio quoque verbo nominans illos, qui eandem cum Augustino et aliis sententiam tuentes Petram exponunt de Christo : cujus majestatem defendere : hodie est hæresin committere [42]... Omnium accuratissimè (quòd equidem sciam) ejusmodi argumenta congessit in hunc locum Maldonotus, acris et magni ingenii vir ; si affectibus, si linguæ, si odio veritatis, potuisset moderam. Il y a là, et des choses obligeantes, et des choses offensantes ; mais Scaliger ne garde pas ce tempérament, il ne parle de ce jésuite qu’en mal : s’il lui accorde l’avantage d’avoir débité de bonnes choses, il lui en ôte toute la gloire ; car il l’accuse de les avoir dérobées. Maldonatus in evangelia maledicus, insignia tamen quædam habet bona. Ayant tout pris de M. de Bèze il en médit. Quandò aliquid habet boni furatur à Calvino, et ut agnoscus, maledicit ci, ut Eusebius ex Africano conatur furta sua tegere [43]. Il s’était servi du mot lion pour le désigner ; mais il le nia quand il vit que l’on en tirait avantage. Il faut croire qu’il ne se souvenait pas d’avoir employé ce terme, et qu’il ne prétendit point, quand il s’en servit, qu’il demeurât rien d’obligeant dans son allusion. Quoi qu’il en soit, voici mes preuves. [44] Pag. 313. Insultos Scioppio : Proferat fur (inquis) scriptam meum, in quo ulla vestigia existent, quòd Maldonatum LEONEM vocârim. Proh Deum immortalem ! tunc tam impudens es, ut id negare audeas ? Cedo enim, an non hæc tua sunt verba de Maldonato in Elencho trihæresii adversùs Serarium, cap. xi, fol. 89. Raro verum dicit, nisi in illis, quæ ab aliis accipit, quibus cùm maledicit, putat se furta sua occultare posse. Utinam viveret, non inultas sycophantias ferret. Sed LEONI non respondetur post mortem ejus. I nunc, et Scioppium mendacii postula. Rivet a suivi les traces de Scaliger : il ne laisse à Maldonat aucune bonne qualité [45] ; il en fait, et un fort malhonnête homme, et un ignorant, ou du moins un faux savant. Paréus, dans son Commentaire sur saint Matthieu, a censuré ce jésuite très-souvent et très-fortement.

(L) Pasquier n’a pas compris la faiblesse de cette objection. ] Voici un passage du plaidoyer qu’il prononça contre les jésuites, l’an 1564. Depuis deux mois en ça votre métaphysicien Maldonat a voulu par l’une de ses leçons prouver un Dieu par raisons naturelles, et en l’autre par mêmes raisons, qu’il n’y en avait point. Faire le fait et le défait sur un si digne sujet ! je demanderais volontiers auquel il y a plus d’impiété et transcendance, ou en la première, ou en la seconde leçon ? Et en effet ce sont les saints mystères esquels vous reluisez sur le peuple, ce sont les belles semences que vous dispersez entre nous [46]. Il y a trois fautes dans ce reproche. 1°. C’est agir contre la bonne foi, que de prétendre qu’un homme qui, après avoir exposé les preuves de l’existence de Dieu, expose les raisonnemens ou les objections des athées, prétend renverser ce qu’il avait établi. On ne peut donc disculper cet avocat : il a rapporté infidèlement l’état de la chose ; il a voulu persuader que Maldonat s’était proposé également de prouver qu’il y a un Dieu, et qu’il n’y a point de Dieu. Ce n’était point l’intention de ce jésuite : il se proposait dans l’un et dans l’autre de ces deux discours les preuves de l’existence de Dieu : dans le premier, par l’exposition des argumens très-solides de ceux qui la tiennent ; dans le second, par l’exposition des argumens faibles de ceux qui la nient. 2°. Pasquier se trompe puérilement lorsqu’il blâme cette méthode de dogmatiser ; car il n’y a point de matière sur quoi il ne faille qu’un philosophe examine les objections des adversaires, sans les énerver par politique. Ainsi le métaphysicien Maldonat ne faisait que son devoir, lorsqu’il destinait une leçon à l’examen des raisonnemens des impies. 3°. C’est une absurdité, je ne dirai pas indigne d’un aussi docte personnage qu’Étienne Pasquier, mais de tout homme qui a un peu de sens commun, que d’assurer qu’il y a autant d’impiété à prouver un Dieu par raisons naturelles, qu’à prouver par mêmes raisons qu’il n’y en a point. Tous ceux qui feront attention à ces trois censures du passage de Pasquier, croiront sans peine, et sans attendre des preuves, que cet habile avocat a eu la honte de succomber là-dedans. Je ferai voir néanmoins de quelle façon on le poussa.

Devant que monstrer icy l’ignorance de Pasquier, faut noter le subject de la calomnie. Maldonat en ceste année, l’an 64, traictoit la question utile en tout temps, et necessaire au nostre ; question que le maistre des sentences, saint Thomas et tous les autres docteurs théologiens, traictent ès questions de Deo, à sçavoir s’il y a un Dieu ; laquelle question se doibt decider par raisons naturelles, et sert pour oppugner les athées, qui ne croyent point de Dieu, et en disputant ne reçoivent aucun tesmoignage de l’Escriture, mais seulement les argumens tirez du cru de la nature. Pour la traicter solidement, les théologiens apportent les argumens pro et contrâ, et confirment la verité par vives raisons, et par les mesmes refutent le mensonge et impieté des athées, et leurs argumens contraires. Ainsi fit Maldonat. Pasquier n’ayant ny sceu ny voulu entendre le sens de la question, a faict le fond de la calomnie tant sur son ignorance, que sur sa malignité. Or en ceste question il y a deux propositions contradictoires : l’une est, il y a un Dieu ; l’autre est, il n’y a point de Dieu. Pasquier appelle l’une et l’autre de ces propositions impie également et avec transcendance, c’est-à-dire demesurément. Et en cela nous fait premierement voir qu’il est demesurément ignorant, non seulement en la religion ; mais aussi au premier principe de la nature. Secondement que luy-mesme est impie [47]. L’avocat des jésuites gâte ici sa cause ; car il prend de travers la pensée de son adversaire, et le réfute sur une impiété chimérique ; car le sens de Pasquier n’est point qu’il y ait autant d’impiété dans cette proposition il y a un Dieu, que dans celle-ci, il n’y a point de Dieu : c’est néanmoins ce qu’on lui impute, et à la réfutation de quoi l’on emploie toute une page que je ne rapporte point. Son sens est qu’il y a autant d’impiété à prouver par des raisons naturelles l’existence de Dieu, qu’à la nier par des raisons naturelles. Voici de quelle manière on le bat en ruine, en l’attaquant de ce côté-là, qui était le seul par où il le fallait attaquer. Il n’est pas moins ignorant et impie en la religion chrestienne, qu’en la nature, quand il pense estre impieté de prouver un Dieu par raisons naturelles. Je le monstre aussi clairement. Il n’y a chretien si peu instruit en nostre foi, qui ne sçache que Dieu se monstre et se prouve luy-mesmes par ses œuvres. Il n’y a aucun bon philosophe encore que payen, qui n’aye naturellement cogneu et confessé un Dieu par les œuvres de Dieu. L’Escriture dict appertement que les choses créées tesmoignent qu’il y a un Dieu. Saint Paul le monstre à dessein, escrivant aux Romains disant, les choses invisibles viennent en évidence par les choses faites visibles. Et parlant des philosophes il dit, lesquels ayans cogneu Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu [48].

Si Pasquier s’était servi de sa sagesse, il se serait tenu toute sa vie dans un morne et profond silence à l’égard de son reproche contre Maldonat ; mais, quelque faible qu’il sentît, et quelque incapable qu’il se trouvât de se donner là-dessus les airs triomphans qu’il se donne dans le reste de son catéchisme, il ne voulut point se taire : il prétendit [49] que les jésuites qui soutenaient Maldonat étaient tombés dans des hérésies condamnées par toute l’église gallicane, et par le pape Innocent II, savoir, dans les hérésies de Pierre Abélard, qui avait dit qu’il ne faut croire que les choses que l’on peut prouver par des raisons naturelles. C’était rendre sa dernière condition plus mauvaise que la première ; et ce sera toujours le sort de ces opiniâtres qui, étant tombés dans de lourdes fautes, ne veulent ni les reconnaître de bonne foi, ni se taire, mais soutenir qu’ils ont raison. Il leur arrivera toujours de se défendre d’une fausseté par une autre [50]. Ce fut ainsi qu’en usa Pasquier, et il s’en trouva très-mal. Lisez ce qui lui fut répliqué. « On l’avoit noté d’avoir dict, calomniant les leçons de Jean Maldonat, théologien de ceste compagnie, que c’estoit aussi grande impieté de prouver par raisons naturelles qu’il y a un Dieu, comme de prouver qu’il n’y en a point ; blasphème et ignorance grossiere : donnant contre Dieu qui se prouve et manifeste luy-mesme par toute la nature ; contre ses saincts ; contre la saincte Écriture ; et contre tout l’univers, qui tesmoignent ensemblement par les creatures qu’il y a un Dieu, tout puissant, tout bon, et tout sage. Comment s’est-il purgé de ce crime ? En disant que les jesuites enseignent aujourd’huy par la plume de René de la Fon, que la deïté se doit prouver par raisons naturelles, et que celuy qui s’arreste seulement à la foi est impie. Double imposture pour justification : car René de la Fon dict seulement, comme disoit Maldonat et tous les theologiens ; qu’on peut enseigner avec pieté, qu’il y a un Dieu par raisons naturelles, contre les athées, qui est la doctrine catholique : et non qu’on doive prouver la deïté par raisons naturelles seulement sans s’arrester à la foy, qui seroit l’heresie d’Abailard, qui ne vouloit rien croire que par raisons naturelles, et destruisoit la foy, qui croit ce qui est par dessus la raison et le sens. Et partant au lieu de se purger, il s’est chargé de deux nouvelles calomnies [51]. »

Pasquier aurait pu se défendre moins grossièrement, s’il avait dit que puisqu’on ne prouve pas les premiers principes, tous ceux qui s’avisent de prouver qu’il y a un Dieu avouent par-là qu’ils ne mettent point entre les premiers principes cette thèse, il y a un Dieu. Or c’est un acte impie que de ne la pas compter parmi les premiers principes. Mais cette réponse, quoique moins grossière que l’autre, n’eût pas laissé d’être très-mauvaise ; car elle eût porté accusation d’impiété contre les plus saints et les plus célèbres auteurs, et contre l’usage même de tous les siècles, autorisé par l’état et par l’église. Je n’aurais jamais fait, si j’entreprenais de nommer tous les auteurs qui ont prouvé par des raisons naturelles qu’il y a un Dieu : je dis les auteurs pieux, et autant recommandables par leur vertu que par leur érudition. Et chacun sait que dans toutes les écoles de la chrétienté où l’on enseigne la philosophie, il y a toujours un chapitre de métaphysique destiné aux preuves que la lumière naturelle nous fournit de l’existence de Dieu, et à la réfutation des sophismes des athées. La plupart des lieux communs de théologie qu’on a publiés contiennent un tel chapitre. On serait donc ridicule, si l’on prétendait que tous ceux qui prouvent par des raisons naturelles qu’il y a un Dieu sont impies, ou ne reconnaissent pas comme un principe cette thèse, il y a un Dieu. Il faut savoir que toutes les propositions qu’on nomme principes, ne sont pas également évidentes. Il y en a qu’on ne prouve point, parce qu’elles sont, ou aussi claires, ou plus claires que tous les moyens dont on se voudrait servir pour les prouver. Telle est, par exemple, cette proposition : La tout est plus grand que sa partie : si de deux quantités égales, vous ôtez des portions égales, les restes seront égaux : deux et deux font quatre. Ces axiomes ont cet avantage, que non-seulement ils sont très-clairs dans les idées de notre esprit, mais qu’ils tombent aussi sous les sens. Les expériences journalières les confirment ; ainsi la preuve en serait très-inutile. Il n’en va pas de même à l’égard des propositions qui ne tombent pas sous les sens, ou qui peuvent être combattues par d’autres maximes : elles ont besoin d’être discutées et prouvées. Il faut les mettre à couvert des objections. On ne peut nier que cette thèse, il y a un Dieu, ne soit de ce nombre : elle ne tombe jamais directement sous les sens : elle a été niée dans tous les siècles par des gens d’étude, et qui faisaient profession de raisonner ; et nous verrons ci-dessous [52], qu’elle est niée aujourd’hui par des sectes florissantes. Il n’est donc point superflu d’en entreprendre la preuve : il est même très-utile, et très-nécessaire de la donner, encore qu’on ne la pût pas faire sentir aux esprits vulgaires, comme les propriétés des nombres. C’est ce que prétend un fameux ministre [53].

Mais, dira-t-on, n’est-ce pas une conduite bien scandaleuse, que de proposer comme un problème, dans une leçon de métaphysique, s’il y a un Dieu ? J’ai ouï parler d’un prince allemand, fondateur d’une académie qu’il fut sur le point de casser, ayant appris qu’on agitait cette question-là. Apparemment quelqu’un l’avait alarmé, de la manière que l’on tâcha de surprendre le parlement de Paris contre Maldonat : disons un mot sur cette difficulté. Il est sûr que suivant les règles et la méthode de la dispute, il faut réduire en question cette grande et importante vérité, dès qu’une fois on prend le parti de prouver par des raisons philosophiques qu’il y a un Dieu ; car le but naturel et légitime de cette entreprise est de convaincre de fausseté ceux qui nient cette thèse. Or, selon les règles de la dispute, l’on peut et l’on doit exiger d’eux qu’ils se défassent de leurs préjugés, et qu’ils n’emploient pas leurs principes particuliers contre les raisons qui leur seront opposées ; car s’ils le faisaient, ils tomberaient dans le sophisme que les écoles appellent petitio principii, défaut énorme, et qui doit être banni d’une controverse, comme un obstacle essentiel au dessein qu’on a d’éclaircir une vérité. Ils ont un semblable droit d’exiger la même chose, puisque dans toute dispute bien réglée les combattans se doivent servir d’armes égales. Ainsi pour un certain temps, c’est-à-dire, pendant que chaque parti alléguera ses raisons, ceux qui nient, et ceux qui affirment, doivent mettre à part leur thèse, en ôter l’affirmative et la négative. Ce sera donc une question ; ce sera une matière de recherche, où pour procéder de bonne foi il ne faudra point permettre que nos opinions préconçues donnent du poids aux argumens qui les favorisent, ni qu’elles énervent les raisons contraires. Il faudra examiner tout, comme si nous étions une table rase. Il n’est pas nécessaire de douter actuellement, et moins encore d’affirmer, que tout ce que nous avons cru est faux : il suffit de le tenir dans une espèce d’inaction, c’est-à-dire de ne point souffrir que notre persuasion nous dirige dans le jugement que nous porterons sur les preuves de l’existence de Dieu, et sur les difficultés et les argumens des athées[* 7]. C’est sans doute ce qu’a prétendu M. Descartes, lorsqu’il a voulu que son philosophe doutât de tout, avant que d’examiner les raisons de la certitude. Si l’on ne m’en veut pas croire, qu’on écoute pour le moins un ministre qui veut qu’en disputant avec les athées on renonce pour un temps aux principes dont ils ne conviennent pas. Ut clarè ostendamus, dit-il[54], quæ ista tantoperè declamata dubitatio est, cui tot retrò annis tantæ lites motæ atque etiamnum moventur, rem ipsam paulò altiùs et ab initio repetemus. Constat, ab omni tempore repertos esse, qui Dei naturam, existentiam, providentiam, et quidquid horum est, quibus omnis planè nititur religio, nescio quibus non subtilitatibus aut evertere, aut dubia saltem reddere non vererentur… Cui tamen malo quantùm potè obviam eundo, iisque quos infecisset, convincendis, haud pauci semper viri docti ac egregii ingenia calamosque suos acuerunt. Quibus certè, si quid proficere volunt, non ex principiis adversæ parti negatis, sed ab eddem concessis necessariò est disputandum : ut ut illæ alias in se ipsæ possint esse certissimæ. Quòd cùm rectè perpenderet Cartesius, eaque de existentiâ Dei argumenta proferre studeret, ad quæ pertinacissimus quisque scepticus obmutesceret, ecquid potuit aliter, quùm ut ea omnia de quibus isti dubitant, tantisper, seponeret ? Il nomme Diagoras, Épicure, et les sceptiques : il aurait pu citer des corps entiers de Chinois, comme a fait M. Arnauld : voici comment il parle en s’adressant aux jésuites : Les plus habiles missionnaires de la Chine, dont il y en a qui sont de votre société, soutiennent que la plupart de ces lettrés sont athées, et qu’ils ne sont idolâtres que par dissimulation et par hypocrisie, comme beaucoup de philosophes païens qui adoraient les mêmes idoles que le peuple, quoiqu’ils n’y eussent aucune créance ; ainsi qu’on peut voir par Cicéron et par Sénèque. Ces mêmes missionnaires nous apprennent que ces lettrés ne croient rien de spirituel, et que le roi d’en-haut, que votre P. Matthieu Ricci avait pris pour le vrai Dieu, n’est que le ciel matériel ; et que ce qu’ils appellent les esprits de la terre, des rivières et des montagnes, ne sont que les vertus actives de ces corps naturels. Quelques-uns de vos auteurs disent qu’ils ne sont tombés depuis quelques siècles dans cet athéisme, que pour avoir laissé perdre les belles lumières de leur philosophe Confucius. Mais d’autres, qui ont étudié ces matières avec plus de soin, comme votre père Longobardi, soutiennent que ce philosophe a dit de belles choses touchant la morale et la politique ; mais qu’à l’égard du vrai Dieu et de sa loi, il a été aussi aveugle que les autres [55].

Concluons que notre Jean Maldonat ne méritait point la censure qu’Étienne Pasquier a insérée dans son Plaidoyer contre les jésuites. Aucun lecteur n’en pourra douter.

Je suis fâché que M. de Saint-Évremond, que admire et que j’honore autant que personne du monde, ait un sentiment contraire à le méthode de Maldonat, et qu’il me faille préférer à son opinion celle de l’écrivain anonyme qui l’a critiqué. « Laissons la théologie toute entière à nos supérieurs, dit-il [56], et suivons avec respect ceux qui ont le soin de nous conduire. Ce n’est pas que nos docteurs ne soient les premiers à ruiner cette déférence, et qu’ils ne contribuent à donner des curiosités qui mènent insensiblement à l’erreur : il n’y a rien de si bien établi chez les nations, qu’ils ne soumettent à l’extravagance du raisonnement. On brûle un homme assez malheureux pour ne croire pas en Dieu, et cependant on demande publiquement dans les écoles s’il y en a. Par-là vous ébranlez les esprits faibles, vous jetez le soupçon dans les défians ; par-là vous armez les furieux, et leur permettez de chercher des raisons pernicieuses, dont ils combattent leurs propres sentimens, et les véritables impressions de la nature. » Voyons la remarque de son censeur : [57] Quand les théologiens demandent s’il y a un Dieu, ce n’est pas pour douter de son existence, mais pour en donner des preuves certaines, et pour confondre les athées, comme la médecine donne la connaissance des poisons pour guérir ceux qui en sont infectés [58]... Il traite d’imprudens et de scandaleux tous les docteurs, et saint Thomas même, qui, au commencement de sa Somme, question 2, article 3, demande expressément s’il y a un Dieu. Que M. de S. E. se puisse figurer que l’on prenne son parti contre tant de théologiens éclairés qui traitent cette question dans toutes les plus fameuses universités, depuis un si grand nombre d’années, à la vue de toute l’église, c’est ce qu’il ne peut se promettre, et nous manquerions, etc.

  1. * Tout en trouvant juste la remarque de Bayle, la Bibliothéque française, XXX, 3, dit que comme il y a deux Estramadures, Bayle aurait dû ajouter que Léréna est dans l’Estramadure espagnole.
  2. * Joly dit que le cours de Maldonat, commencé le 24 février 1564, ne dura que deux ans.
  3. * Un passage de la Prosopographie de du Verdier, rapporté dans la Bibliothéque française, XXX, 3, dit que lorsqu’il interprétait le psaume Dixit dominus domino meo, la rue Saint-Jacques était pleine de coches, depuis le collége du Plessis jusqu’au collège de Clermont, dit des jésuites. Du Verdier ajoute qu’il fut un peu envié et injurié à Paris. Il paraît qu’un jour on lui jeta sur la tête quelque vase mal odoriférant ; c’est du moins ce qu’on peut conclure du passage de du Verdier que voici : « Passant un jour par la rue de Sorbonne, il lui fut faite chose que je n’oseray rapporter ; peut-être que ce fut par imprudence, peut-être que non. Il porta cela fort patiemment, comme toute autre chose, pour l’amour de Dieu. Il était homme fort doux et simple, moins fastueux que le naturel du plus simple Espagnol ne porte. »
  4. (*) Des Montagnes est le nom que prend le jésuite Richeome dans son livre de la Vérité défendue, etc. Voyez les Notes sur la Confession de Sanci, édit. de 1699, pag. 415. Rem. crit.
  5. * Leclerc observe que le livre des Prescriptions, etc. est de Launoy et non de Joly. Joly n’a pas copié cette juste remarque. Lui répugnait-il d’ôter à son homonyme un livre qu’il n’avait pas fait ?
  6. * Joly dit que les bonnes éditions du Commentaire de Maldonat, les seules qui ne soient pas interpolées, sont celles de Pont-à-Mousson, 1596 ; de Bresse, 1598 ; de Lyon, 1601 ; de Mayence, 1602 ; de Paris chez Langlé, 1617.
  7. * Joly trouve que Bayle justifie très-bien Maldonat ; mais il lui reproche de n’avoir pas également pris la défense du cardinal du Perron dans un autre article. Voyez, ci-après, remarque (C) de l’article Monin.
  1. Tiré de Natanaël Sotuel, Biblioth. Script. societ., pag. 473.
  2. In Agiologio, ad diem 6 januarii, apud Sotuel, ibidem, pag. 475.
  3. Thuan., lib. LIII, pag. 1088.
  4. Thiers, Dissertations sur saint Firmin, pag. 18.
  5. Alegambe, Biblioth. Script. societ. Jesu, pag. 255.
  6. In Bibliothecâ Scriptor. hispan., tom. I, pag. 558.
  7. Totos decem annos theologiam professus est. Sotuel. Biblioth. Script. societ., pag. 474.
  8. Richeome, Plainte apologétique, pag. 33.
  9. Sotuel, Biblioth. Scriptor. societ. Jesu, pag. 474.
  10. Du Rosier. Voyez M. de Thou, l. LIII, pag. 1088.
  11. Sotuel, Biblioth. Script. societ. Jesu, pag. 474.
  12. Alegambe, pag. 255. Sotuel, pag. 574.
  13. Alegambe, pag. 255. Sotuel, pag. 574.
  14. Voyez-en le titre, tom. IX, pag. 90, remarque (D) de l’article Launoi (Matthieu de).
  15. Folio 139.
  16. Thuau., lib. LIII, pag. 1088, ad ann. 1572. Voyez aussi Théodore de Bèze, Histoire ecclés., liv. XVI, pag. 475.
  17. Thuan., ibidem.
  18. Alegambe, pag. 255, et Sotuel, p. 574.
  19. Arnauld, Plaidoyer contre les jésuites, pag. 37.
  20. Simon, Histoire critique des Commentateurs du Nouveau Testament, chap. XLII, pag. 620.
  21. Elle est datée du 17 de janvier 1575.
  22. Simon, Histoire critique des Commentateurs du Nouveau Testament, chap. XLII, pag. 621.
  23. Intitulé : Prescription touchant la Conception de N. D., et imprimé l’an 1676. Voyez-y la page 19 et suiv., et la 89e. et suiv.
  24. À la page 95 et 96.
  25. Alegambe, Biblioth. societ. Jesu, p. 256.
  26. Simon, Hist. des Comment. du Nouveau Testament, pag. 618.
  27. M. de Thou est du même avis. Nihil vivens publicavit, dit-il, lib. LXXVIII, pag. 481, post mortem ejus, operâ ac curâ Clementis Puteani ex eodem sodalitio viri doctissimi, prodierunt eruditissima Commentaria in IV Evangelistas Mussi Ponti edita, meliora et integriora multorum judicio futura, si superstite auctore edita fuissent.
  28. Alegambe, pag. 257 ; Sotuel, pag. 475.
  29. Biblotheca Scriptor. hisp., tom. I, pag. 558.
  30. Addit. aux Éloges, tom. II, pag. 14, édit de 1696.
  31. Ex ejus scholâ prodierunt viri eruditi quamplurimi, et vix quispiam posteà fuit in Galliâ qui cùm ejus auditor esse non potuisset, quæ in scholis dictaverat, sibi domi descripta 4on haberet. Alegambe, pag. 255 ; Sotuel, pag. 874.
  32. Simon, Hist. des Comment. du Nouveau Testament, pag. 620.
  33. Joly, Prescriptions touchant la Conception de Notre-Dame, pag. 19 : ce livre fut imprimé, l’an 1676.
  34. Simon, Lettres choisies, pag. 134, édit., de Trévoux, 1700.
  35. Thuan., lib. LXXVIII, pag. 481.
  36. Idem, ibidem.
  37. Richeome, Plainte apologétique, pag. 32.
  38. La même, pag. 33.
  39. Tom. I, pag. 147, à la remarque (C) de l’article Achille, et à la fin de la remarque (A) de l’article Artaxata, tom. II, pag. 463.
  40. Mortuus in lectulo inventus ætatis vixdùm anno l, salutis verò mdlxxxiii, ineunte pervigilio epiphaniarum. Alegambe, pag. 256.
  41. Casaubon., in Baronium, exercitat. XV, num. 12, pag. m. 347, col. 1.
  42. Idem, ibidem, col. 2.
  43. Scaligérana, pag. 148.
  44. Oporinus Grubinius, in Amphotidibus Scioppanis, pag. 254.
  45. Nos certè meritò in eo et veram eruditionem, et fidem, etiam aliquandò mentem et sensum requirimus. Rivetus, Comment. in Psalm. CX, Operum tom. II, pag. 329.
  46. Pasquier, Recherches de la France, liv. II, chap. XLIII, pag. m. 337.
  47. Réponse de René de la Fon au Plaidoyer de Simon Marion, chap. XXXVII, pag. 173, édition de 1599.
  48. René de la Fon, pag. 175.
  49. Pasquier, Catéchisme des Jésuites, liv. II, chap. VII, pag. m. 239, 240.
  50. Voyez l’article de Luther, tom. IX, pag. 565, remarque (R), citation (88).
  51. Richeome, Plainte apologétique, num. 19, pag. 200, 201.
  52. Citation (55), dans un passage de M. Arnauld.
  53. Cette vérité, il y a un Dieu, se peut démontrer, comme je crois, mais ce n’est pas par une démonstration qui soit sensible à un esprit vulgaire, comme on peut faire sentir à tout esprit, quelque bas qu’il suit, que six font la moitié de douze. Jurieu, de la Nature et de la Grâce, pag. 248.
  54. Abraham. Heidanus, Considerat od res quasdam nuper gestas, pag. 135, 136.
  55. Arnauld, cinquième Dénonciation du Péché philosophique, pag. 35. Voyez aussi le père le Gobien, dans la préface de l’Histoire de l’Édit de l’empereur de la Chine, et, tom. XIII, la remarque (A) de l’article Sommonacodom.
  56. Saint-Évrenond, Jugement sur les Sciences, pag. 200 du Ier. tome de ses Œuvres, édition de Hollande, 1693.
  57. Dissertation sur les Œuvres mêlées de M. de Saint Évremond, pag. 216, édit. de Paris 1698.
  58. Ibidem, pag. 308.

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