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MARESTS.

tion, et il en a été l’un des principaux ornemens. Il composa plusieurs pièces de théâtre [a], qui furent fort applaudies, et surtout celle qui a pour titre Les Visionnaires. Il entreprit un poëme épique [b], qui lui coûta le travail de plusieurs années ; et il a cru qu’il aurait été beaucoup plus long-temps à l’achever, si la Providence n’eût eu dessein de se servir de sa plume pour des ouvrages de dévotion (C). Il fit aussi des romans, où il s’éloigna de ces idées de vertu qu’on représentait alors dans cette sorte d’écrits (D). Il mourut l’an 1676. Il se déclara l’ennemi des jansénistes, et il eut sans doute mieux fait de ne prendre point de part à cette querelle ; car ses visions, si bien décrites par ces messieurs (E), seraient sans cela demeurées dans les ténèbres. Il promettait au roi de France, par l’explication des prophéties, l’avantage de ruiner les mahométans (F). Nous verrons ailleurs sa conduite contre un certain Morin [c], qui se disait le fils de Dieu. Des Marests écrivit quelque chose contre les satires de M. Boileau [d], dans ses dernières années. Je parlerai de son frère aîné dans une remarque (G).

  1. Voyez-en le titre, et celui de plusieurs autres de ses pièces dans l’Histoire de l’Académie française, pag. m. 343.
  2. Intitulé Clovis.
  3. Dans l’article de ce Morin, dans ce volume.
  4. Voyez la remarque (R) de l’article Macédoine, pag. 18 de ce volume.

(A) Il eut chez le cardinal de Richelieu un emploi d’esprit. ] Il faut entendre ce qu’il dit de lui sous le nom d’Eusèbe dans l’un de ses livres [1]. Avec l’aide de quelques-uns sur lesquels je m’appuyai pour arriver jusqu’au haut du palais de la Fortune, je parvins jusqu’à l’appartement de celui qui dominait dans ce lieu élevé. Là je goûtai mille plaisirs ravissans par l’estime qu’il fit de moi, par les caresses et publiques et particulières dont il m’honora, par les applaudissemens que je recevais de toutes parts, et par les victoires que je remportais souvent sur mes envieux [2]... Tu me forces à te dire quelqu’un de ces gouts délicats, qui te fera juger des autres, et qui servira à te faire connaître l’infatigable force du génie de ce grand homme, qui ne pouvait se délasser d’un travail d’esprit que dans un autre. Aussitôt qu’il avait employé quelques heures à resoudre toutes les affaires d’état, il se renfermait souvent avec un savant théologien, pour traiter avec lui les plus hautes questions de la religion, et son esprit prenait de nouvelles forces dans ces changemens d’entretien. Après cela d’ordinaire il me faisait entrer seul, pour se divertir sur des matières plus gaies et plus délicates, où il prenait des plaisirs merveilleux ; car, ayant reconnu en moi quelque peu de fertilité à produire sur-le-champ des pensées, il m’avouait que son plus grand plaisir était lorsque, dans notre conversation, il renchérissait de pensées par-dessus les miennes. Que si je produisais une autre pensée par-dessus la sienne, alors son esprit faisait un nouvel effort avec un contentement extrême... Or jugez si je ne goûtais pas aussi parfois ce même plaisir qui lui semblait si grand, puisqu’il n’arrivait souvent de renchérir de pensées par-dessus les siennes.

(B) Il avoue que pour séduire les femmes... il ne feignait point de les pousser vers l’athéisme. ] Il ne se contente pas de dire [3] qu’il s’était arrêté quelque temps dans la cabane des plaisirs charnels et grossiers, qui n’avait qu’une enseigne grossièrement peinte, où étaient représentés un Bacchus et une Vénus ; et qu’ayant senti que ces plaisirs ruinaient son corps et sa fortune, il en voulut chercher de plus relevés. Il ajoute [4] qu’il de-

  1. Délices de l’Esprit, pag. 4.
  2. Là même, pag. 105.
  3. Là même, pag. 3.
  4. Là même, pag. 73. Voyez les Nouvelles Lettres de l’auteur de la Critique de Maimbourg, pag. 746, 747.