Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Morin 2


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MORIN (Simon), fanatique brûlé à Paris, l’an 1663. Son esprit était en désordre depuis long-temps (A). Il soutenait [a], qu’il se devait faire bientôt une réformation générale de l’église et que tous les peuples allaient être convertis à la vraie foi. Il prétendait que ce grand renouvellement se devait faire par le second avénement de Jésus-Christ dans son état de gloire, et incorporé en lui Morin ; et que pour l’exécution des choses auxquelles il était destiné, il devait être accompagné d’un grand nombre d’âmes parfaites, et participantes à l’état glorieux de Jésus-Christ, qu’il appelait pour cela des combattants de gloire. Le sieur Jean des Marets de l’académie française feignit d’être son disciple, et découvrit par ce moyen cet horrible fanatisme (B). Morin avait déjà quelques sectateurs. J’ai ouï dire, 1°. Qu’il avait promis de ressusciter au troisième jour, et que de là vint qu’il s’assembla beaucoup de canaille à l’endroit où il fut brûlé [b] ; 2°. que M. le premier président de Lamoignon lui demanda s’il était écrit quelque part que le grand prophète ou nouveau messie passerait par le feu, et que Morin déjà condamné cita ce verset du psaume XVI, Igne me examinâsti, et non est inventa in me iniquitas. L’auteur que je cite dans les remarques observe que le XVIIe. siècle a été fécond en fanatiques (C). Je viens de recevoir un mémoire très-curieux concernant notre Morin (D).

Depuis la seconde édition j’ai appris quelques circonstances de son procès, qui pourront servir de supplément et de correctif à son article (E).

  1. Voyez la préface des Lettres visionnaires.
  2. C’était en Grève.

(A) Son esprit était en désordre depuis long-temps.] Voyez le livre intitulé Pensées de Simon Morin : il fut imprimé l’an 1647. On n’y mit ni le nom de l’imprimeur, ni le nom du lieu où on l’imprima. L’auteur était en prison à Paris pour les erreurs des illuminés, lorsque les amis de Gassendi écrivirent contre l’astrologue Jean-Baptiste Morin, auquel ils reprochèrent qu’il était ou frère ou parent de ce prisonnier. L’astrologue prit cela pour le second de leurs mensonges. Secunda (impostura) dùm asserit quemdam Simonem Morinum in carceribus archiepiscopatûs hujusce asservatum, ob illuminatorum doctrinam quam profitetur, esse meum consanguineum sive fratrem [1].

(B) Des Marets…… feignit d’être son disciple, et découvrit…… son fanatisme.] Il était lui-même un grand fanatique [2], et il s’attendait à une admirable et sainte révolution ; mais, s’imaginant qu’elle ne se ferait point par les voies que Morin marquait, ni par celles d’un autre visionnaire nommé Charpy de Sainte-Croix [3], il se mit en tête de combattre ces deux personnages. « Charpy prétendait que toutes ces merveilles se devaient faire par un certain lieutenant de Jésus-Christ, de la race de Juda, auquel il appliquait les plus claires prophéties du messie[4]. » On a vu dans le corps de cet article la prétention de Morin, et voici celle du sieur des Marets. Je la rapporte selon les termes d’un auteur qui se servait du temps présent. Le sieur des Marets enseigne comme eux qu’il est vrai que le monde se va réformer, que toutes les sectes vont être réunies à la religion catholique ; mais que tout cela se doit faire par le grand prophète Éliacim Michaël, qui n’est autre que le sieur des Marets de Saint-Sorlin, et par une armée de cent quarante-quatre mille victimes ou âmes anéanties, qu’il doit assembler pour les donner au roi, afin qu’elles exécutent sous ses ordres cette haute entreprise, selon les lumières divinement inspirés au sieur des Marets. Il est bien visible que ce dernier prophète ne pouvait pas s’accorder avec ces deux autres, et qu’il avait dans ses visions de quoi détruire des leurs. Car, comme on a vu un fou, qui, s’imaginant être Dieu le père, réfutait d’une manière convaincante un autre fou qui croyait être Dieu le fils : parce, disait-il, que moi qui suis Dieu le père, je sais bien que je ne l’ai point engendré : de même le sieur des Marets n’avait pas de peine à se prouver à soi-même que les pensées de Morin et de Charpy étaient fausses. Charpy, disait-il, s’imagine que le monde doit être reformé par un lieutenant de Jésus-Christ, joint avec les juifs ; et Morin dit que ce sera par Jésus-Christ même incorporé en lui, et accompagné des combattans de gloire. Or je suis bien assuré qu’ils se trompent, puisque c’est par moi-même, des Marets de Sant-Sorlin, Éliacim Michaël, et par mes victimes, que tout cela se doit opérer. Après les avoir ainsi condamnés d’illusion par cette preuve trés-démonstrative à son égard, il se crut obligé de les poursuivre de toutes ses forces. Ainsi il n’a point eu de repos qu’il n’ait perdu Morin, en y employant même les trahisons les plus indignes d’un honnête homme et d’un chrétien. Et il se vante lui-même, dans sa réponse, d’avoir été cause de la prison de Charpy[5].

Voici les moyens qu’il employa : il dépose[6] qu’il eût quelques entretiens avec damoiselle Marguerite Langlois, dite la Malherbe, et avec une autre nommée mademoiselle de la Chapelle : « que d’abord elle craignait de se découvrir, mais que peu à peu il l’apprivoisa à se communiquer à lui, et qu’elle commença à lui parler de ce Morin et de sa femme ; qu’elle lui dit, qu’il était certain que l’esprit de Jésus-Christ était incorporé et ressuscité en M. Morin, pour son second avénement en terre ; qu’il était le fils de l’homme, à qui Dieu avait donné tout jugement sur la terre. Après cela il décrit son entrevue avec Morin, qui se fit le lendemain ; et il dit que d’abord Morin lui voulut paraître un homme fort saint et de grand recueillement ; mais qu’après quelques discours, voyant que s’il s’humiliait tant devant lui, qui voulait paraître si haut, il pourrait le traiter long-temps en novice, et qu’il n’avait pas tant de temps à perdre, il ne feignit point de lui dire ce qu’il savait des états intérieurs selon leurs degrés, et de la spiritualité : qu’alors Morin tout ravi lui prit la main, et la serra entre les deux siennes, et lui dit qu’il voyait bien qu’il était spirituel et dans l’état de grâce, et qu’il s’en fallait peu qu’il ne fût parfait, et dans l’état de la gloire[7]...... Il rapporte dans la suite de sa déposition, plusieurs erreurs qu’il apprit de la bouche même de Morin, dans un autre entretien qu’il eut avec lui : comme, qu’il ne faut plus penser à la mort de Jésus-Christ ; que l’’impeccabilité est en ceux qui sont divins et parfaits ; que toutes sortes d’œuvres sont indifférentes. Pendant toutes ces visites que le sieur des Marets rendait à Morin et à ses demoiselles, il feignit toujours de vouloir être son disciple. Mais Morin, pour s’assurer de lui davantage, lui envoya, comme il est dit dans cette déposition, une lettre, le 21 décembre[8], jour de Saint-Thomas, qui lui fut apportée par sa fille aînée, par laquelle ledit Morin désirait de lui une soumission aveugle et sincère, pour aveuglément suivre et sincèrement observer tout ce qu’il lui ordonnerait, sans réserve de temps ni de chose, selon qu’on le peut voir dans ladite lettre... Cette demande de Morin fit naître quelque doute dans son esprit, ne voulant donner aucun consentement pour chose qui pût être mal... Mais enfin... jugeant que s’il ne feignait d’adhérer à quelque chose, pour découvrir tous les secrets de la cabale, tout commerce cesserait entr’eux, il se résolut de lui envoyer par écrit son consentement, pour aveuglément suivre et sincèrement observer tout ce que Simon Morin lui ordonnerait. À quoi il ajouta ces mots (de la part de Dieu et selon Dieu), par lesquels il témoignait qu’il ne se soumettait qu’à ce qui lui serait ordonné de la part de Dieu, et selon Dieu[9]... Ce ne fut pas là la fin des déguisemens du sieur des Marets. Il eut encore plusieurs entretiens avec Morin, dans le même esprit de dissimulation et de tromperie. Il lui écrivit plusieurs lettres, comme son disciple. Il en reçut plusieurs, comme de son maître. Il souffrait que cet illuminé, et ses demoiselles abusées, le considérassent comme étant entièrement de leur cabale. Et enfin il en vint jusqu’à cet excès prodigieux que je vas rapporter en ses propres termes. Pour faire que Morin et sa femme, qui était tourmentée par son diable sur son sujet, ne le soupçonnât pas, il se résolut de lui donner par la première lettre qu’il lui écrivit une déclaration, qu’il le reconnaissait pour le fils de l’homme, et pour le fils de Dieu en lui, sachant bien que Morin est fils d’un homme, et que le fils de Dieu est en lui comme en tout. Cette lettre, dit-il, du premier février 1662, fut si agréable à Morin, que, pour le reconnaître de cette déclaration, qu’il croyait fort nette, il lui écrivit une réponse du 2 février, par laquelle il lui donne, comme par une grande grâce, la qualité de son précurseur, le nommant un véritable Jean-Baptiste ressuscité. »

Le janséniste que je copie réfute ensuite, par les principes de saint Augustin, cette fourbe du sieur des Marets. Il dit presque les mêmes choses que M. Arnauld a observées depuis, en se plaignant de l’imposture d’un faux Arnauld, par laquelle on fit tomber dans le panneau un professeur de Douai.

(C) L’auteur que je cite... observe que le XVIIe. siècle a été fécond en fanatiques. ] Voici les paroles de cet auteur[10] : « Notre siècle, qui a été aussi fécond qu’aucun autre en choses extraordinaires, l’a été particulièrement en fanatiques ; et il semble même que les esprits soient tournés, je ne sais comment, de ce côté, et qu’ils y aient une pente naturelle. Car, comme dans les maladies contagieuses on voit d’ordinaire que tous les autres maux dégénèrent en pestes et en charbons, de même on a vu souvent, en ce siècle, que les dévotions déréglées et établies sur des caprices humains dégénèrent en illusions fanatiques. L’histoire des ermites de Caen a été célèbre par tout le royaume ; et si l’on avait fait la recherche qu’on devait de la compagnie du Saint-Sacrement, on aurait peut-être découvert bien d’autres choses de cette nature. » Il étale ensuite les visions de Charpy-de-Sainte-Croix, celles de Morin, et celles de des Marets. S’il y eût joint celles qui en ce temps-là se débitaient en Hollande[11], il eût bien fortifié sa thèse. La queue de ce même siècle ne dément pas les autres parties, dignum patellâ operculum.

(D) Je viens de recevoir un mémoire très-curieux concernant notre Morin [12]. ] En voici quelques extraits dans les propres termes de l’original : «  Simon Morin était natif d’Aumale, et il avait autrefois été commis de M. Charron, trésorier de l’extraordinaire des guerres. C’était un homme sans lettres et d’une ignorance grossière, qui, s’étant voulu mêler de spiritualité, tomba dans de grandes erreurs. Il ne se contenta pas de les débiter en cachette à diverses personnes qui le regardaient comme un fou, il les renferma en partie dans le livre qu’il fit imprimer en cachette, en 1647, in-8o., sous le titre de Pensées de Morin, dédiées au roi : c’est un tissu de rêveries et d’ignorances, qui renferment les principales erreurs condamnées depuis dans les quiétistes, si ce n’est qu’il les pousse encore plus loin qu’aucun n’a fait. Car il enseigne formellement que les plus grands péchés ne font pas perdre la grâce, et qu’ils servent au contraire à abattre l’orgueil humain. Il entend de ces sortes de désordres les paroles de saint Paul, que l’on entend ordinairement des tentations. Il dit qu’en toute secte et nation Dieu a des élus vrais membres de l’Église.

 » Que parmi les moyens de se dépouiller de toute propriété et présomption, un directeur peut interdire à son pénitent l’assistance à la messe aux jours de fête, la communion, etc. ; lui ordonner la communion sans confession ; défendre ce qui est commandé, et commander ce qui est défendu.

 » Que Dieu permit que saint Pierre le niât pour épurer sa présomption ; que son désir de mourir pour Jésus-Christ n’était point vertu parfaite ; ni la négation, vice destructif de la vertu ; qu’il nia des lèvres et non du cœur.

 » Il nie que le péché de saint Pierre ait été péché à mort.

 » Il dit que saint Paul avait été non-seulement en l’infirmité de sa chair, mais même qu’il devait y être et s’y soumettre, et qu’il avait succombé aux tentations de la chair.

 » Que la fréquente communion n’est utile qu’aux commençans, parce que Jésus-Christ se trouve mieux sous le pain des croix, que sous le lait du pain.

 » Qu’on pouvait manger avant la communion, non-seulement pour cause d’infirmité, mais par l’avis du directeur, pour se mortifier.

 » Que toute chute précédée de crainte et suivie de plaisir n’est pas péché, mais un témoignage de notre impuissance qui doit servir à nous humilier.

 » C’est à peu près à quoi se réduit la théologie de ce fanatique, qui est sans aucuns principes.

 » Il fit imprimer avec ces Pensées divers cantiques dont le style est pitoyable.

 » Il fut quelque temps en prison, et relâché comme un visionnaire, jusqu’en 1661. Alors des Marets-Saint-Sorlin, qui avait été en grandes liaisons avec lui, et fait semblant, à ce qu’il avoue lui-même dans ses écrits, de le reconnaître pour le fils de l’homme ressuscité, le dénonça et se rendit son accusateur..... On fit à cette occasion le procès à Morin, et enfin il fut condamné à être brûlé vif ; ce qui fut exécuté au mois de mars 1663. On dit qu’il avait quelques disciples qui furent envoyés aux galères, et feu M. de Neuré disait en avoir vu un à Marseille qui croyait que Morin était ressuscité. Mais ceux qui ont connu M. de Neuré savent qu’il n’y avait pas grand fond à faire sur les histoires qu’il contait, quand elles tendaient au libertinage : car il représentait cet homme comme très-sérieusement convaincu de la résurrection de Morin. Cet homme mourut assez constamment, et on disait alors que les juges avaient été bien rigoureux, et qu’il aurait suffi de le mettre aux Petites-Maisons. Ceux-ci se défendaient sur le grand nombre d’impiétés qu’il avait reconnues pour être ses opinions, et qu’il soutenait, non pas à la vérité avec esprit, mais de sang-froid et avec une grande opiniâtreté. »

(E) J’ai appris quelques circonstances de son procès qui pourront servir de supplément et de correctif à son article. ] « Le 14 du même mois (de mars 1663), un nommé Simon Morin, natif de Richemont, proche Aumale [* 1], par arrêt de la cour du parlement, après avoir fait amende honorable, nu en chemise, la corde au cou et la torche au poing, devant la principale porte de l’église Notre-Dame, où il fut conduit dans un tombereau, fut ensuite mené à la place de Grève, et là attaché à un poteau pour y être brûlé vif, avec son livre intitulé Pensées de Morin, ensemble tous ses écrits et son procès, puis ses cendres jetées au vent, pour punition d’avoir pris la qualité de fils de Dieu ; et ses complices condamnés d’assister à son exécution, puis d’être attachés à la chaîne pour y servir le roi à perpétuité, après avoir été fustigés par la main de l’exécuteur de la haute justice, et avoir été flétris et marqués de fleurs de lys sur les épaules dextre et senestre. C’est ce que nous apprend François Colletet, fils de Guillaume, dans son abrégé des Annales de Paris, imprimé en 1664, in-12, à la page 452. Pour éclaircir davantage ce qui regarde Morin, ajoutons ce qu’on a tiré de la sentence de mort rendue contre lui : il fut condamne dès le 7 mars ; mais l’exécution fut remise jusqu’au 14, afin de le confronter à ses complices et tâcher d’en découvrir davantage. François Rondon, prêtre, curé de la Madeleine-lès-Amiens, qui avait fait, dit cette sentence, de mauvaises et criantes actions, Marin Thouret, prêtre, et Jean Poitou, maître d’école, assistèrent au supplice, et de là envoyés aux galères. Marguerite Langlois, veuve de feu Claude Nadot, dit Malherbe, fut fustigée au pied du poteau. Jeanne Honatier, femme dudit Simon Morin, et Claude Morin, leur fils, furent renvoyés libres, et sortirent de prison [13]. »

  1. (*) Sa sentence dit aussi qu’il était de Richemont, proche d’Aumale.
  1. Joh. Baptista Morinus, in Defensione suæ dissertationis de Atomis et Vacuo, pag. 105. Ce livre fut imprimé l’an 1650.
  2. Voyez ci-dessus son article.
  3. Il est auteur d’un livre intitulé L’ancienne Nouveauté de l’Écriture Sainte, que M.  Arnauld réfuta. Le Journal des Savans du ier. de mars 1666 fait mention de cette réfutation. Ce visionnaire renonça à ses erreurs. Voyez la Question curieuse si M. Arnauld est hérétique ? pag. 147, édit. de 1695.
  4. Lettres visionnaires, à la préface, pag. m. 226.
  5. Là-même.
  6. Voyez la IIe. lettre visionnaire, pag. m. 266. On y cite la déposition du sieur des Marets.
  7. Voyez la IIe, lettre visionnaire, pag. 267.
  8. 1661.
  9. IIe, le titre visionnaire, pag. 268.
  10. Préface des Lettres visionnaires, p. 225,
  11. Voyez la remarq. (I) de l’article Marests (Samuel des).
  12. Il a été communiqué au libraire par M. l’abbé R.
  13. Mémoire manuscrit communiqué par M. Lancelot.

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