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ÈVE.

des. Il prétend [a] que l’homme que Dieu forma au sixième jour était tout ensemble mâle et femelle, et que cet homme, après avoir fait la revue des animaux terrestres et des oiseaux, sans en avoir trouvé aucun dont la compagnie et l’aide lui pussent être agréables et suffisantes, fut plongé dans un profond assoupissement, afin qu’étant divisé en deux il fût tiré de la solitude où Dieu ne trouvait pas bon de le laisser. Après cette division, la femme, qui auparavant n’avait point de nom particulier, fut nommée Ève. L’auteur concilie le mieux qu’il peut son hypothèse avec les androgynes de Platon [b], et s’imagine que homme n’eût jamais péché, si les deux sexes qu’Adam contenait au commencement en unité de personne, n’eussent été séparés (I). Il prétend aussi que dans chaque sexe il y avait une partie masculine, et une partie féminine. Les explications de cet écrivain ne sont guère propres à disculper la providence divine par rapport à la chute d’Adam, et ne s’éloignent pas beaucoup de la pensée de ceux qui prétendent que le premier péché fut un acte d’amour impudique. Voyez la remarque (I). En faisant ainsi le procès à ces docteurs infidèles, n’épargnons pas un bel esprit de la communion de Rome, Français de nation. Il fit un sonnet qui a été imprimé, et qui, pour ne rien dire de pis, est extrêmement profane (K). On aurait beau recourir aux priviléges de la poésie : ce serait une excuse frivole : la juste licence des poëtes ne s’étend pas jusque-là ; et combien y a-t-il de cas, où leurs maximes contre la morale, et contre la foi, peuvent-être légitimement condamnées selon les formes juridiques de l’inquisition ? Voyez la remarque (I) de l’article de Garasse. Un autre bel esprit, Italien de nation, noble Vénitien, le célèbre Lorédano, en un mot ; ce bel esprit, dis-je, a mérité quelque censure pour n’avoir pas assez ménagé les bienséances à la gloire d’Ève ; car il suppose qu’après qu’elle eut été chassée du paradis avec son mari, elle l’exhorta à lui rendre le devoir conjugal en exécution de l’ordre que Dieu lui avait donné de croître et de multiplier [c]. Le decorum exigeait que l’on supposât qu’Adam fût le demandeur. Il y a quelques autres choses à reprendre dans le Lorédano (L). Un écrivain allemand a été infiniment plus favorable à la première de toutes les femmes : il croit que le péché d’Adam est plus grand que celui d’Ève, et que Dieu ne la chassa point du paradis ; qu’il n’y eut qu’Adam qui fut châtié de cette peine. Nous verrons sur quoi il se fonde (M).

  1. Léon Hébreu, Philosophie d’Amour, dialogue III, pag. m. 612, 613.
  2. Voyez tome I, pag. 202, la remarq. (F) de l’article Adam.
  3. Voyez la remarq. (L).

(A) Elle se laissa tromper.... par les belles promesses du serpent. ] Je n’aurais jamais fait, si je voulais rapporter toutes les faussetés qui se trouvent dans les livres par rapport à ce serpent. 1o. Les uns ont dit [1] que ce fut

  1. Joseph., Antiquit., lib. I, cap. II ; Aben Ezra ad Genes. III.