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qu’un seul Jésus-Christ ; sans cela ce ne serait pas une Trinité, mais une quaternité que nous prêcherions : que Dieu nous en préserve ! Comme il y a en Jésus-Christ une seule personne composée de deux natures, la nature divine et là nature humaine, tantôt il parle en tant qu’il est Dieu, comme quand il dit : « Le Père et moi, nous sommes une même chose [1] » ; tantôt il parle entant qu’il est homme, comme quand il dit : « Parce que le Père est plus grand que moi [2] ». Voilà en quel sens nous avons entendu le passage dont il est question : « Je ne puis rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge ». Mais pour la personne du Saint-Esprit, comment entendrons-nous ce qu’il en dit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Comme, dans cette personne, il n’y a pas deux natures, la nature divine et la nature humaine ou tout autre nature créée, de là naît une grande difficulté.

2. Sans doute, le Saint-Esprit s’est fait voir sous la forme corporelle d’une colombe[3], mais ce ne fut que passagèrement et pour un instant. Nous pouvons en dire autant du moment où il est descendu sur les disciples : ils virent comme des langues de feu qui se séparèrent et vinrent se reposer sur chacun d’eux[4]. Celui donc qui dirait que la colombe fut unie au Saint-Esprit dans l’unité de sa personne, en sorte que la personne du Saint-Esprit se composerait de la colombe et de Dieu (puisque le Saint-Esprit est Dieu), celui-là serait obligé d’en dire autant du feu ; et par là il doit comprendre qu’il ne faut dire ni l’un ni l’autre. Ces formes destinées à manifester comme il le fallait la substance divine, se présentèrent aux sens corporels des hommes et ne firent que passer ; car elles avaient été tirées par Dieu, et pour un moment, de la créature toujours soumise, et non pas de la nature souveraine, laquelle est stable en elle-même, et meut ce qu’elle veut ; laquelle est immuable en elle-même, et change ce qu’elle veut. Il en est de même de cette voix qui perça les nues et vint frapper les oreilles corporelles et ce sens du corps qu’on appelle l’ouïe[5] ; et il ne faut pas croire que c’était le Verbe de Dieu son Fils unique. En effet, s’il est appelé Parole, il ne se termine point avec les syllabes et les sons ; car toutes les syllabes ne peuvent résonner en même temps lorsque l’on parle. Les sons naissants succèdent, chacun à son tour, aux sons qui s’évanouissent, et, ainsi ce que nous disons ne se complète que par la dernière syllabe. Dieu nous garde de dire que le Père parle ainsi à son Fils, c’est-à-dire à son Verbe qui est Dieu. Mais ceux-là seuls peuvent le comprendre, autant que l’homme en est capable, qui n’en sont plus au lait, mais qui usent d’une nourriture plus solide. Puis donc que le Saint-Esprit ne s’est pas fait homme en prenant la nature humaine, puisqu’il ne s’est pas fait ange, en prenant la nature angélique, puisqu’il ne s’est pas fait créature en se revêtant de quelque nature créée ; comment peut-on entendre ce que le Sauveur dit de lui : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Question difficile, trop difficile. Que le Saint-Esprit m’assiste lui-même, afin que je puisse vous l’expliquer comme il m’est donné de la concevoir, et qu’elle arrive à votre intelligence en proportion de mes humbles facultés.

3. Et d’abord, il y a une chose certaine que ceux qui le peuvent doivent comprendre et que ceux qui né le pourront pas doivent au moins croire, c’est que la substance de Dieu n’est pas comme les substances corporelles où les sens sont distribués en places différentes ; ainsi, dans la chair mortelle de tous les animaux, ailleurs est la vue, ailleurs l’ouïe, ailleurs le goût, ailleurs l’odorat, et par tout le corps le toucher. Dieu nous garde de penser qu’il en est de même dans sa nature incorporelle et immuable. Pour elle, entendre et voir c’est la même chose. Il est même question d’un odorat en Dieu, car l’Apôtre a dit : « Ainsi que Jésus-Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, en s’offrant à Dieu comme une victime d’agréable odeur [6] ». On peut entendre aussi que c’est par le goût que Dieu hait ceux qui lui causent de l’amertume, et qu’il vomit de sa bouche ceux qui ne sont ni froids ni chauds, mais tièdes [7]. Jésus-Christ, qui est Dieu, dit aussi : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé [8] ». Il existe aussi un toucher divin dont l’épouse dit, en parlant de son époux : « Sa main gauche est sous ma tête, et sa droite m’embrassera [9] ». Mais ces choses

  1. Jn. 10, 30
  2. Id. 14, 28
  3. Mat. 3,16
  4. Act. 2, 3
  5. Luc. 9, 35
  6. Eph. 5, 2
  7. Apo. 3, 16
  8. Jn. 4, 34
  9. Can. 2, 6