sous le poids des épreuves de cette vie, le cœur accablé d’ennuis à cause de sa timidité et des ténèbres où il se voyait plongé, David désirait s’enfoncer dans ta solitude : « Voilà », disait-il, « que j’ai précipité ma fuite ; j’ai établi ma demeure dans le désert[1] ». Que dire de plus, quand je vois le Rédempteur du monde daigner te visiter lui-même au commencement de sa vie publique et te consacrer en faisant de toi son séjour ? L’Évangile en fournit la preuve certaine : Quand Jésus eut purifié l’eau du baptême par cela même qu’il lui permit de couler sur sa tête, « l’Esprit le poussa dans le désert, et il demeura dans le désert quarante jours et quarante nuits, et il était tenté par Satan, et il demeurait avec les bêtes sauvages[2] ». Que le monde se reconnaisse pour ton obligé, puisqu’il sait que le Sauveur lui est venu de toi pour prêcher son Évangile et opérer ses miracles. O désert, séjour redouté des esprits malins, pareilles aux tentes d’un camp rangées en ordre, semblables aux tours de Sion et. aux forteresses d’Israël, les cellules des moines s’y élèvent contre les Assyriens et en face de Damas. Dans ces cellules, le même esprit fait remplir des devoirs bien différents les uns des autres ; car on y psalmodie, on y récite des prières, on y écrit, on s’y occupe de travaux manuels de toutes sortes ; pourquoi, alors, ne pas appliquer en toute justesse au désert ces paroles divines : « Que tes pavillons sont beaux, ô Jacob ! Que tes tentes sont belles, ô Israël ! Elles sont comme des vallées couvertes d’arbres, comme des jardins le long des fleuves, comme des tentes dressées par Jéhovah, comme des cèdres sur le bord des eaux[3] ? » Que dire de plus à ton sujet, ô vie érémitique, vie sainte, vie angélique, vie bénie, vivier des âmes, trésor des pierres précieuses destinées au ciel, palais habité par les sénateurs spirituels ! Le parfum que tu répands surpasse de beaucoup la suave odeur de tous les aromates ; le miel qui coule des rayons de la ruche ne t’égale pas en douceur ; tu flattes bien mieux le palais d’un cœur éclairé par la grâce que ne pourraient le faire les sucs réunis de toutes les fleurs ; par conséquent, tout ce qu’on peut dire de toi ne sera jamais à la hauteur de tes mérites, car une langue de chair est impuissante à exprimer ce qu’éprouvent invisiblement les esprits ; ce que tu ressens dans ton palais intérieur, dans les secrets replis de ton cœur, jamais l’organe de la voix du corps ne sera capable d’en donner une idée. Ils te connaissent bien ceux qui t’aiment ; ils savent ce que tu mérites de louanges ceux qui trouvent leur repos dans les embrassements de ton amour. Au reste, comment l’homme, qui ne se connaît pas lui-même, pourrait-il se vanter de te connaître ? Moi-même, je reconnais que je ne puis faire ton éloge ; mais, ô vie bénie, il y a une chose que je sais bien et que j’affirme sans hésiter ; la voici : Quiconque fait ses efforts pour persévérer dans le désir de t’aimer, finira par habiter en toi, et Dieu habitera en lui. Le diable lui devient utile par les tentations dont il le poursuit, et il gémit de le voir tendre vers le séjour d’où il s’est vu lui-même chassé. Le vainqueur des démons entre donc dans la société des Anges ; celui qui s’est exilé du monde devient l’héritier du paradis ; en se renonçant soi-même, on est disciple du Christ, et, parce qu’aujourd’hui on marche sur ses traces, on sera certainement élevé, après le voyage, à l’honneur de régner avec le Sauveur. Enfin, et j’ajoute ceci en toute confiance, quiconque, par amour pour Dieu, passera sa vie jusqu’à la fin dans la solitude, sortira de cette maison de boue pour entrer dans la construction de l’édifice éternel et céleste qui ne sera point fait de main d’homme[4].
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