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Quand tu jetais dans le trésor, tu ne voyais pas ; mais moi, je conservais tout pour te le rendre un jour. Et en effet, mes frères, quiconque a jeté dans ce trésor, sait qu’il y a jeté ; mais il ne voit plus ce qu’il y a jeté. Suppose un trésor caché en terre, et n’ayant qu’une ouverture ou qu’une fente par où tu peux jeter ; tu y jettes peu à peu ce que tu acquiers ; si tu ne vois point ce que tu as jeté, la terre néanmoins le conserve. Et celui qui a fait le ciel et la terre ne te le conserverait point ?

2. Soulevez donc, mes frères, soulevez mon fardeau, portez-le avec moi : vivez d’une vie sainte[1], car nous avons à nourrir aujourd’hui nos pauvres, à faire preuve envers eux d’humanité. Quant à la nourriture que je vous apporte, elle consiste dans mes paroles. Vous donner à tous un pain extérieur et visible, je ne le pourrais ; je donne la nourriture dont je me rassasie ; car je suis ministre et non père de famille ; aussi ne puis-je vous servir que le pain dont je vis moi-même dans les trésors de mon Dieu, quelque part du festin de ce père de famille si qui, étant riche, « s’est fait pauvre pour l’amour de nous, afin que nous devinssions riches par sa pauvreté[2] ». Si je vous offrais du pain, chacun en prendrait un morceau et s’en irait, et quand j’en apporterais en grande quantité, chacun n’en aurait qu’un bien chétif morceau. Mais ma parole, voilà que tous l’ont tout entière, et chacun tout entière encore. Pouvez-vous, en effet, partager entrevous des syllabes ? Est-ce que vous avez pu distraire chaque mot de mon discours prononcé ? Chacun de vous a entendu le discours tout entier. Mais que chacun voie comme il entend, car je suis pour donner et non pour recevoir. Si je ne donne point, si je conserve mes richesses, l’Évangile m’effraye. Je pourrais dire, en effet : Combien il m’en coûte d’ennuyer les hommes ? de dire aux pécheurs : Loin de vous toute action perverse ? C’est ainsi qu’il faut vivre, ainsi qu’il faut agir, voilà ce qu’il faut éviter ? Que me revient-il d’être à charge aux hommes ? Je sais comment je dois vivre ; je vivrai selon la règle qui m’est tracée, le précepte qui m’est imposé. En distribuant ce que j’ai reçu, pourquoi me faut-il rendre compte des autres ? L’Évangile m’effraye. Nul homme ne me ferait renoncer à cette sécurité si paisible, rien de mieux, rien de plus doux, de sonder sans bruit les trésors de Dieu : c’est là un charme, un bonheur. Mais prêcher, mais reprendre, mais redresser, mais édifier, mais redoubler d’efforts auprès de chacun, c’est là une grande charge, un grand fardeau, une grande fatigue. Qui ne reculerait devant cette fatigue ? Mais l’Évangile m’effraye. Voici un serviteur qui dit à son maître : « Je vous connaissais pour un homme dur, récoltant où vous n’avez pas semé, j’ai gardé votre argent, je n’ai point voulu en donner ; prenez ce qui vous appartient ; s’il y en a moins, jugez-en ; si c’est le tout, ne troublez point mon repos. Mais le maître répondit : « Mauvais serviteur, je te juge par tes paroles[3] ». Pourquoi ? Puisque tu me dis avare, pourquoi négliger mes bénéfices ? Mais j’ai craint

  1. Une édition ajoute : « Natalis Domini imminet, voici que Noël approche ». Faut-il accuser le libraire d’avoir omis Natalis Domini imminet dans le manuscrit ? Ou bien cette addition s’est-elle glissée dans tous les manuscrits de la Gaule, par quelque ministre de saint Césaire, ou par tout autre prêchant une ordination épiscopale quelques jours avant Noël ? je dirai ce que j’en pense d’après les conjectures probables. L’édition de Saint-Maur, tom. 5, a rejeté dans l’appendice le sermon 116, inscrit au nom de saint Césaire, dans le catalogue de Corbeil, au numéro6 duquel on lit : « Natalis Domini imminet… ad convivia vestra frequentius pauperes evocate » ; et num. 3 : « Pauperes ante omnia ad convivium frequenter vocemus ». or, il est permis de conjecturer que saint Césaire fut promu à l’épiscopat dans le mois de décembre, surtout d’après l’auteur de sa vie, qui dit que saint Césaire fut préposé à l’église d’Arles quelque temps après la mort d’Aeonius, qui arriva le 16 des calendes de septembre. Or, d’après ces paroles, j’aimerais mieux conjecturer un intervalle de quelques mois, plutôt qu’un intervalle de quelques jours, comme l’ont pensé les Bollandistes ; quelque diacre dès lors, ou quelque prêtre de saint Césaire, en prêchant aux approches de Noël, aura lié la pensée de cet évêque avec le discours de saint Augustin, en changeant l’expression « aujourd’hui » en ces autres paroles :« Voici que Noël approche », afin de parler des festins des pauvres, en saisissant cette métaphore d’une nourriture spirituelle, sur laquelle saint Augustin avait fait un jeu de mots. Mais, diras-tu : pourquoi ne pas les attribuer à l’évêque d’Hippone ? Nulle part, que je sache, le saint docteur n’a parlé de préparation particulière à la fête de Noël, et ce serait l’unique endroit où il eût insisté à ce sujet. Or, quel homme, tant soit peu versé dans la lecture de saint Augustin, noue dira qu’il a pu y insinuer cette nécessité de préparation comme à la dérobée, et par une simple phrase, et sans insister longuement ? Tout lecteur de ses écrits ne peut ignorer que le même docteur qui, dans les pointa spéculatifs, exige de ses auditeurs une vive attention, demande, au contraire, dans les points de pratique et de morale, beaucoup de patience, dirons-nous avec Erasme (Praefat. ad op. Aug.), pour faire toujours le même cas des sentences sur lesquelles il insiste. De plus, on se figure difficilement que le saint docteur ait emprunté à la fête prochaine l’occasion de parler en ce jour de son devoir de donner aux fidèles une nourriture spirituelle, plutôt qu’au ministère du pasteur, dont il a déjà tant parlé. Mais, sans le savoir, je vais me heurter contre Pagina, les Bollandistes, saint Maur, Tillemont et les autres critiques de premier ordre, qui souscrivent toue au texte de l’édition, et en infèrent que saint Augustin fut ordonné évêque d’Hippone au mois de décembre. Or, pour préciser cette époque, sans rien dire de moi-même, je ne donnerai que l’avis de saint Prosper, suivi par Cassiodore et Hermann Contractus dans Canisius, et dont Tillemont confesse la certitude, sur l’autorité de monseigneur Pontac (Mém. pour servir à l’Histoire ecclésiastique, tom. 13, not. 24 § 25). Or, ce digne disciple de saint Augustin atteste (Chron, pag. 2) que Théodose, régnant encore avec ses fils, Arcadius et Honorius, sous le consulat d’Olybrius et de Probinus, l’an 395, cet illustre flambeau de l’Église fut élevé sur la chaire d’Hippone. Mais Socrate (Hist. eccl, l. 6, c. I) fixe la mort de Théodose au 16 des calendes de février ; tous les chronographes sont d’accord sur ce point, ce qui nous donnerait l’ordination de saint Augustin dans le mois de janvier, et nous prouverait que le catalogue du Mont-Cassin a raison de dire : «Hodie », et non : «Natalis dies imminet ».
  2. 2Co. 8, 9
  3. Luc. 19, 21 et suiv