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ONZIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE DE SAINT JEAN-BAPTISTE[1]

ANALYSE. —1. Qui a préparé une lumière, pour qui et quelle lumière.—2. Modestie de Jean-Baptiste.—3. Dignité de Jean-Baptiste.—4. Mystère de la Trinité, co-éternité du Père et du Fils. —5. La Trinité se manifeste au baptême du Christ.—6. Quels sont les ennemis occultes du Christ.—7. Quels sont les ennemis déclarés dit Christ. —8. Récapitulation et exhortation.

1. Nous tenons à votre charité, et dans la maison de Dieu, le langage du psaume que l’on vient de chanter. Quel est celui qui dit « J’ai préparé une lampe à mon Christ ; je couvrirai ses ennemis de confusion, et sur lui éclatera la gloire de ma sainteté ?[2] » Quelle est aussi cette lampe préparée à son Christ, et quels sont les ennemis du Christ que, par cette lampe, il doit couvrir de confusion ; quelle est la sainteté de celui qui a préparé cette lampe à son Christ, laquelle doit éclater par ce même Christ ? Ce qui est manifeste, ce que l’on voit clairement, dans toutes ces paroles, c’est que le Prophète dit ici : « A mon Christ ». Or, il est impossible de n’entendre pas ici le Christ notre Seigneur et. Sauveur ; et, en sondant, avec le secours de Dieu, la profondeur de cette parole, nous la mettons dans la, bouche de Dieu le Père. Le Père donc, ou la personne de Dieu le Père, dit par la bouche du Prophète : « J’ai préparé une lampe à mon Christ ». Or, il est inutile de dire longuement à des chrétiens que le Christ de Dieu est aussi le Fils de Dieu. Après avoir découvert la personne de l’interlocuteur, voyons quelle est cette lampe que Dieu le Père a préparée à son Fils. Le Seigneur lui-même a dit de Jean-Baptiste « Celui-là était une lampe ardente et brillante, et pour un peu de temps vous avez voulu vous réjouir à sa lumière[3] ». Il appelle donc Jean-Baptiste une lampe allumée à la source de la lumière, pour rendre témoignage à la vérité. Tel était donc l’aveuglement des hommes, tel était pour eux la faiblesse de l’œil intérieur, qu’il leur fallut une lampe pour chercher le soleil de justice. Qu’un homme ait pur l’œil du cœur, il le verra intérieurement et ne cherchera point une lampe qui lui rende témoignage. Après avoir dit, en effet, de cette lampe : « Pour un peu de temps, vous avez voulu vous réjouir à sa clarté », le Sauveur ajoute : « Pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean[4] ». C’est donc pour les infirmes qui sont dans les ténèbres qu’on allume cette lampe, et comment l’allumer ? Le Père, en parlant de Jean, dit à son Fils : « Voilà que j’envoie devant vous mon ange, qui préparera la voie devant votre face[5] ». C’est ainsi qu’il prépare une lampe à sons Christ.

2. Comment, par cette lumière, a-t-il couvert ses ennemis de confusion ? Mais tout d’abord, voyez, comme nous l’avons dit, que cette lampe est allumée au foyer de la lumière. Saint Jean lui-même rend ce témoignage : « Pour nous, c’est de sa plénitude que nous avons reçu[6] ». Or, telle était la suréminente de Jean, qu’on ne le regardait pas seulement comme envoyé devant le Christ, mais comme le Christ lui-même. Dès lors, si la lampe eût été éteinte et enfumée par les ténèbres de l’orgueil, quand les Juifs lui envoyèrent une députation et lui demandèrent:« Qui êtes-vous[7] ? Êtes-vous le Christ ? ou Élie ? ou le Prophète ? » il eût répondu : Je le suis. Belle occasion de jactance pour lui, puisque l’erreur des hommes lui déférait les honneurs divins. Lui-même cherchait-il à persuader ce que ses interrogateurs lui demandaient les premiers ? Mais il est un humble envoyé qui va préparer la voie au Très-Haut. De là vient qu’il est l’ami de l’Époux, parce qu’il est le serviteur qui connaît son maître. Et il dit : « Je suis la voix de celui qui crie au désert : Préparez les voies au Seigneur, rendez droits ses sentiers[8] ». Je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète. Et eux : « Qui donc êtes-vous ? » Et que leur répondit-il ? « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur[9] ». Déjà Isaïe avait fait cette prédiction ; et l’on voit ici de qui il veut parler. Vous avez lu, nous dit-il, ces paroles dans le prophète Isaïe, et peut-être ne saviez-vous de qui il parlait. Or, c’est de moi qu’il parlait ainsi. Combien il s’abaisse, celui qui, tout à l’heure, était élevé au point qu’on le prenait pour le Christ ! oui, voyez combien il s’abaisse ! « Pour moi », dit-il, « je vous baptise dans l’eau, mais celui qui vient après moi est plus grand que moi[10] ». Il pourrait être proclamé un peu plus grand que lui[11]. Jean le proclame absolument plus grand que lui. Mais, dites-nous, de combien est-il plus grand ? « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers[12] », nous dit-il.

3. Voyez déjà, dans les plans divins, pourquoi Jean est envoyé avant le Christ. Voyez combien il est inférieur, et combien, de son aveu, le Christ est plus grand, puisqu’il se dit indigne de dénouer les cordons de ses souliers. Combien est grand celui qui se dit indigne de dénouer les cordons de ses souliers ? Quelle est sa grandeur ? Où la chercher ? Si nous le demandons à Jean, nous ne le saurons point ; il s’humilie, ne dit rien de lui-même, ni selon la vérité ; ni par jactance. Quelle est donc la grandeur de Jean qui n’est pas digne de dénouer les cordons des souliers de celui que l’on regarde comme un homme ; qui nous l’apprendra ? Interrogeons le Seigneur lui-même, et disons-lui : Seigneur, voilà que Jean vous a rendu témoignage ; et telle était sa grandeur parmi les hommes, qu’on le prenait pour le Christ et qu’on lui demandait qui il était, et il répondait qu’il n’était point le Christ, qu’un autre viendrait plus grand que lui, et tellement plus grand, qu’il n’était pas digne de lui délier les cordons de ses souliers. Il a parlé de vos clartés supérieures comme une lampe fidèle. Voilà ce que Jean a dit de vous. Voyons, quel est celui qui a ainsi parlé de vous, combien est grand celui qui s’est ainsi humilié devant

  1. On lit dans le manuscrit, fol. 26 : Sermon de saint Augustin, évêque, sur la fête du bienheureux Jean-Baptiste.— C’est un traité sublime de la Trinité, remarqué par Possidius dans l’Indic. Opp. c.8, sous ce titre : Sur ce verset du psaume CXXXI : J’ai préparé une lampe à mon Christ.
  2. Psa. 131, 17-18
  3. Jn. 5, 35
  4. Id. 36
  5. Mal. 3, 1 ; Mat. 11, 10
  6. Jn. 1, 16
  7. Id. 19
  8. Mat. 3, 3
  9. Isa. 11, 3
  10. L’éditeur avoue que cette phrase est difficile à comprendre.
  11. Luc. 3, 26
  12. Id