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SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE PÂQUES[1].

ANALYSE. —1. Qui fait la Pâque, et comment la faire. —2. Alléluia pour les riches, les pauvres, les affligés. -3. Dieu agit en Père ; le Diable en marchand.

1. Chacun sait que nous célébrons les jours de la Pâque, et qu’en ces jours nous chantons Alléluia. C’est pourquoi, mes frères, il faut apporter nos soins à bien mettre dans notre esprit ce que nous célébrons extérieurement. Nous célébrons en effet la Pâque, disons-nous ; or, Pâque est un mot hébreu, que l’on traduit en latin par transitus, passage ; en grec c’est πάσκειν, souffrir, en latin pascha, pascere, donner à manger, ainsi on dit : J’hébergerai mes amis. Or, qu’est-ce que célébrer la Pâque, sinon passer de la mort de ses propres péchés à la vie des justes ? Ainsi un Apôtre a dit : « Nous savons que nous avons passé de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères[2] ». Qu’est-ce que faire la Pâque, sinon croire en Jésus-Christ qui a souffert sur la terre, afin de régner avec lui dans les cieux ? Qu’est-ce que faire la Pâque, sinon nourrir le Christ dans les pauvres ? Car c’est lui qui a dit, à propos des pauvres : « Quiconque aura fait quelque bien au moindre des miens, l’aura fait à moi-même[3] ». Le Christ est assis dans les cieux, mais il est indigent sur la terre. Là-haut, il intercède pour nous auprès de son Père, et ici-bas il demande un morceau de pain. Donc, mes seigneurs, mes frères, si nous voulons faire saintement la Pâque, passons, souffrons, faisons l’aumône. Passons du péché à la justice, souffrons pour le Christ, faisons l’aumône au Christ dans les pauvres. Asseyons-nous à d’honnêtes festins, afin de jouir du festin céleste, dans le royaume de Dieu, avec Abraham. Chantons donc au Seigneur, Alléluia, qui signifie en latin : louange à celui qui est. Bénissons-le, et dans l’adversité, et dans la prospérité. Point d’orgueil dans la prospérité des richesses, point d’abattement sous le fléau des revers. Chantons l’Alléluia avec Job qui disait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni[4] ». Bénissons donc le Seigneur en tout temps ; car nous chantons un perpétuel Alléluia, quand, au bruit de notre langue, nous joignons le mouvement de nos membres pour opérer la justice, et quand le chant qui est dans notre bouche se reflète dans les œuvres de notre vie.

2. Écoutez comment il est enjoint aux pauvres et aux riches de chanter l’Alléluia. « Ordonnez », dit l’Apôtre, « aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de n’espérer point dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie, d’être riches en bonnes œuvres, de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens, de se faire un trésor pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie[5] ». Que les pauvres doivent chanter, c’est ce qu’enseigne Tobie : « Mon fils n, dit-il, « sois sans crainte au sujet de la vie pauvre que nous menons ; mais tu auras de grandes richesses si tu crains Dieu et si tu fais le bien en sa présence[6] ». Membres bien-aimés du corps de Jésus-Christ, attendons notre Chef qui doit venir du ciel, et en nous joignant à lui nous demeurerons stables, en sorte que nous régnerons avec lui dans le ciel après avoir célébré sa passion sur la terre. Supportons ses châtiments, afin de nous redresser, parce que c’est en fils que nous traite le Seigneur. « Quel enfant », dit l’Apôtre, « n’est point châtié de son père ?[7] » Vous soustraire aux châtiments du Seigneur, ce serait agir en bâtards et non en fils légitimes. Supportons donc la rigueur du père, pour ne pas encourir la sévérité du juge.

3. Dieu et le diable, c’est le père et le marchand[8]. Dieu comme père nous châtie, nous corrige, mais nous associe à lui ; le diable nous flatte, nous séduit, mais pour nous vendre. Notre père porte un fouet, le marchand porte un sac. Si tu te réfugies sous les ailes de celui qui châtie, tu échapperas aux ignominies du trafiquant. Vois lequel te mettra en repos, ou dans le royaume des cieux, ou dans le feu des enfers. Si tu aspires au royaume de Dieu, tu pourras te réjouir dans la liberté ; mais si tu veux le sac, tu sentiras les chaînes de la servitude ; on te liera les pieds et les mains, et l’on dira de toi : « Saisissez-le, et jetez-le dans les ténèbres a extérieures, c’est là qu’il y aura des pleurs a et des grincements de dents[9] ». Et l’on nous crie bien haut : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux églises[10] ».

  1. Dans le manuscrit, fol. 10, pag. 2, on lit : Sermon de saint Augustin sur la fête de Pâques. Toutefois ce discours révèle peu saint Augustin, du moins dans son entier. C’est ce que pourront constater ceux qui sont familiarisés avec le saint docteur ; car je penche plutôt à le lui refuser qu’à le lui attribuer.
  2. Jn. 3, 14
  3. Mat. 25, 40
  4. Job. 1, 21
  5. 1Ti. 6, 17,18
  6. Tob. 4, 3
  7. Héb. 12, 7
  8. On retrouve ce langage au sermon 21, n. 4.
  9. Mat. 22, 13
  10. Ap. 3, 22