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la faiblesse humaine n’aurait pu le comprendre. Car, comme la Trinité est absolument inséparable, nous n’aurions jamais su qu’en elle se trouvent trois personnes, si l’on avait toujours parlé d’elle sans faire de distinction entre ces mêmes personnes. Quand nous disons : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous ne les nommons pas ensemble, quoique cependant ils ne puissent pas n’être pas ensemble. Quant à ce que Jésus ajoute : « Il vous rappellera », nous devons aussi comprendre par là qu’il nous est enjoint de ne pas oublier que ses salutaires enseignements touchent à la grâce, et que la grâce nous rappelle l’Esprit-Saint.

3. « Je vous laisse la paix », continue Jésus, « je vous donne ma paix ». C’est là cette paix par-dessus la paix dont nous parle le Prophète : au moment de partir, il nous laisse la paix ; quand il viendra à la fin des temps, il nous donnera sa paix. Il nous laisse la paix dans ce monde, il nous donnera sa paix dans l’autre vie ; il nous laisse la paix avec laquelle, tant que nous la conservons, nous triomphons de l’ennemi ; il nous donnera sa paix, quand nous régnerons sans craindre désormais l’ennemi. Il nous laisse la paix, afin qu’ici-bas nous nous aimions les uns les autres ; il nous donnera sa paix, quand nous ne pourrons plus avoir de dissentiment les uns avec les autres ; il nous laisse la paix, afin que nous ne jugions pas réciproquement de nos intentions cachées, tant que nous sommes en ce monde ; il nous donnera sa paix, lorsqu’il manifestera les pensées des cœurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due[1]. Mais c’est toujours en lui et par lui que nous avons la paix ; qu’il s’agisse de celle qu’il nous laisse avant d’aller à son Père, ou qu’il soit question de celle qu’il nous donnera en nous conduisant à son Père, peu importe. Mais, en allant à son Père, nous laisse-t-il autre chose que lui-même, puisqu’il ne s’éloigne pas de nous ? Il est lui-même notre paix, car de deux peuples il n’en a fait qu’un[2]. Il est donc lui-même la paix, et quand par la foi nous croyons qu’il est, et quand nous le voyons tel qu’il est[3]. Si, en effet, tandis que nous sommes dans un corps corruptible qui appesantit l’âme, que nous marchons par la foi et non par l’évidence, il ne nous abandonne pas dans notre pèlerinage loin de lui[4], combien moins nous abandonnera-t-il, quand nous serons arrivés à l’évidence elle-même ! Combien plus nous remplira-t-il de lui-même !

4. Mais pourquoi, lorsqu’il a dit : « Je vous laisse la paix », n’a-t-il pas ajouté : « la mienne ? » Et quand il a dit : « Je vous donne », a-t-il ajouté : « ma paix ? » Faut-il sous-entendre le mot « ma » où il n’a pas été dit, et parce qu’il est employé à l’un des deux endroits, se rapporte-t-il aussi à l’autre ? N’y a-t-il pas là quelque chose à lui demander et à rechercher ? Ne devons-nous pas frapper afin qu’il nous ouvre ? Par cette paix qu’il déclare être la sienne, n’a-t-il pas voulu désigner celle qu’il possède lui-même ; et la paix qu’il nous laisse en ce monde n’est-elle pas plutôt la nôtre que la sienne ? Il ne rencontre, en effet, en lui-même aucune opposition au bien, celui qui n’est pas sujet à commettre le péché ; pour nous, notre paix est de telle nature que nous devons dire encore : « Pardonnez-nous nos offenses[5] ». Nous avons donc une certaine paix, parce que nous nous réjouissons dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur ; mais cette paix n’est pas entière. Car nous sentons dans nos membres une autre loi qui combat contre la loi de notre esprit[6]. De même la paix se trouve entre nous, parce que nous avons une confiance mutuelle, que nous nous aimons les uns les autres, mais cette paix n’est pas entière, parce que nous ne voyons pas mutuellement les pensées de notre cœur, et certaines choses qui nous concernent et sont en nous, nous les jugeons ou en bien ou en mal. Aussi, et quoiqu’elle nous ait été laissée par Jésus-Christ, cette paix est la nôtre ; et même, telle qu’elle est, nous ne l’aurions pas sans lui. Quant à lui, il ne possède point une paix pareille à la nôtre. Si nous la conservons jusqu’à la fin telle que nous l’avons reçue, il la rendra semblable à la sienne : alors nous ne sentirons plus en nous aucun combat, et dans les cœurs les uns des autres, rien ne nous sera plus caché. Je ne l’ignore pas : on peut entendre ces paroles du Seigneur en ce sens qu’il répéterait deux fois la même chose : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » ; par conséquent, après avoir dit : « la paix », il se répéterait en disant « ma paix » ; et après vous avoir dit : « je vous laisse », il se

  1. 1Co. 4, 5
  2. Eph. 2, 14
  3. 1Jn. 3, 2
  4. 2Co. 5,6-7
  5. Mat. 6, 12
  6. Rom. 7, 22-23