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vivante[1] ». « Âme vivante », dit l’Écriture, elle vivra donc après la mort ; d’où il suit que cette âme est essentiellement différente de l’âme des animaux, laquelle doit périr avec le corps. Et comme les animaux sont de viles créatures, Dieu, au lieu de les former comme il forma le corps de l’homme, se contenta d’une parole : « Et Dieu dit : Que la terre produise des animaux, et il fut fait ainsi[2] ». Comprenez donc, ô homme, quelle est votre dignité. Le Seigneur Dieu a formé votre corps de sa propre main, il vous a animé du souffle de son Esprit, tandis que les animaux et les bêtes sont sortis en quelque sorte du souffle de la terre.

3. Essayons maintenant de comparer les mérites ou la nature de l’âme et du corps. L’âme est réputée sainte, le corps est pécheur. Il est certain que l’âme est sainte, toutefois le corps ne pèche que par le vice de l’âme. Connaissez-vous bien, ô homme, considérez-vous attentivement et vous comprendrez que le corps ne sent rien que par les sens de l’âme ; faites abstraction de l’âme, le corps est mort et incapable d’aucun mouvement. Le corps participe donc au bien comme il est l’instrument du mal ; et si le corps souille l’âme, réciproquement il est purifié par les mérites et la sainteté de l’âme. Remontant à l’origine de la responsabilité et des crimes du corps, nous disons que le corps a été condamné à la mort dans Adam, mais qu’il ressuscite en Jésus-Christ ; si la chair a été condamnée dans Eve la première femme, elle a été consacrée dans la Vierge Marie. Je le prouve par les oracles des Prophètes : « Dieu dit encore : Mon Esprit ne demeurera pas dans les hommes, parce qu’ils sont chair[3] ». Au contraire, il est dit ailleurs en faveur de la chair : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair[4] ». Isaïe, frappant la chair, s’écrie : « Toute chair n’est qu’une herbe desséchée[5] ». Et pour relever la chair, il dit aussi : « Toute chair verra le salut de Dieu[6] ». L’apôtre saint Paul condamne la chair en ces termes : « Ne suivez pas les désirs de la chair » ; mais il la loue en ces termes : « Je porte dans ma chair les stigmates de Jésus-Christ[7] ». Notre Seigneur disait aux incrédules : « C’est l’Esprit qui vivifie la chair[8] ». Mais vous dites « La chair ne sert de rien[9] » : Puisqu’il en est ainsi, mes frères, si la chair est accablée par ses crimes, pourquoi ne va-t-elle pas plutôt se relever en s’honorant des mérites divins du Fils de Dieu revêtu de notre chair ?

4. N’aurez-vous que du mépris pour cette chair que Dieu a revêtue, qu’il a déposée, reprise et élevée dans le ciel ? N’aurez-vous que du mépris pour cette chair que la flamme a respectée dans la personne des trois enfants juifs, et devant laquelle s’est arrêtée la rage des lions dans la personne de Daniel ? N’aurez-vous que du mépris pour cette chair qui, aidant à la force des saintes âmes, a fait d’innombrables martyrs ? Vous méprisez les hommes perdus, vous méprisez les voluptueux en qui l’âme s’est laissé corrompre par les désirs de la chair et a précipité, à son tour, le corps dans la corruption des passions et des vices. Vous méprisez les anges qui, épris d’amour pour les filles des hommes, ont souillé la majesté des corps célestes par la volupté terrestre. Ainsi donc, soit que vous honoriez la chair dans les martyrs, soit que vous la condamniez dans les voluptueux, il est absolument nécessaire de faire retomber toute responsabilité sur les âmes. La chair, dans sa servitude, n’a fait que ce que l’âme a voulu. La chair ressuscitera donc, soit sainte, soit coupable, et comme l’âme, elle recevra selon les œuvres de sa vie sur la terre. Telles seraient, en matière de chasteté, une servante et sa maîtresse ; il peut se faire que la servante provoque la séduction, mais la maîtresse n’en sera pas moins coupable, pour avoir voulu ou consenti.

5. La chair ressuscitera donc, soit sainte, soit coupable ; et les malheureux pécheurs seront obligés de vivre malgré eux. O nécessité des choses ! en essayant de justifier la chair, il se trouve que nous accusons les âmes. Nous accusons les dons de Dieu, lesquels, semblables à des étincelles jaillissant de la flamme, ont mérité, non pas de vivre dans le foyer, mais de s’éteindre dans la paille ; nous accusons les choses célestes opprimées par les choses terrestres. Toutefois, nous attendons le jugement de Dieu qui seul peut apprécier les devoirs de la chair et les mérites des âmes. Il est donc vrai que l’âme ne peut être séparée de la chair ni en matière d’innocence, ni en matière de culpabilité, et réciproquement la chair ne peut être séparée de l’âme ni en matière d’innocence, ni en

  1. Gen. 2, 7
  2. Id. 1, 24
  3. Id. 6, 3
  4. Id. 40, 6
  5. Isa. 44, 3
  6. Lc. 3, 6
  7. Gal. 5, 16
  8. Id. 6, 17
  9. Jn. 6, 64