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Dieu pour les hommes ? « C’est ainsi que Dieu a aimé le monde jusqu’à lui envoyer son Fils unique[1] » pour lui communiquer sa vie. Et pourquoi ce miracle de charité divine ? Afin de vous faire mieux sentir la grandeur de l’amour qu’il nous témoignait. Mais, enfin, quel est le prix de la charité ? « La plénitude de la loi », dit l’Apôtre, « c’est la charité[2] » ; et encore : « La fin du précepte, c’est la charité[3] ». La charité est donc le bien par excellence, puisqu’elle résume en elle tous les préceptes. Or, cette charité se trouve par excellence dans la mort et la résurrection du Seigneur.

5. C’est une longue tâche d’énumérer chacune des espèces de parfum qui nous occupe, et ce travail nous expose à de nombreuses répétitions. Contentons-nous donc de signaler les autres espèces, sans nous obliger à en faire ressortir toute l’importance. Dans cette composition se trouve d’abord la vertu à laquelle se mêle la force de la patience. Nous trouvons aussi l’obéissance, « car Jésus-Christ s’est fait obéissant à son Père jusqu’à la mort et à la mort de la croix[4] ». Une odeur suave est aussi produit par l’espérance qui étend son influence au-delà de la mort, et attend la résurrection, non seulement de l’esprit, mais aussi du corps après la résurrection de Jésus-Christ. Tous ces parfums se confondent pour moi dans celui que j’ai signalé par ces paroles : « Jésus-Christ est mort et est ressuscité ». Toutes ces espèces de parfum réunies forment une odeur de vie pour la vie ; quelle n’est pas la corruption de ceux pour qui tout cela ne produit qu’une odeur de mort pour la mort. Pour nous, nous disons : « Votre nom, Seigneur, est un parfum répandu[5] » ; et encore : « Nous courrons sur vos traces à l’odeur de vos parfums [6] » ; notre seul désir est d’être pénétrés de cette odeur que nous suivons, afin que nous produisions nous-mêmes cette odeur de piété, de charité, de patience, d’obéissance et d’espérance, que nous aspirons dans la mort de Jésus-Christ.

6. Mes frères, ayons donc sans cesse devant les yeux, si nous le pouvons, l’utilité infinie de la croix du Seigneur et les joies de la résurrection. Considérons les précieux avantages que Jésus-Christ nous a procurés par le mystère de sa mort ; n’oublions pas que si la mort régnait universellement par la licence du péché, tout est maintenant soumis à l’empire de Jésus-Christ, tout, et spécialement l’homme lui-même, enchaîné jusque-là sous la loi de la mort par la transgression de nos premiers parents : « Car la mort régnait depuis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux qui s’abstenaient du péché et subissaient néanmoins les suites de leur ressemblance avec Adam[7] ». Est-il donc étonnant que le désespoir ait plongé le genre humain dans des ténèbres et des erreurs où n’apparaissait aucun rayon de la foi ? Les chaînes que le premier Adam avait rivées, le second Adam devait les briser. La seconde naissance devait réparer le mal qu’avait fait la première génération, issue d’Adam coupable. L’immolation de l’agneau, célébrée sous la loi de l’ancienne pâque, n’était pas suffisante pour purifier le monde ; il fallait l’offrande de cet agneau qui effacerait le péché du monde. Les nations en étaient venues à douter si l’âme triompherait après la mort ; et voici qu’après la croix, dans la chair de Jésus-Christ, nous trouvons l’infaillible assurance que notre corps lui-même ressuscitera ; là où le péché d’Adam avait apporté la mort, il était nécessaire que l’obéissance de Jésus-Christ apportât la vie. « Comme », dit l’Apôtre, « nous mourons tous en Adam, de même nous serons tous vivifiés en Jésus-Christ[8] ». Notre Sauveur a donc accepté la mort pour lui-même, afin de nous préparer à tous la vie ; il me semble l’entendre dire aux hommes, dans son infinie miséricorde : Je ne refuse pas de partager votre mort, afin que je vous offre de partager ma résurrection. Sans doute la divinité qui est en moi ne saurait donner prise à la mort ; toutefois par ma naissance humaine, je recevrai de vous ce que je pourrai offrir en mourant pour vous. Tout ce que vous êtes, je le serai, afin de donner tout ce que je suis. En effet, par la bouche de son Prophète, nous l’entendons parler de sa mort comme d’une menace de mort pour notre propre mort. « Je serai », dit-il par le prophète Osée, « je serai votre mort, ô mort je serai ta morsure, enfer[9] ». Je subirai les droits de la mort, mais je les détruirai ; un jour j’entrerai dans ta prison, non pas pour rester enfermé, mais pour briser tes barrières.

  1. Jn. 3, 16
  2. Rom. 13, 10
  3. 1Ti. 1,5
  4. Phi. 2, 8
  5. Can. 1,3
  6. Id. 4
  7. Rom. 5, 14
  8. 1Co. 15, 23
  9. Os. 13, 14.