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puisque tu la recherches pour autre chose que pour elle-même. Tout ce que nous recherchons dans un autre but que d’en jouir, nous n’y trouvons pas notre fin ; au contraire, tout objet que nous recherchons pour lui-même, sans porter nos vues ailleurs, nous en faisons notre fin. Tu recherches les honneurs, peut-être dans l’intention de faire quelque chose, d’accomplir une obligation, de plaire à Dieu. Ne leur donne pas tes affections, car tu pourrais les y fixer. Tu recherches les louanges ? Si c’est pour Dieu, tu fais bien ; si c’est pour toi, tu fais mal ; tu t’arrêtes en chemin. Mais voilà qu’on t’aime, qu’on fait ton éloge ; ne t’applaudis pas pour toi-même des louanges qu’on te donne ; il faut t’en applaudir pour Dieu, afin que tu puisses chanter ces paroles : « Mon âme sera louée dans le Seigneur[1] ». Tu fais un beau discours ; en fait-on l’éloge ? Ne l’accepte pas comme si ce discours venait de toi ; là n’est pas ta fin. Si tu y trouves ta fin, tu es fini ; mais tu es fini, non pas dans le sens de la perfection, mais dans le sens de la consomption. Ne reçois donc pas d’éloges pour les discours comme s’ils venaient de toi, comme s’ils étaient les tiens. Comment dois-tu en accepter l’éloge ? Comme dit le Psalmiste : « En Dieu je louerai le discours ; en Dieu je louerai la parole[2] ». Et par là s’accomplira en toi ce qui suit : « En Dieu j’ai placé mon espoir, je ne craindrai pas ce que l’homme peut me faire ». Quand c’est en Dieu que tu trouves la louange de tes œuvres, tu n’as pas à craindre la vanité de ces éloges, car Dieu demeure toujours. Va donc encore plus loin que cela.


6. Voyez, mes frères, combien de choses nous devons laisser de côté, parce qu’elles ne sont pas notre fin. Nous nous en servons, comme feraient des voyageurs : nous les employons à nous restaurer, comme si nous nous trouvions de passage dans une hôtellerie ; puis nous les négligeons. Où est donc notre fin ? « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons plus tard n’a point encore paru[3] ». Cette épître elle-même nous en avertit. Nous sommes donc encore en chemin, et n’importe où nous arrivions, nous devons encore passer outre, jusqu’à ce que nous soyons parvenus à une certaine fin. « Nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblablesà lui, parce que nous le verrons tel qu’il est[4] ». Voilà la fin ; il y aura là une perpétuelle louange ; là, on chantera, sans cesser jamais, un éternel Alleluia. C’est de cette fin que le Psalmiste dit : « J’ai vu la fin de toute consommation[5] ». Et comme si on lui demandait : Quelle est cette fin que tu as vue ? il continue.« Votre commandement est singulièrement étendu ». Voilà la fin : l’étendue du commandement, c’est la charité, car où se trouve la charité, il n’y a pas de bornes. L’Apôtre était dans cet espace sans limites, quand il disait : « O Corinthiens, ma bouche s’ouvre et mon cœur se dilate vers vous vous n’êtes point à l’étroit dans mon cœur[6] ». Par conséquent, « votre commandement est singulièrement étendu ». Quel est ce commandement si vaste ? « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres ». La charité n’est donc point circonscrite par des limites. Veux-tu ne pas te trouver à l’étroit sur la terre ? Habite au large. N’importe ce que puisse te faire un homme, il lui est impossible de te tenir à l’étroit, parce que tu aimes ce à quoi un homme ne peut nuire : tu aimes Dieu, ta fraternité, la loi divine, l’Église du Christ tout cela est éternel. Tu travailles sur la terre, mais tu recueilleras le fruit promis à ton travail. Qui peut t’enlever ce que tu aimes ? Puisque personne ne peut t’enlever l’objet de tes affections, tu dors donc en toute sécurité : ou plutôt, tu veilles tranquille, dans la crainte de perdre, en dormant, ce que tu aimes. Ce n’est pas sans raison que le Prophète a dit « Illuminez mes yeux, de peur que je ne m’endorme un jour dans la mort[7] ». Ceux qui ferment les yeux à l’encontre de la charité, s’endorment dans les désirs des passions charnelles. Tiens-toi donc éveillé. Les convoitises charnelles consistent à manger, à boire, à se livrer à la luxure, à jouer, à aller à la chasse ; à la – suite de toutes ces vaines pompes marchent tous les maux. Ne savons-nous pas que ce sont là des convoitises ? Qui oserait nier leur influence sur le cœur humain ? Mais par-dessus tout cela, il faut aimer la loi de Dieu. Elève la voix contre de tels conseillers : « Les impies m’ont raconté leurs fables ; mais, Seigneur, elles ne sont pas comme votre loi[8]». Le plaisir que procurecette

  1. Ps. 33, 3
  2. Id. 55, 5, 11
  3. 1 Jn. 3, 2
  4. Jn. 3, 2
  5. Ps. 118, 96
  6. 2 Cor. 6, 11,12
  7. Ps. 12, 4
  8. Ps. 118, 85