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Le Fils a eu en vue le prix qu’il a donné pour nous, et Judas a en vue le prix qu’il a retiré de son forfait. La différence d’intention a fait la différence d’action. L’acte était un ; mais si nous pesons la diversité des intentions qui l’ont produit, nous l’aimerons sous un rapport, et, sous l’autre, nous le condamnerons : nous le glorifierons sous un point de vue ; sous l’autre, nous le détesterons. Tant vaut la charité ! Remarquez-le, elle seule établit une différence entre les actions humaines ; elle seule les distingue les unes des autres.


8. Ce que nous venons de dire s’applique à des actions de même nature. S’il s’agit d’actions de nature différente, nous reconnaîtrons, par exemple, que la charité rend un homme sévère, et que l’iniquité en rend un autre flatteur. Un père frappe son enfant, un corrupteur l’approuve. A ne considérer que les coups et les flatteries, où est celui qui ne recherchera pas les caresses et n’évitera pas les coups ? Mais considère les personnes et, tu le verras, les coups sont l’effet de la charité, et les flatteries celui de l’iniquité. Faites bien attention à ceci : les actions humaines se discernent les unes des autres par le principe de la charité. Beaucoup peuvent se faire, qui aient les apparences de la bonté et qui, néanmoins, ne soient pas le fruit de la charité. Les épines mêmes ne fleurissent-elles pas ? Certains actes, au contraire, semblent durs et cruels, qui se font, par motif de charité, pour le règlement des mœurs. Une fois pour toutes, on t’impose un précepte facile : Aime, et fais ce que tu voudras. Soit que tu gardes le silence, garde-le par amour ; soit que tu cries, élève la voix par amour ; soit que tu corriges autrui, corrige-le par amour ; soit que tu uses d’indulgence, sois indulgent par amour ; aie dans le cœur la racine de l’amour, et de cette racine il ne pourra rien sortir que de bon.


9. « En cela consiste l’amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le mondé, afin que nous vivions par lui. Et voilà en quoi consiste cet amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés le premier ». Nous ne l’avons pas aimé les premiers, mais il nous a aimés, afin que nous l’aimions. « Et il a envoyé son Fils comme apaiseur pour nos péchés ». Apaiseur, sacrificateur. Il a offert une victime de propitiation pour nos péchés. Où a-t-il trouvé une hostie ? Où a-t-il trouvé la victime sans tache qu’il voulait offrir ? N’en trouvant pas d’autre, il s’est offert lui-même. « Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés de cette sorte, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. « Pierre », dit le Sauveur, « m’aimes-tu ? » – Et il répondit : « Je vous aime ». – « Pais mes brebis[1] ».


10. « Nul homme n’a jamais vu Dieu ». Dieu est invisible : c’est avec le cœur, et non avec les yeux, qu’il faut chercher à le découvrir. Mais de même que, quand nous voulons considérer le soleil, nous nous lavons les yeux du corps à l’aide desquels il nous est possible de voir sa lumière ; ainsi devons-nous purifier l’œil qui peut nous faire apercevoir Dieu, lorsque nous voulons le contempler. Ecoute l’Evangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu[2]». Que personne, toutefois, ne cherche à se faire une idée de Dieu, d’après la concupiscence des yeux ; car alors on se représenterait une forme immense, ou on projetterait dans l’espace les dimensions d’une incommensurable étendue, on les étendrait autant que possible, dans l’espace des champs, comme s’étendent les rayons de ce soleil que nous voyons au-dessus de nous ; ou l’on se figurerait avoir sous les yeux un vieillard à l’air vénérable. N’imagine rien de tout cela : Si tu veux voir Dieu, il y a une chose à laquelle tu es à même de penser : « L’amour est Dieu ». Quelle figure a l’amour ? Quelle forme ? Quelle taille ? Quels pieds ? Quelles mains? Personne ne peut le dire : Il a pourtant des pieds, puisqu’ils conduisent à l’église ; il a des mains, puisqu’elles donnent aux pauvres ; il a des yeux, puisqu’ils savent découvrir le nécessiteux. « Bienheureux », dit le Prophète, « celui qui veille sur le pauvre et l’indigent[3] ». Il a des oreilles ; le Seigneur en parle ainsi : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende[4] ». Il n’a pas de membres qui occupent des places différentes ; mais l’homme qui a la charité, voit tout en même temps avec les yeux de son âme. Habite en elle, elle habitera en toi ; demeure en elle, elle demeurera en toi. Eh quoi ! mes frères, peut-on aimer ce qu’on ne voit pas ? Alors, pourquoi vous redresser, élever la voix, battre des mains,

  1. Jn. 21, 15-17
  2. Mt. 5, 8
  3. Ps. 40, 2
  4. Lc. 8, 8