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3. Remarquez-le, mes frères : nous venons d’indiquer une pensée qui sera, pour ceux qui la saisiront bien, la clef de la difficulté proposée. Toutefois, marchons-nous seulement avec les plus agiles ? Non ; et nous ne devons point laisser erg arrière ceux mêmes dont le pas est plus lent. Essayons de vous communiquer de notre mieux notre pensée, et de la mettre à la portée de tous. J’imagine, mes frères› que nous devons considérer comme ayant souci de son âme tout homme qui entre dans l’Eglise, non sans motif, qui ne cherche pas à y trouver un avantage temporel ; qui, par conséquent, n’y pénètre pas afin de s’y occuper d’affaires d’intérêt, mais qui s’y présente pour entrer en possession des biens éternels promis à titre de récompense à ses efforts : cet homme doit donc voir s’il marche dans le chemin du ciel, de façon à ne pas rester en arrière, à ne pas reculer, à ne pas s’égarer, ou, en se traînant péniblement le long de la voie, à ne point arriver au but. Que celui qui a souci de son âme, marche vite ou lentement, peu importe, pourvu qu’il ne s’écarte pas du droit chemin. J’en ai fait la remarque ; dans la pensée, de Jean, ces paroles : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas », doivent peut-être s’entendre dans le sens d’un péché particulier ; car, autrement, ce passage serait en contradiction avec celui-ci : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous ». On peut donc résoudre ainsi la difficulté : Il y a un péché dont ne peut se rendre coupable celui qui est né de Dieu : si on ne le commet pas, tous les autres disparaissent ; mais si on le commet, tous les autres demeurent. En quoi consiste ce péché ? A agir contre le commandement du Christ, contre le testament nouveau. Quel est le commandement nouveau ? « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres ». Que celui qui agit contre la charité et l’amour de ses frères, n’ait pas l’audace de se glorifier et de se dire enfant de Dieu. Pour celui qui a été établi dans la charité fraternelle, il y a des péchés particuliers dont il ne peut se rendre coupable, surtout le péché de détester son frère. Que penser, maintenant, des autres péchés à l’occasion desquels Jean a dit. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous ? » Pour nous rassurer, écoutons ces autres paroles de l’Ecriture « La charité couvre la multitude des péchés[1] ».


4. Nous recommandons la charité, cette épître la recommande aussi. Après sa résurrection, le Sauveur a-t-il interrogé Pierre sur un autre sujet que celui-ci : « M’aimes-tu ? » Ce ne fut pas assez de lui adresser une fois pour toutes cette question : il y revint une seconde, et même une troisième fois. A la troisième interrogation, Pierre se chagrina de voir que Jésus semblait ne pas croire à sa parole, comme s’il ignorait ses sentiments intimes ; néanmoins, le Sauveur lui fit la même demande par trois fois différentes. Par crainte, Pierre avait trois fois renié le Christ : trois fois il le confessa par amour[2]. Voilà que Pierre aime le Seigneur. Que fera-t-il pour lui ? Son trouble se trahit, comme celui du Psalmiste, dans ces paroles : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé ? » Celui qui s’exprimait ainsi dans le psaume, considérait les bienfaits qu’il avait reçus de Dieu ; il cherchait à savoir ce qu’il pourrait lui rendre en retour, et n’y parvenait pas. En effet, tout ce que tu serais à même de lui offrir par reconnaissance, ne l’as-tu pas reçu de ses mains avant de le lui rendre ? Que trouva donc le Prophète, pour en faire hommage à son Dieu ? Comme je l’ai déjà dit, mes frères, ce qu’il tenait de la générosité divine, voilà ce qu’il trouva à lui offrir pour le remercier de ses dons : « Je recevrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur[3] ». Qui lui avait donné le calice du salut, sinon celui à qui il voulait donner un témoignage de sa gratitude ? Recevoir le calice du salut et invoquer le nom du Seigneur, c’est être rassasié de charité ; c’est en être saturé au point, non-seulement de ne, pas haïr son frère, mais même d’être prêt à mourir pour lui. Être prêt à mourir pour son frère, tel est le comble de la charité. Le Sauveur s’est donné lui-même comme exemple de cette charité parfaite. Il est, en effet, mort pour tous : alors, il priait pour ses bourreaux, et disait : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[4] ». S’il avait été seul à agir ainsi, s’il n’avait pas eu de disciples pourl'imiter,

  1. 1 Pi. 4, 8
  2. Jn. 21, 15-17
  3. Ps. 115, 12-13
  4. Lc. 23, 34