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quelque autre motif inconnu de nous. Reste maintenant à savoir pourquoi Jésus, parlant d’un homme destiné à mourir, a dit : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ».
4. Autre question à élucider, elle concerne les apôtres Pierre et Jean : y aurait-il quelqu’un pour ne pas chercher à l’éclaircir ? Pourquoi Jean a-t-il été l’objet des prédilections du Sauveur, tandis que Pierre a aimé le Christ plus que les autres ? N’importe en quel endroit Jean parle de lui-même, il ne se nomme pas ; mais, pour se faire reconnaître, il dit que Jésus l’aimait, comme si le Sauveur n’aimait que lui ; par ce signe il se distinguait des autres disciples que le Christ affectionnait certainement aussi. Alors, s’il ne voulait point se faire connaître comme l’objet des prédilections de Jésus, que voulait-il dire en parlant de la sorte ? Il est sûr qu’il ne mentait pas. Maintenant, Jésus pouvait-il donner à Jean un témoignage plus sensible de sa prédilection, que celui de le laisser seul reposer sur son cœur, quand ses collègues profitaient comme lui des bienfaits du Sauveur ? Que Pierre ait aimé son Maître plus que tes autres disciples, on peut en fournir des preuves en grand nombre ; mais il serait trop long de les citer toutes, bornons-nous à celle que nous présente une précédente leçon. Vous avez entendu cette leçon, il y a peu de temps ; elle avait pour thème la troisième apparition du Sauveur : la preuve en question ressort avec évidence de ce passage où le Sauveur adresse à Pierre cette demande : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Le Christ savait certainement quelles étaient les dispositions de son Apôtre ; néanmoins, il a voulu l’interroger, afin que nous, qui lisons l’Évangile, nous connaissions aussi, par les questions de l’un et les réponses de l’autre, l’amour de Pierre pour son maître. Pierre a répondu : « Je vous aime », sans ajouter Plus que ceux-ci ; et ce qu’il disait était conforme à ce qu’il savait de lui-même. Dans l’impossibilité de voir ce qui se passait dans le cœur d’autrui, était-il, en effet, à même de savoir jusqu’à quel point les autres l’aimaient ? En prononçant les paroles précitées : « Oui, Seigneur, vous le savez[1] », il a suffisamment déclaré lui-même qu’eu l’interrogeant le Christ savait ce qu’il lui demandait. Jésus n'ignorait donc ni que Pierre l’aimait, ni qu’il l’aimait plus que les autres Apôtres. Toutefois, si nous cherchons à savoir lequel vaut le mieux de celui qui aime plus ou de celui qui aime moins Jésus-Christ, pourrons-nous hésiter un instant de répondre que c’est celui qui l’aime davantage ? Si, d’autre part, nous nous demandons lequel est le meilleur de celui que le Seigneur aime le plus ou de celui qu’il aime le moins, nous nous prononcerons, sans aucun doute, en faveur du premier. Dans la première hypothèse, nous préférerons Pierre à Jean, et nous donnerons à Jean la préférence sur Pierre, dans la seconde. Nous faisons maintenant une troisième question : Quel est le meilleur des deux disciples ? Est-ce celui qui aime moins vivement que son condisciple le Sauveur Jésus, et qui pourtant est l’objet des prédilections du Christ ? Ou bien, est-ce celui que Jésus aime davantage, sans rencontrer en lui autant d’affection que dans l’autre ? Ici, la réponse est embarrassante à faire, et la question se complique. À mon avis, cependant, je pourrais répondre que celui qui aime plus le Christ est le meilleur, et que celui qui en est aimé davantage est le plus heureux ; mais, pour cela, il me faudrait connaître, aussi bien que je la défendrais, la justice que montre notre Libérateur à aimer moins celui qui l’affectionne plus ardemment et aimer davantage celui qui l’affectionne d’une manière moins vive.
5. Avec le secours de ce Dieu, dont la miséricorde est évidente et dont la justice se voile à nos yeux, je tâcherai, autant qu’il voudra bien me le permettre, d’élucider cette question si obscure ; elle a été, jusqu’à présent, proposée à nos investigations, mais nous ne l’avons pas encore résolue. Pour cela faire, voici quel moyen préliminaire nous emploierons : nous nous rappellerons que nous traînons une vie misérable dans un corps qui se corrompt et appesantit notre âme [2]. Mais, parce que le Médiateur nous a rachetés et que nous avons reçu le gage de l’Esprit-Saint, nous avons dans le cœur l’espérance d’une vie bienheureuse, quoique nous n’en jouissions pas encore en réalité. Si nous voyions l’objet de nos espérances, nous n’espérerions plus ; car est-il possible d’espérer ce

  1. Jn. 21, 15-16
  2. Sag. 9, 15