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 plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis [1] ? » Qui est-ce qui pourrait énumérer tous les passages des saintes Écritures où le Seigneur Jésus se montra l’ami non seulement de ce disciple et de tous ceux qui étaient avec lui, mais encore de tous ceux qu’il devait avoir dans la suite pour membres de son corps et aussi de toute son Église ? Mais, assurément, il y a ici quelque chose de caché, et qui se rapporte au sein sur lequel était couché l’Apôtre qui dit ces paroles. Car le sein signifie ordinairement les choses secrètes ; mais nous trouverons ailleurs une occasion plus favorable de parler de ce sujet, et le Seigneur nous fera la grâce de le traiter de façon à vous satisfaire.
6. « Simon Pierre lui fit donc signe et lui dit ». Remarquons cette expression : une chose peut se dire non par des mots, mais seulement par des signes. « Pierre fit signe », dit l’Évangile, « et dit » ; ce qui signifie : Il lui dit en faisant signe. En effet, si l’Écriture appelle dit ce qui n’est exprimé que par la pensée, comme en ce passage : « Ils dirent en eux-mêmes[2] » ; à plus forte raison est-ce dire que de faire signe, puisque ce qui est conçu dans le cœur s’exprime au-dehors par des signes. Qu’est-ce donc que Pierre dit par ces signes ? Il ne dit rien autre chose que ceci : « Quel est celui dont il parle ? » Telles furent les paroles que Pierre adressa à Jean par ces signes ; car il se fit comprendre non par le son de la voix, mais par quelque mouvement du corps. « Celui donc qui reposait sur la poitrine de Jésus », sur ce sein qui était le sanctuaire de la sagesse, « lui dit : Seigneur, qui est-ce ? Jésus répondit : C’est celui à qui je donnerai un morceau de pain trempé ; et, ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon. Et après qu’il eut pris ce pain, Satan entra en lui ». Le traître est déclaré, les ténèbres où il se cachait sont dissipées : ce qu’il reçut était bon ; mais il le reçut pour son malheur, parce que, étant mauvais, il reçut mal le bien qui lui était donné. Mais il y a beaucoup de choses à dire sur ce pain trempé et donné à ce fourbe, et sur ce qui suit : pour le faire, il nous faut plus de temps qu’il ne nous en reste à la fin de ce discours.

SOIXANTE-DEUXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LE PASSAGE OU IL EST ÉCRIT : « ET AYANT TREMPÉ DU PAIN, IL LE DONNA À JUDAS », JUSQU’À CET AUTRE : « MAINTENANT LE FILS DE L’HOMME À ÉTÉ GLORIFIÉ ». (Ch. 13, 26-34.)

JUDAS POSSÉDÉ DU DÉMON.

27-34 Suivant qu’on y apporte de bonnes dispositions ou de mauvaises, ce qu’on reçoit produit le bien ou le mal : aussi, à peine Judas eut-il reçu, de la main du Sauveur, le pain trempé, que Satan s’empara définitivement de lui, et que, sur une parole de Jésus, il sortit du cénacle pour aller le livrer à ses ennemis.


1. Je le sais, mes très-chers, plusieurs seront émus, les bons pour s’y éclairer, les impies pour s’en moquer, de ce que Notre-Seigneur ayant donné du pain trempé à celui qui devait le trahir, Satan entra aussitôt en lui. En effet, il est écrit : « Et quand il eut trempé du pain, il le donna à Judas, fils de Simon Iscariote, et après qu’il eut pris ce morceau de pain, Satan entra en lui ». Or, diront les uns et les autres, le pain de Jésus-Christ venant de sa table et donné à Judas, pouvait-il produire cet effet, qu’aussitôt après qu’il fut pris, Satan entra dans le cœur de ce disciple ? À cela nous répondons : Voilà une leçon bien capable de nous apprendre avec quel soin nous devons éviter de recevoir les bonnes choses dans des dispositions mauvaises. Car il importe beaucoup de savoir, non ce qu’est la chose qu’on reçoit, mais ce qu’est celui qui la reçoit ; non pas quelle est la chose donnée,

  1. Jn. 15, 13
  2. Sag. 2, 1