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avait lavé les pieds de ses disciples, pour nous enseigner l’humilité et par ses préceptes et par son exemple. Mais, afin de pouvoir, avec l’aide de Dieu, traiter plus longuement ce qui offre plus de difficulté, ne nous attardons pas à ce qui est clair et facile. Ayant donc dit ces paroles, le Seigneur ajouta : « Je ne dis pas cela pour vous tous, je sais ceux que j’ai élus ; mais pour que s’accomplisse cette parole de l’Écriture : Celui qui mange le pain avec moi lèvera son talon contre moi », c’est-à-dire, me foulera aux pieds. On voit de qui il parle, et Judas le traître se trouve atteint par ces paroles. Donc il ne l’avait pas élu ; puisque dans ces paroles il le distingue de ceux qu’il avait élus. Aussi, en disant : « Vous serez bienheureux quand vous ferez ces choses, je ne le dis pas de vous tous » ; car il y en a un parmi vous qui ne sera pas bienheureux et qui ne fera pas ces choses. « Je sais, moi, ceux que j’ai élus ». Qui sont-ils ? Évidemment ceux qui seront bienheureux en faisant ce que leur a commandé et ce que leur a appris à faire celui qui peut rendre les hommes des bienheureux ? Le traître Judas, dit-il, n’a pas été élu. Que signifie donc ce qu’il dit dans un autre endroit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis tous les douze, et cependant l’un de vous est un démon [1] ? » Ne serait-ce point parce que Judas avait été élu pour une chose pour laquelle il était nécessaire ; mais non pour cette béatitude dont Jésus vient de dire : « Vous serez bienheureux, si vous faites cela ? » Il ne le dit pas de tous ses disciples ; car il sait ceux qu’il a élus pour partager cette béatitude. Il n’était pas de ce nombre, celui qui mangeait son pain, pour lever contre lui son talon. Pour eux, ils mangeaient un pain qui était leur Seigneur ; mais lui mangeait le pain de son Seigneur pour se tourner contre lui. Eux mangeaient la vie, et lui sa condamnation ; « car », dit l’Apôtre, « celui qui mange ce pain indignement, mange sa condamnation[2]. Je vous dis ceci « dès maintenant avant que la chose arrive ; afin que lorsqu’elle arrivera, vous reconnaissiez que je suis » ; c’est-à-dire, que je suis celui dont l’Écriture a voulu parler quand elle a dit : « Celui qui mange du pain a avec moi lèvera contre moi son talon ».
2. Ensuite il continue et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Quiconque reçoit celui que j’aurai envoyé, me reçoit, et qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé ». Notre-Seigneur a-t-il voulu nous faire comprendre qu’il y a la même distance entre lui et son Père, qui est Dieu, qu’entre celui qu’il envoie et lui-même ? Dieu nous garde de le penser, car ce serait établir je ne sais quels degrés à la manière des Ariens. Les Ariens, en effet, lorsqu’ils entendent ou qu’ils lisent ces paroles de l’Évangile, ont recours, pour établir leur doctrine, à ces degrés, qui leur servent non pas à monter à la vie, mais à se précipiter dans la mort. Aussitôt ils disent Comme il y a une grande distance entre l’apôtre du Fils et le Fils lui-même, quoique le Fils ait dit : « Quiconque reçoit celui que j’ai « envoyé, me reçoit v, cette même distance existe entre le Fils et le Père, quoique le Fils ait dit : « Qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé ». Mais si tu parles ainsi, ô hérétique, tu oublies tes degrés. Si, en effet, à cause de ces paroles de Notre-Seigneur, tu établis la même distance entre le Fils et le Père, qu’entre l’apôtre et le Fils, où placeras-tu le Saint-Esprit ? Il sera donc entre l’apôtre et le Fils, et le Fils sera beaucoup plus éloigné de l’Apôtre que le Père ne l’est du Fils. Peut-être, pour conserver cette distance égale entre le Fils et l’Apôtre et entre le Père et le Fils, diras-tu que le Saint-Esprit est égal au Fils ? Mais c’est ce que tu n’admets point. Où donc le placeras-tu si tu supposes que la distance entre le Père et le Fils est la même qu’entre le Fils et l’Apôtre ? Réprime plutôt ton audace et ta présomption, et ne cherche pas dans ces paroles à prouver que la distance du Père au Fils est la même que celle qui se trouve entre le Fils et l’Apôtre. Écoute plutôt le Fils : voici ce qu’il dit : « Le Père et moi a nous sommes un [3] ». C’est ainsi que la vérité ne t’a laissé aucun droit de soupçonner qu’il y a de la distance entre le Père et son Fils unique ; ainsi Jésus-Christ est la pierre qui a renversé les degrés et brisé les échelles.
3. Mais puisque nous avons réfuté l’erreur des hérétiques, comment, à notre tour, entendrons-nous ces paroles de Notre-Seigneur. « Quiconque reçoit celui que j’aurai envoyé me reçoit ; et qui me reçoit, reçoit celui qui a m’a envoyé ? » Si nous voulons dire que ces paroles : « Qui me reçoit, reçoit celui qui m’a

  1. Jn. 6, 71
  2. 1 Cor. 11, 29
  3. Jn. 10, 30