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s’est fait chair et qui a habité parmi nous[1] ».


5. Que répondit à cela le Seigneur ? « Or, Jésus leur dit : Mon temps n’est point encore venu ; mais votre temps est toujours prêt ». Eh quoi ! le temps du Christ n’était-il pas encore arrivé ? Pourquoi donc le Christ était-il menu, si son temps ne l’était pas encore ? N’avons-nous pas entendu dire à l’Apôtre : « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils[2] ? » Si donc le Christ a été envoyé dans la plénitude des temps, il l’a été quand il a dû l’être ; il est venu, quand il a fallu qu’il vînt. Quel est donc le sens de ces paroles : « Mon temps n’est pas encore arrivé ? » Comprenez bien, mes frères, dans quelle intention lui parlaient ces hommes, peu semblaient lui donner des conseils comme à un frère. Ils l’engageaient à acquérir de la gloire ; dominés par je ne sais quel sentiment mondain et terrestre, ils le priaient de ne point rester dans l’obscurité et l’oubli. À des gens qui le conjuraient de penser à la gloire, dire ; « Mon temps n’est pas encore venu », c’était dire : Le temps de ma gloire n’est pas encore arrivé. Voyez combien est profond le sens de ces paroles on lui parlait d’acquérir de la gloire, pour lui, il a voulu que sa pudeur fût précédée par les humiliations il voulu que le chemin pour arriver à l’élévation fût celui de l’humilité. Ceux de ses disciples qui désiraient s’asseoir, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, recherchaient aussi la gloire : ils considéraient le but, mais ils ne considéraient pas la voie à suivre. Afin qu’ils pussent arriver à la céleste patrie selon les règles de la justice, le Sauveur les ramena au chemin qui y conduit. La patrie est élevée ; humble est la voie. La patrie, c’est la vie du Christ : la voie, c’est sa mort. Le séjour du Christ, voilà la patrie ; sa passion, voilà le chemin qui y mène. Pourquoi prétendre entrer dans la pairie, si l’on refuse d’en suivre le chemin ? Enfin, telle fut sa réponse à ceux qui recherchaient la grandeur : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même[3] ? » Voilà par quel chemin on arrive l’élévation que vous désirez. Le calice dont il leur parlait était celui des humiliations et des souffrances.



6. Il dit ici dans le même sens : « Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps », c’est-à-dire la gloire mondaine,« est toujours prêt ». Voilà bien le temps dont le Christ, c’est-à-dire le corps du Christ, parle par la bouche du Prophète. « Quand le temps sera venu pour moi, je jugerai les justices [4] ». Maintenant, c’est le temps, non pas de juger les méchants, mais de les supporter. Que le corps du Christ supporte donc et tolère à présent les iniquités de ceux qui se conduisent mal : qu’il ait aujourd’hui pour lui la justice ; plus tard, il exercera le jugement : c’est par la pratique de la justice qu’on arrive à juger les pécheurs. Voici ce que l’écrivain sacré dit, en un psaume, à ceux qui supportent les iniquités de ce monde : « Le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Ce peuple souffre au milieu des méchants, des pécheurs, des blasphémateurs, de ceux qui murmurent et médisent contre lui, qui le persécutent et le font périr, quand ils le peuvent. Oui, il souffre, « mais le Seigneur ne rejettera point son peuple ; il ne délaissera pas son héritage, jusqu’an jour où la justice rendra les jugements [5] ». « Jusqu’à ce que la justice », qui se trouve aujourd’hui dans ses saints, « rendra ses jugements », au moment où s’accomplira pour eux celle parole, que leur a adressée le Sauveur : « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël[6] ». L’Apôtre avait déjà la justice, mais il n’exerçait pas encore le jugement dont il parle, quand il dit : « Ignorez-vous que nous jugerons les anges [7] ? » Que ce soit donc pour nous maintenant le temps de bien vivre : plus tard, viendra le temps de juger ceux qui auront mal vécu. « Jusqu’au jour où », suivant le Psalmiste, « la justice rendra les jugements ». Ce sera le temps du jugement, dont le Christ a dit, tout à l’heure : « Mon temps n’est pas encore venu ». Ce sera le temps de la gloire, et alors viendra dans la grandeur celui qui est venu dans les abaissements. Celui qui est venu pour être jugé viendra pour rendre ses jugements celui qui est venu pour mourir de la main de gens morts, viendra juger les vivants et les morts. « Il viendra, notre Dieu », dit le Psalmiste ; « il apparaîtra et sortira de son silence [8] ». Pourquoi : « Il apparaîtra ? » Parce que, quand il est venu, il s’est caché. Alors il ne gardera pas le silence, parce que, quand il est venu, il s’est caché, « il a été conduit à la

  1. Jn. 1, 14
  2. Gal. 4, 4
  3. Mt. 20, 21, 22
  4. Ps. 74, 3
  5. Id. 43, 14-15
  6. Mt. 19, 28
  7. 1 Cor. 6, 3
  8. Ps. 49, 3