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Nous l’avons compris : le Père ne fait aucune œuvre séparément du Fils ; et le Fils ne le regarde point pour faire, à son tour, quelque chose de pareil à ce qu’il lui aurait vu faire. Voici la raison pour laquelle le Sauveur a dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père » ; c’est que le Fils tient du Père tout ce qu’il est : sa substance et sa puissance tout entières lui viennent de Celui qui l’a engendré. Il avait dit qu’il fait, comme le Père, les mêmes œuvres que le Père ; mais il a voulu nous insinuer que le Père et le Fils ne font pas des œuvres différentes, mais que les opérations du Fils procèdent de la même puissance que celle du Père, puisque le Père les fait par l’intermédiaire de son Fils : aussi a-t-il ajouté ce que nous avons entendu lire aujourd’hui : « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Le Père montre à son Fils tout ce qu’il fait : donc, dira quelqu’un, le Père agit séparément, afin que le Fils soit à même de voir ce qu’il fait. Nous voici donc, encore une fois, revenus à une manière humaine de considérer les choses : nous voici de nouveau en face de nos deux artisans ; on dirait qu’il s’agit encore d’un ouvrier qui apprend son métier à son fils, et qui lui montre son propre ouvrage, afin qu’à son tour il puisse en faire autant. « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Par conséquent, lorsque le Père agit, le Fils reste dans l’inaction, uniquement occupé à regarder ce que fait son Père. En est-il vraiment ainsi ? Il est sûr que « toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien n’a été fait ». Par là, il nous est facile d’imaginer comment le Père montre au Fils ce qu’il fait, puisque le Père ne tait rien que ce qu’il fait par le Fils. Qu’a fait le Père ? Le monde. Mais l’a-t-il créé d’abord, et l’a-t-il ensuite montré au Fils, pour lui fournir le modèle d’un autre monde ? Alors, qu’on nous fasse voir ce second univers, sorti des mains du Fils seul. « Mais toutes les choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait, et c’est lui qui a fait le monde [1] ». S’il a fait le monde, et si toutes choses ont été faites par lui, le Père ne fait donc rien qu’il ne le fasse par son Fils. Mais où le Père montre-t-il au Fils ce qu’il fait ? Dans le Fils même par qui il le fait, et pas ailleurs. En quel autre lieu le Père pourrait-il montrer au Fils ses propres œuvres ? Est-ce qu’il habite, est-ce qu’il agit comme dans un endroit exposé au regard ? Le Fils examine-t-il le Père, comme s’il travaillait extérieurement ? Où se trouve l’indivisible Trinité ? Où est le Verbe, dont il a été dit qu’il est la puissance et la sagesse de Dieu [2] ? Où voir ce qu’est la Sagesse elle-même, an dire de l’Écriture : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle [3] ? » Où contempler ce qu’indique encore cet autre passage : « La Sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur [4] » Si le Père, dans ses opérations, agit par le Fils, par sa propre sagesse, pal sa propre puissance, ce n’est pas à l’extérieur qu’il lui montre ce qu’il doit voir et faire, c’est en lui-même.
3. Qu’est-ce que voit le Père, ou, plutôt, qu’est-ce que le Fils voit dans le Père, afin de le faire ensuite lui-même ? Si je pouvais le dire, y aurait-il quelqu’un pour me comprendre ? Si j’étais capable de m’en faire une idée, serais-je à même de l’expliquer convenablement ? Mais serais-je seulement apte à me l’imaginer ? La distance qui se trouve entre la Divinité et nous est égale à celle qui sépare Dieu de l’homme, l’immortalité de la vicissitude des choses destinées à périr, l’éternité de ce qui est du temps. Qu’il nous inspire et nous fasse la grâce de comprendre. Que de cette source de vie, qui est lui-même, il fasse tomber sur nous quelques gouttes de rosée pour étancher notre soif : ainsi serons-nous préservés des ardeurs brûlantes de ce désert. Nous avons appris à lui donner le nom de Père ; crions pour lui dire : Seigneur. Ne craignons pas de le faire, car il nous a autorisés à nous permettre cette hardiesse : seulement, vivons de manière à ce qu’il ne nous dise pas : « Si je suis votre Père, où sont mes honneurs ; et si je suis votre maître, où me craint-on [5] ? » Disons-lui donc : Notre Père ! À qui disons-nous : Notre Père ? Au Père du Christ. Et celui qui dit au Père du Christ : Notre Père ! que dit-il au Christ ? Notre Frère, et rien autre chose. Il faut néanmoins le remarquer, Dieu n’est pas le Père du Christ au même titre qu’il est le nôtre, car jamais le Christ ne nous a unis à lui, de manière à faire disparaître toute distance entre lui et nous. Il est, en effet, le Fils de Dieu,

  1. Id. 1, 3, 10
  2. 1 Cor. 1, 24
  3. Sag. 7,26
  4. Id. 8, 1
  5. Mal. 1, 6