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parts des sourires pour toi, tu gémiras de te voir dans l’exil ; tu sens que tu es heureux aux yeux des insensés, mais non selon les promesses du Christ. Tu recherches ces promesses par tes gémissements, tu les recherches par tes désirs, et tes désirs te font monter ; et en montant tu chantes le cantique des degrés, et en chantant ces cantiques des degrés, tu dis : « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui « habitez le ciel ».
3. Où pouvait doue lever les yeux cet homme qui s’élève, sinon vers le lieu où il tend et où il désire arriver ? Car il s’élève de la terre au ciel. Voilà ici-bas la terre que nous foulons aux pieds, voilà bien haut le ciel que nous voyons de nos yeux ; et en nous élevant nous chantons : « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez dans les cieux ». Où sont donc les échelles ? il y a de si grands intervalles entre le ciel et la terre, une telle séparation, de si vastes espaces ; nous voulons y monter, et ne voyons aucune échelle. Sommes-nous dans l’erreur, en chantant ce cantique des degrés, c’est-à-dire ce cantique de l’ascension ? C’est monter au ciel que penser à Dieu, qui a placé les degrés dans notre cœur. Qu’est-ce que monter par le cœur ? S’avancer vers Dieu. De même que lâcher pied c’est tomber et non descendre ; de même avancer c’est monter, si toutefois l’on avance sans orgueil, si l’on s’élève de manière à ne point tomber ; car, s’avancer avec orgueil, c’est monter pour tomber. Mais pour ne point s’enorgueillir, que faut-il faire ? Lever les yeux vers Celui qui habite dans les cieux, et non les lever sur soi-même. Tout orgueilleux se considère lui-même et se croit quelque chose de grand, dès lors qu’il est l’objet de ses complaisances. Mais, se complaire en soi-même, c’est là le délire ; car il faut être fou pour mettre en soi ses complaisances. Celui qui plaît à Dieu peut seul être satisfait de soi-même. Or, qui est-ce qui plaît à Dieu ? Celui dont Dieu fait les délices. Dieu ne saurait se déplaire : qu’il te plaise donc, afin que tu lui sois agréable. Mais : Dieu ne saurait te plaire qu’à la condition que tu te déplairas à toi-même. Et si tu te déplais, détourne de toi tes regards. À quoi bon les arrêter sur toi ? En te considérant bien, tu trouveras en toi quelque chose qui te déplaira, et tu diras à Dieu : « Mon péché est toujours devant mes yeux[1] ». Que ton péché soit sous tes yeux, et non sous les yeux de Dieu ; et toi, au contraire, ne sois point l’objet de tes regards, mais des regards de Dieu. De même que nous demandons à Dieu de ne détourner point de nous sa face, de même nous lui demandons de la détourner de nos péchés ; car telle est la double prière qu’on lui fait dans les psaumes : « Ne détournez point de moi votre visage ». Ainsi dit le psaume, ainsi disons-nous. Et le même interlocuteur qui dit : « Ne détournez point de moi votre face », vois ce qu’il dit ailleurs : « Détournez votre face de mes péchés ». Si donc tu veux qu’il détourne sa face de tes péchés, commence par détourner de toi-même ton visage, sans toutefois le détourner de tes péchés. Car, si tu n’en détournes pas ta face, tu entreras en colère contre ces mêmes fautes. Mais ne pas détourner sa face de ses propres fautes, c’est les reconnaître, c’est les avouer, et alors Dieu les pardonne.
4. Cesse donc de te considérer, pour lever les yeux vers Dieu, et lui dire : « J’ai levé mes regards vers vous, ô mon Dieu, qui habitez dans les cieux ». Le ciel, mes frères, si nous l’entendons dans un sens matériel et de manière à le voir de nos propres yeux, nous tomberons dans une erreur grossière, au point de croire que nous ne saurions y monter, sans le secours d’échelles ou de machines ; mais si notre avancement est spirituel, le ciel aura pour nous uti sens spirituel ; et si nous montons par l’amour, le ciel est dans la justice. Qu’est-ce donc que le ciel de Dieu ? Toutes les saintes âmes, toutes les âmes justes. Car les Apôtres étaient le ciel, bien que leur corps fût sur la terre ; car le Seigneur siégeait en eux, afin de parcourir le monde. Dieu donc habite le ciel. Et comment ? Comme il est dit dans un autre psaume : « C’est dans les saints que vous habitez, ô gloire d’Israël[2] ». Celui qui habite le ciel, habite le Saint. Or, quel est ce saint, sinon son temple ? « Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[3] ». Mais tous ceux qui sont encore faibles, et qui marchent selon la foi[4], sont par la foi le temple de Dieu : et un jour seulement ils seront son temple dans la claire vue. Combien de temps seront-ils le temple de Dieu par la foi ? Aussi longtemps que par la foi le Christ habitera en eux, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « C’est par la foi que le Christ

  1. Ps. 50,5
  2. Ps. 21,4
  3. 1 Cor. 3,17
  4. 2 Cor. 5,7