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que « les montagnes reçoivent la paix pour le peuple et les collines la justice[1] ». Les montagnes sont les âmes élevées ; les collines, les âmes communes. Mais si les montagnes reçoivent la paix, c’est afin que les collines puissent recevoir la justice. Quelle est cette justice que reçoivent les collines ? C’est la foi ; car « c’est de la foi que vit le juste[2] ». Or, les âmes du commun ne recevraient pas la foi, si les âmes d’élite appelées montagnes n’étaient éclairées par la Sagesse elle-même, et rendues capables de transmettre aux plus faibles ce que celles-ci sont capables de recevoir, les collines vivant de la foi, parce que les montagnes reçoivent la paix. Par ces montagnes il a été dit à l’Église : Que la paix soit avec vous ; et en annonçant cette paix à l’Église, ces montagnes ne se sont pas séparées de celui qui la leur avait donnée[3] ; car alors elles annonceraient, non une paix véritable, mais une fausse paix.

3. Car il se rencontre aussi d’autres montagnes fertiles en naufrages, contre lesquelles se brise l’esquif de celui qui va s’y butter lorsque les nautoniers en péril aperçoivent la terre, il leur est facile de chercher à s’en approcher ; mais cette montagne, qui leur semble être de la terre, ne recèle souvent, sous ses dehors trompeurs, que des rochers dangereux, et quiconque vient y aborder, se brise infailliblement contre les récifs dont elle se trouve hérissée ; au lieu d’y rencontrer le salut, on n’y rencontre que la mort. De même certains hommes ont été des montagnes, et ont paru grands parmi leurs semblables ; et ils ont fait des hérésies et des schismes, et ils ont divisé l’Église de Dieu. Mais ceux qui ont divisé l’Église de Dieu n’étaient pas les montagnes dont il est dit : « Que les montagnes reçoivent la paix pour votre peuple ». Comment, en effet, auraient pu recevoir la paix, ceux qui ont divisé l’unité ?

4. Pour ceux qui ont reçu la paix afin de l’annoncer au peuple, ils ont contemplé la Sagesse elle-même, autant que l’esprit de l’homme peut contempler ce que l’œil « n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme[4] ». Si cette Sagesse n’est pas montée au cœur de l’homme, comment est-elle montée au cœur de Jean ? Jean n’était-il pas un homme ? Ou bien, si elle n’était pas montée au cœur de Jean, le cœur de Jean n’était-il pas monté vers elle ? Car ce qui monte au cœur de l’homme part d’en bas et s’élève vers l’homme ; mais ce vers quoi monte l’homme, est au-dessus de lui. Ainsi, mes frères, on peut dire que la Sagesse est montée au cœur de Jean ; elle y est montée, si nous pouvons nous exprimer ainsi, en proportion de son élévation au-dessus de la nature humaine. Qu’est-ce ceci ? Jean n’était-il pas homme ? Il avait cessé de l’être dans la mesure de sa participation à la nature des anges ; car tous les saints sont des anges, vu qu’ils annoncent Dieu. Aussi, que dit l’Apôtre aux hommes charnels et animaux, incapables de percevoir ce qui est de Dieu ? « Lorsque vous dites : Moi je suis de Paul, moi d’Apollo, n’êtes-vous pas hommes[5] ? » Que voulait-il donc faire d’eux en leur reprochant d’être des hommes ? Voulez-vous savoir ce qu’il en voulait faire ? Écoutez le Psalmiste : « J’ai dit : Vous tous, vous êtes des dieux, vous êtes les fils du Très-Haut[6] ». Dieu nous appelle, afin que nous ne soyons plus des hommes. En effet, nous serons d’autant moins des hommes que nous nous reconnaîtrons comme tels ; en d’autres termes, pour arriver à cette hauteur, il nous faut prendre l’humilité pour point de départ, de peur que, pensant être quelque chose tandis que nous ne sommes rien, non seulement nous ne recevions pas ce que nous ne sommes point, mais aussi que nous ne perdions ce que nous sommes déjà.

5. Donc, mes frères, du nombre de ces montagnes était Jean qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette montagne avait reçu la paix, elle contemplait la divinité du Verbe. Quelle montagne était Jean ? Qu’il était élevé ? Il s’était élevé au-dessus de tous les monts, au-dessus de toutes les plaines de l’air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres, au-dessus de tous les chœurs et des légions des auges. En effet, si Jean n’était monté par-delà toutes les choses créées, il ne serait pas parvenu à celui par qui ont été faites toutes les choses. Vous ne pouvez imaginer au-delà de quoi il s’était élevé, si vous ne considérez le but qu’il a atteint. Parles-tu du ciel et de la terre ? Ce sont des créatures. Parles-tu de ce qui est

  1. Psa. 71, 3
  2. Hab. 2, 4 ; Rom. 1, 17
  3. Jn. 20, 19
  4. 1Co. 2, 9
  5. 1Co. 3,4
  6. Psa. 81, 6