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parler, des hommes qui l’habitent. Mais l’emploi du mot « édifier » ou construire, nous montre qu’il appelle cité une véritable ville. Et comme l’édifice spirituel a quelque ressemblance avec l’édifice matériel, voilà que le Prophète nous dit : « Il se construit comme une ville ».
5. Mais que le Prophète continue et nous montre sans aucun doute, qu’il ne faut pas entendre d’une ville matérielle ces paroles « Jérusalem se construit comme une ville, dont tous les habitants sont dans l’unité ». Ici, mes frères, j’exhorte quiconque a de la vivacité dans l’esprit, quiconque se débarrasse des ténèbres de la chair, quiconque purifie l’œil de son cœur, à considérer attentivement cette unité, idipsum. Qu’est-ce à dire l’unité ? Comment l’exprimer, sinon par l’unité ? Comprenez, mes frères, l’unité, si vous le pouvez. Tout ce que je dirais autre chose ne serait point cette unité. Essayons, néanmoins, par quelques expressions qui en approchent, de conduire nos faibles esprits à la pensée de cette unité, idipsum. Qu’est-ce à dire : Idipsum? Ce qui est toujours de la même manière, qui n’est point aujourd’hui une chose, et demain une autre chose. Qu’est-ce donc qui est un, sinon ce qui est ? Qu’est-ce ce qui est ? Ce qui est éternel. Car ce qui est tantôt d’une manière et tantôt d’une autre, ne subsiste pas, puisqu’il ne demeure pas. On ne saurait dire qu’il n’est point du tout, mais il n’est pas souverainement. Et qu’est-ce qui est, sinon Celui qui disait à Moïse en l’envoyant : « Je suis celui qui suis[1] ? » Et quel est celui-là, sinon Celui qui ne voulut point donner une autre réponse que celle-ci : « Je « suis celui qui suis o, quand son serviteur lui disait : « Voilà que vous m’envoyez, et si votre peuple vient à me dire : Qui t’a envoyé ? que répondrai-je ? » Puis il ajouta aussitôt : « Tu diras donc aux enfants d’Israël : Celui « qui est m’a envoyé vers vous ». Voilà l’unité, Idipsum. « Je suis celui qui suis : Celui « qui est m’a envoyé vers vous ». Mais tu ne saurais le comprendre, cela est trop élevé pour toi, c’est insaisissable. Retiens alors ce que s’est fait pour toi Celui que tu ne saurais comprendre ; retiens cette chair du Christ qui t’a soulevé dans ta faiblesse, afin de te conduire à l’hôtellerie[2], et de te guérir de tes blessures, toi que les voleurs avaient laissé à demi-mort. Courons donc à la maison du Seigneur, arrivons à cette ville où nos pieds se tiendront affermis, à cette Jérusalem « qui se construit comme une ville, et qui maintient dans l’unité ceux qui l’habitent ». Que dois-tu retenir, en effet ? Ce que le Christ s’est fait pour toi ; car c’est là le Christ ; et l’on peut dire que cette parole : « Je suis celui qui suis ».est aussi du Christ, en tant qu’il est Dieu, et qu’il n’a point cru qu’il y eût usurpation de s’égaler à Dieu[3] ; c’est là qu’est l’unité. Mais pour te faire participer toi-même à cette unité, il a voulu le premier avoir part à ce que tu es. Et le Verbe s’est fait chair, afin que la chair eût sa part au Verbe[4]. Mais comme le Verbe ne s’est fait chair pour habiter parmi nous qu’en devenant fils d’Abraham ; comme Dieu avait promis à Abraham, à Isaac et à Jacob que dans leur postérité seraient bénies toutes les nations[5], et qu’en vertu de ces paroles nous voyons l’Église répandue par toute la terre, Dieu parle ainsi à des faibles. En disant « Je suis celui qui suis n, il demandait des cœurs fermes. Oui, il voulait des cœurs fermes, et une haute contemplation, quand il disait : « Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Mais si tu n’as peut-être point le regard assez sûr, bannis tout découragement et tout désespoir. Celui qui est a voulu être un homme semblable à toi ; et c’est pour cela qu’il dit à Moïse effrayé d’entendre son nom : quel nom ? Celui qui est. Voilà, dis-je, pourquoi le Seigneur dit à Moïse : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, c’est là mon nom pour l’éternité[6] ». Ne te décourage point parce que je t’ai dit : « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Celui qui est m’a envoyé vers vous » : c’est que maintenant tu es poussé deçà et delà, et que l’inconstance, la mobilité des choses d’ici-bas t’empêchent de voir l’unité. Voilà que je descends, puisque tu ne saurais monter. « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ». Fils d’Abraham, espère, afin de pouvoir te fortifier et voir celui de la race d’Abraham qui vient à toi.
6. Voilà donc cette unité toujours la même, et dont il est dit : « Vous les changerez et ils seront changés ; mais pour vous, vous êtes éternellement le même, et vos années ne finiront point »[7]. Voilà cet idipsum, toujours

  1. Exod. 3,14
  2. Lc. 10,30-34
  3. Phil. 2,6
  4. Jn. 1,14
  5. Gen. 22,18
  6. Exod. 3,13-15
  7. Ps. 101,27-28