Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/291

Cette page n’a pas encore été corrigée

nous qui serons Jérusalem et Sion, quand les serrures de nos portes seront consolidées. Que fait pour nous, dans cet exil, celui qui nous rassasiera de la moelle du froment ? Il fait ce qui suit : « Il envoie son Verbe à la terre ». Nous sommes ici-bas dans le labeur, en butte à la fatigue, à la langueur, à la mollesse, à la tiédeur : quand nous serait-il possible de nous élever, jusqu’à nous rassasier de la moelle du froment, si Dieu n’envoyait son Verbe à cette terre, dont le poids nous accable, à cette terre qui nous empêche de retourner à la patrie ? Loin de nous abandonner au désert, il nous a envoyé son Verbe, il a fait pleuvoir la manne du ciel. « C’est lui qui a envoyé son Verbe à la terre ». Comment l’a-t-il envoyé ? quel est ce Verbe ? « Son Verbe court jusqu’à la rapidité ». Il ne dit point que ce Verbe est rapide, mais « qu’il court jusqu’à la vitesse même ». Comprenons, mes frères ; le Prophète ne pouvait choisir un terme plus propre. Avoir chaud, c’est l’effet de la chaleur ; avoir froid, l’effet du froid, et marcher rapidement, un effet de la rapidité. Mais qu’y a-t-il de plus chaud que la chaleur, qui échauffe tout ce qui est chaud, de plus froid que ce même froid que subit tout ce qui se refroidit, de plus rapide que cette rapidité que subit tout ce qui va rapidement ? On peut dire de beaucoup de choses qu’elles vont rapidement, les unes plus, les autres moins ; et une chose est plus rapide à mesure qu’elle participe plus à la rapidité. Plus sa part est grande, plus grande est sa rapidité ; moins sa part est grande, moins grande est sa rapidité. Dès lors, quoi de plus rapide que la rapidité elle-même ? Comment donc se répand cette parole : « Jusqu’à la rapidité ? » Renchéris autant qu’il te plaira sur la rapidité du Verbe ; dis, si tu le veux, qu’il est plus rapide que tel ou tel objet, plus rapide que les oiseaux, que les vents, que les anges. Y a-t-il rien qui s’élance avec rapidité, comme la rapidité elle-même ? « Jusqu’à la rapidité », dit le Prophète. Qu’est-ce, mes frères, que la vitesse ? Elle est partout, et n’est point dans quelque partie séparée. Or, c’est le propre du Verbe de Dieu, de n’être point dans quelque partie séparée, d’être partout le Verbe et par lui-même, d’être le vertu de Dieu et la sagesse de Dieu[1] avant d’avoir pris notre chair. Si nous nous représentons Dieu dans la forme de Dieu, le Verbe est égal au Père ; il est cette sagesse dont il est dit : « La sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force[2] ». Quelle vitesse ! « Elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force ». Mais c’est peut-être sans se mouvoir qu’elle y atteint. Si elle ressemblait à un vaste bloc de pierre qui occupe un espace, on dirait qu’elle atteint d’une extrémité à l’autre de cet espace, et sans mouvement. Que disons-nous donc ? Ce Verbe est-il sans mouvement, et cette sagesse est-elle stupide ? Que devient alors ce qui est dit de l’Esprit de sagesse ? Car au nombre des qualités qu’on lui donne, il est écrit qu’il est « délié, mobile, certain, incorruptible[3] ». Donc la sagesse de Dieu est mobile. Si donc elle a de la mobilité, quand elle touche un objet, n’en touche-t-elle pas un autre ? ou abandonne-t-elle celui-là pour toucher celui-ci ? Où serait alors la vitesse ? Car telle est la vitesse, qu’elle est partout en tout lieu, et renfermée nulle part. Mais pour élever jusque-là nos pensées, nous avons trop de lenteur dans l’esprit. Qui peut concevoir ces choses ? J’en ai dit, mes frères, ce que j’ai pu, si tant est que j’y aie pu comprendre quelque chose, et vous avez compris comme vous l’avez pu. Mais que dit l’Apôtre ? « Gloire à celui qui peut faire au-delà de ce que nous demandons, ou de ce que nous pouvons comprendre[4] ». Que veut-il nous montrer par là ? Que toutes les fois que nous comprenons une chose, nous ne la comprenons pas telle qu’elle est. Pourquoi ? C’est que « le corps corruptible appesantit l’âme[5] ». Donc sur la terre nous demeurons froids, tandis que la vitesse n’est que chaleur ; que tout ce qui a plus de chaleur a plus de vitesse, comme tout ce qui est plus froid est aussi plus pesant. Nous sommes lents, donc nous sommes froids. Quant à la sagesse, elle court jusqu’à la rapidité. Elle est donc toute de feu, et « nul ne se dérobe à sa chaleur[6] ».
23. Pour nous que le froid du corps a ralentis, qui ployons sous la chaîne de cette vie corruptible, n’avons-nous donc nulle espérance d’avoir notre part à ce Verbe qui court jusqu’à la vitesse ? Ou même nous aurait-il délaissés, quand le poids du corps nous entraîne si bas ? N’est-ce point ce même Verbe qui nous a prédestinés avant notre naissance en un corps lourd et mortel ? C’est donc celui

  1. 1 Cor. 1,24
  2. Sag. 8,1
  3. Id. 7,22
  4. Eph. 3,20
  5. Sag. 9,15
  6. Ps. 18,7