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Si vous ne voulez être stériles, si la pluie a produit en vous la fécondité, si vous craignez que Dieu ne condamne en vous la stérilité, (car Dieu menace du feu la terre stérile qui ne produit que des épines[1], comme il prépare ses greniers pour celle qui est féconde) efforcez-vous d’exiger de vous-mêmes ce qui est dû à Dieu ; soyez pour vous de sévères exacteurs. Le Christ l’exige en silence, et cette voix peu bruyante n’en est que plus grande, puisqu’il nous parle dans son Évangile. Ce n’est point se taire complètement que dire : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels[2] ». Il ne garde point le silence, écoutez sa voix. Nul ne saurait vous presser à ce sujet, à moins peut-être que ceux qui vous servent dans le ministère de l’Évangile n’en soient réduits à vous demander, Mais si vous les forcez à vous demander, prenez garde que vous n’obteniez point ce que vous-mêmes demandez à Dieu. Soyez donc vos propres exacteurs, de peur que ceux qui vous servent dans l’Évangile n’en soient réduits, je ne dis pas à demander, car ils ne demandent point, quelque besoin qu’ils éprouvent ; mais de peur que leur silence ne soit pour vous une condamnation. De là cette parole du Prophète : « Heureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent[3] ». Dire qu’il comprend le pauvre et l’indigent, c’est dire qu’il n’attend point qu’on lui demande. L’un te cherche parce qu’il n’a rien ; mais toi, tu dois chercher un autre pauvre. L’Écriture nous recommande l’un et l’autre, mes frères ; ici : « Donne à quiconque te demande[4] », nous l’avons lu tout à l’heure ; et dans un autre endroit : « Que l’aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Celui-ci te demande, mais pour l’autre tu dois le chercher. Ne renvoie pas les mains vides celui qui te cherche : « Donne à quiconque te demande » ; mais il en est un autre que tu dois toi-même chercher : « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu rencontres un juste, à qui tu la donneras ». C’est ce que vous ne pourrez pratiquer, si vous ne mettez en réserve quelque peu de vos revenus, ce que chacun voudra, et selon que lui permet sa fortune, comme il ferait d’un argent dont il serait débiteur envers le fisc. Car le Christ a aussi fisc, à moins qu’il n’ait point son gouvernement. Vous savez en effet ce qu’est le fisc, ou fiscus: c’est un grand panier ; de là viennent fiscella, petit panier, et fiscina, corbeille. Ne vous imaginez pas que ce mot fiscus soit quelque dragon, parce qu’on n’entend parler qu’avec terreur d’un collecteur du fisc. Le Seigneur avait aussi son fisc ou sa cassette, quand sur la terre il portait ses deniers, et ces deniers étaient confiés à Judas[5]. Le Sauveur souffrait avec lui ce traître, ce voleur, pour nous donner en cela un modèle de patience. Toutefois, ceux qui donnaient cet argent le donnaient pour le Sauveur ; car ne croyez pas que le Sauveur ait couru çà et là, ait mendié, ou ait été dans le besoin, lui que servaient les anges, et qui avec cinq pains rassasia tant de milliers d’hommes. Pourquoi donc voulut-il éprouver le besoin, sinon pour donner l’exemple aux montagnes, qui ont dû produire du foin, et non demeurer stériles sous l’action de la pluie ? Retranchez quelque peu, jetez dans les coffres de Jésus-Christ une somme déterminée que vous déduirez des revenus de chaque année, ou du gain de chaque jour. Car on dirait que tu donnes de ton fonds, et dès lors ta main tremble nécessairement quand elle s’étend à ce que tu n’as point résolu de donner. Retranche donc une partie de tes revenus. Est-ce la dîme ? Eh bien ! donne la dîme, quoique ce soit bien peu. Car il est marqué dans l’Évangile que les Pharisiens donnaient la dîme. « Je jeûne deux fois la semaine », disait l’un deux, « je donne la dîme de tout ce que je possède[6] ». Et que dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse de beaucoup celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux[7] ». Et pourtant, cet homme que tu dois surpasser en justice donne la dîme ; et toi tu n’en donnes pas la millième partie. Comment le surpasser, quand tu ne saurais même l’égaler ? « C’est Dieu qui couvre le ciel de nuages, qui prépare des pluies à la terre, qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour ceux des hommes qui servent les autres ».
18. « Il donne aux troupeaux leur nourriture[8] ». Ces troupeaux sont les troupeaux du Seigneur, qui ne prive point son bercail de cette nourriture que lui servent les hommes,

  1. Héb. 6,7-8
  2. Lc. 16,9
  3. Ps. 40,2
  4. Lc. 6,30
  5. Jn. 12,6
  6. Lc. 18,12
  7. Mt. 5,20
  8. Ps. 146,9