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Car ce n’est point cette chair que vous avez faite, mais bien la corruption de la chair, les peines et les tribulations qui sont une prison pour moi.
18. D’autres ont soutenu que cette prison, cette caverne, c’est notre corps, et que tel est le sens de « tirez mon âme de la prison ». Mais ce sens n’est point très solide. Que voudrait dire, en effet : « Tirez mon âme de la prison », ou tirez mon âme de mon corps ? Est-ce que les âmes des scélérats ne quittent point le corps pour aller dans des supplices plus cruels qu’ils n’en ont endurés sur la terre ? Quelle est donc l’importance de cette prière : « Délivrez mon âme de la prison », puisque tôt ou tard elle doit en sortir ? Serait-ce un juste qui dirait : Que je meure maintenant ; délivrez mon âme de cette prison du corps ? Trop d’empressement serait un défaut de charité. Il doit sans doute en avoir le désir, il doit y aspirer et dire avec l’Apôtre : « J’ai un ardent désir d’être délivré des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur[1] ». Mais où serait la charité ? Aussi dit-il ensuite : « Mais demeurer dans la chair est pour moi une nécessité à cause de vous[2] ». Que le Seigneur dès lors nous délivre du corps quand il lui plaira. On pourrait appeler aussi notre corps une prison, non que Dieu ait fait cette prison, mais parce qu’il est un supplice et qu’il est mortel. Il faut, en effet, considérer dans notre corps, et l’œuvre de Dieu et la peine du péché. Cette forme, ce port, cette démarche, la disposition des membres, l’action des sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, toute cette construction, cette admirable architecture ne peut être que l’œuvre de Dieu qui a tout fait et dans le ciel et sur la terre, et ce qu’il y a de plus élevé comme ce qui est plus infime, et ce qui est visible comme ce qui est invisible. Où est donc le châtiment dans notre corps ? C’est que la chair est corruptible, qu’elle est fragile, qu’elle est mortelle, qu’elle est dans l’indigence ; il n’en sera plus ainsi au moment de la récompense. Nous aurons en effet notre corps, puisque c’est le corps qui ressuscitera. Qu’est-ce donc que nous n’aurons plus ? La corruption ; puisque ce corps corruptible sera devenu incorruptible[3]. Si donc la chair est une prison pour toi, ce n’est point le corps qui est cette prison, mais la corruption du corps. Votre corps a été fait bon par Dieu qui est bon ; mais, comme il est juge et juste, il l’a condamné à la corruption. Le corps est donc un bienfait, la corruption un châtiment. Alors « délivrez mon âme de sa prison » pourrait bien signifier : Tirez mon âme de la corruption. Ce sens n’est plus un blasphème, on le comprend.
19. Mais enfin, selon moi, « délivrez mon âme de sa prison » voudrait dire, délivrez-la de ce lieu étroit. Un homme qui a de la joie est au large même dans sa prison ; un homme qui est triste est à l’étroit dans une vaste plaine. Donc il supplie Dieu de le délivrer de l’angoisse ; bien qu’il soit en effet au large par l’espérance, le présent le tient néanmoins à l’étroit. Écoute les angoisses de l’Apôtre : « Je n’ai point eu l’esprit en repos, parce que je n’ai point trouvé mon frère Tite[4] ». Ailleurs : « Qui est faible sans que je sois faible avec lui ? qui est scandalisé sans que je brûle[5] ? » Être faible, et brûler, n’est-ce donc pas être dans les peines, dans la prison ? Mais à ces peines la charité fait produire des couronnes. De là cette autre parole : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge[6] ». Tel est le sens de ces paroles : « Tirez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Une fois délivrée de la corruption, qu’aura-t-elle à confesser ? Il n’y a là aucun péché, mais des louanges ; or, la confession s’entend de deux manières : ou de l’aveu des péchés, ou des louanges de Dieu, Quant à la confession des péchés, chacun la connaît, elle est tellement connue du peuple, que si l’on vient, dans une lecture, à prononcer le nom de confession, qu’il soit pris dans le sens d’une confession des péchés, ou dans le sens d’une confession de louanges, chacun se frappe aussitôt la poitrine. On connaît donc la confession des péchés, voyons maintenant si l’on connaît la confession de louanges. Où le trouver ? On lit dans les saintes Écritures : « Voici ce que vous direz dans votre confession : C’est que toutes les œuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes[7] ». C’est donc là une confession de louanges. Ailleurs le Seigneur s’écrie : « Je vous confesserai, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre[8] ». Que confessait-il ? Ses péchés ?

  1. Phil. 1,23
  2. Id. 24
  3. 1 Cor. 15,53
  4. 2 Cor. 2,13
  5. Id. 11,29
  6. 2 Tim. 4,8
  7. Sir. 39,20-21
  8. Mt. 11,25