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laisse point aller à des paroles méchantes. Quelles paroles de malice ? Celles dont on veut couvrir ses péchés ; de peur, dit le Prophète, que je ne cherche à excuser mes fautes plutôt que de les avouer. De telles paroles ne sauraient évidemment s’appliquer à Jésus-Christ ; quels péchés a-t-il commis en effet qu’il dût confesser plutôt que défendre ? Ces paroles sont les nôtres, et néanmoins c’est bien le Christ qui parle. Mais comment est-ce Jésus-Christ qui parle, si ces paroles sont les nôtres ? Mais où est cette charité dont je vous parlais ? Ne savez-vous point que c’est elle qui nous unit avec Jésus-Christ ? Cette charité crie du fond de nos cœurs vers Jésus-Christ, et du cœur de Jésus-Christ vers nous. Comment la charité va-t-elle de nos cœurs au Christ ? « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé[1] ». Comment, du cœur de Jésus-Christ, vient-elle jusqu’à nous ? « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ?[2] » Vous êtes le corps et les membres du Christ[3], nous dit l’Apôtre. Si donc il est la tête et nous le corps, ce n’est qu’un seul homme qui parle ; eh ! soit la tête, ou les membres, ce n’est qu’un même Christ. La tête doit parler au nom des membres ; voyez ce qui se passe d’ordinaire, d’abord comment il n’y a que notre tête qui parle au nom des membres voyez ensuite comment elle parle au nom de tous les membres. Qu’on te marche sur le pied, la tête crie aussitôt : Tu marches sur uni. Qu’on te blesse à la main, c’est encore la tête qui dit : Tu me blesses. Nul n’a touché la tête, mais elle répond en vertu de l’union des membres. La langue est dans la tête ; elle prend le rôle de tous les membres et porte la parole au nom de tous. Écoutons donc le Christ qui nous parle dans ce sens, et que chacun, demeurant uni intimement au corps du Christ, reconnaisse en lui sa propre voix. Il tiendra parfois un langage où nul d’entre nous ne pourra se reconnaître, qui ne conviendra qu’à ce Chef auguste, et toutefois il ne se sépare point de nous pour ne parler que d’une manière propre à lui seul ; et quand il a parlé en son nom, il ne dédaigne point de parler comme nous. C’est de lui et de l’Église qu’il est dit : « Ils seront deux dans une seule chair[4] ». C’est pourquoi lui-même a dit à ce sujet dans l’Évangile « Dès lors ils ne sont plus deux, mais une seule chair[5] ». Ces vérités ne vous sont point nouvelles, et vous les avez entendues bien souvent, mais il est nécessaire d’y revenir selon les occasions, d’abord parce que les paroles de l’Écriture que nous expliquons sont tellement liées qu’elles sont répétées en beaucoup d’endroits, ensuite parce que cette répétition a son utilité. Les soins de cette vie ont leurs épines, qui étouffent la bonne semence ; et le Seigneur a dû nous répéter ce que le monde nous fait oublier.
4. « Seigneur, j’ai crié vers vous, exaucez-moi[6] ». Nous pouvons tous parler ainsi. Ce n’est point moi qui tiens ce langage, c’est le Christ tout entier. Toutefois ce langage convient plus particulièrement au corps ; car sur la terre, le Christ qui était en sa chair pria son Père, au nom de tout son corps, et pendant qu’il priait des gouttes de sang coulaient de tout son corps, comme l’affirme l’Évangile : « Pendant qu’il redoublait ses prières, il sua du sang[7] ». Que figurait le sang qui coulait de son corps, sinon les souffrances des martyrs dans toute l’Église ? « Seigneur, j’ai crié vers vous, exaucez-moi ; soyez attentif à la voix de ma prière, quand je crierai vers vous ». Tu pensais qu’après avoir dit : « J’ai crié vers vous, tu n’avais plus à crier. Tu as crié, il est vrai ; mais ne te rassure pas encore. La fin de la tribulation est la fin de tes cris mais si la tribulation doit durer dans l’Église, et dans l’Église du Christ jusqu’à la fin du monde, qu’elle ne dit pas seulement : « J’ai crié vers vous », qu’elle dise encore : « Soyez attentif à la voix de ma prière quand je crierai vers vous ».
5. « Que ma prière s’élève en votre présence comme un parfum, que l’élévation de mes mains soit comme le sacrifice du soir[8] ». Tout chrétien reconnaît que ce passage s’applique au chef qui mourut quand le jour inclinait vers le soir, qui donna sa vie sur la croix pour la reprendre, et ne la perdit point contre son gré[9]. Et toutefois il nous figurait nous-mêmes dans ce sacrifice ; quelle partie de lui était clouée à la croix, sinon celle qu’il a reçue de nous ? Et comment se pourrait-il faire que Dieu abandonnât son Fils unique, qui est avec lui un seul et même Dieu ? Et néanmoins

  1. Jol. 2,32
  2. Act. 9,4
  3. 1 Cor. 12,27
  4. Gen. 24
  5. Mt. 19,6
  6. Ps. 140,1
  7. Lc. 22,44
  8. Ps. 140,2
  9. Mt. 27,46-50