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c’est que la chair ait de la force. Or, d’où vient la force de la chair, la force d’un vase d’argile, sinon de cet os que Dieu y a mis secrètement ? « Et ma substance est dans les entrailles de la terre ».
21. Que dira le Prophète de ceux qui sont moins forts ? Nous l’avons dit en effet, c’est le Christ qui nous parle en ce psaume. Mais en beaucoup d’endroits, comme il a parlé au nom du corps, voyons ce qu’il dit au nom du chef, sans qu’il paraisse néanmoins distinguer s’il donne la parole à l’un ou à l’autre. Car distinguer, ce serait diviser, et ils ne seraient plus deux dans une seule chair[1]. Mais s’ils sont deux dans une seule chair, rien d’étonnant qu’ils soient aussi deux dans une même voix. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ mourut sur la croix, les disciples n’avaient point encore cet ossement intérieur, ils n’étaient point encore affermis dans la patience ; ils ne se connaissaient point, ils ignoraient leurs forces. Pierre osa promettre qu’il souffrirait et mourrait avec son maître, pauvre malade qui ne connaissait point son mal, et que connaissait le médecin suprême. Mais qu’arriva-t-il ? J’irai avec vous jusqu’à la mort, avait-il dit. « Je vous dis en vérité qu’avant le chant du coq vous me renoncerez trois fois[2] ». Or, la prédiction du médecin se trouva plus vraie que la présomptueuse parole du malade, Dès lors, en nous disant : « Un ossement que vous m’avez fait en secret n’est point caché pour vous », le Prophète parle au nom de ceux qui ont cet os intérieur, cette force que montra dans sa passion notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, qui s’est assis quand il lui a plu, levé quand il lui a plu, endormi quand il lui a plu, éveillé quand il lui a plu car, nous dit-il, « j’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre[3] ». Mais qu’est-il dit de ceux en qui cette force n’était ni formée, ni affermie ? Qu’en dit le Sauveur ? Vois ce qu’il en dit à son Père « Vos yeux ont vu mon imperfection[4] ». Mon imperfection dans ce même Pierre qui promettait pour ne pas tenir, qui comptait sur lui-même pour tomber : vos yeux l’ont vue ; car il est écrit que le Seigneur regarda Pierre qui, après son triple renoncement, se ressouvint de la prédiction du Sauveur ; puis sortit dehors et pleura amèrement[5]. Ce fut le regard de Dieu qui fit couler ces larmes, « parce que vos yeux », dit le Prophète, « ont vu mon imperfection ». Cette imperfection qui le fait chanceler pendant la passion du Sauveur, le conduirait infailliblement à la mort ; mais voilà que vos yeux l’ont vu, et non seulement lui, mais tous ceux qui furent tremblants jusqu’à ce que la résurrection du Sauveur les raffermît. Il fut évident pour leurs yeux que la mort n’avait point détruit dans le Sauveur ce qu’elle avait frappé, et alors se forma en eux cet ossement secret qui les empêcha de craindre la mort. « Vos yeux ont vu mon imperfection ; tous seront écrits dans votre livre » ; non seulement les hommes parfaits, mais aussi les hommes imparfaits. Que les imparfaits ne craignent point, mais qu’ils s’avancent. Qu’ils ne craignent pas, dis-je, et néanmoins qu’ils n’aiment pas leur imperfection, qu’ils ne demeurent point où ils ont été trouvés. Seulement, qu’ils s’avancent autant qu’il est en eux ; chaque jour un pas, chaque jour un progrès : toutefois sans s’éloigner du corps du Seigneur, afin que dans cette unité de corps qui unit ensemble tous les membres, ils méritent que le Sauveur ait dit en leur nom : « Vos yeux ont vu mon imperfection ; et tous seront écrits dans votre livre ».
22. « Ils s’égareront pendant le jour, et personne parmi eux ». Le jour, c’était encore Notre-Seigneur Jésus-Christ. De là cette parole : « Marchez tant que vous avez la lumière[6] ». Mais ceux qui doivent errer pendant le jour, ce sont les imparfaits qui sont en lui. Eux encore n’ont vu qu’un homme dans Notre-Seigneur Jésus-Christ ; ils ont cru que la divinité n’était point cachée en lui, et que loin d’être un Dieu caché, il était simplement ce qu’il paraissait ; voilà ce qu’ils ont cru. Pierre, en effet, et nous parlons de lui surtout parce que nous trouvons en lui un exemple de cette faiblesse qui ne doit point nous faire désespérer, Pierre, quand Jésus demanda ce que les hommes disaient de lui, répondit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Et le Seigneur ajouta : « Tu es heureux, Simon fils de Jona, car ni la chair ni le sang ne t’ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux ». Pourquoi heureux ? Parce que Pierre l’a proclamé fils de Dieu. Mais au même endroit, et dans la suite du discours, le Seigneur vint à parler de sa passion qui approchait.

  1. Eph. 5,31-32
  2. Mt. 26,34-35 ; Lc. 22,33-34
  3. Jn. 10,18
  4. Ps. 138,16
  5. Lc. 22,61-62
  6. Jn. 12,35