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a donné leur terre en héritage, en héritage à Israël son serviteur ». Ceux que le démon possédait, Dieu les donne en héritage à la race d’Abraham qui est le Christ. « Il s’est souvenu de nous dans notre humiliation, et nous a rachetés de nos ennemis[1] », par le sang de son Fils unique. « Il donne la nourriture à toute chair » ; c’est-à-dire à tout le genre humain, non seulement aux Israélites, mais encore aux Gentils ; et c’est de cet aliment qu’il est dit : « Ma chair est vraiment une nourriture[2]. Confessez au Dieu du ciel que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des seigneurs que sa miséricorde est éternelle[3] ». Cette expression, « ami Dieu du ciel », me paraît en d’autres termes la répétition de cette autre, « au Dieu des dieux », car le Prophète ajoute ici précisément ce que déjà il avait ajouté plus haut : « Confessez au Seigneur des seigneurs ». Quels que soient ceux que l’on nomme « dieux », confessez au Seigneur des seigneurs ; car « s’il est des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père d’où procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui ; et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes par lui »[4] : et auquel nous confessons que « sa miséricorde est éternelle ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 136

SERMON AU PEUPLE.

BABYLONE, OU LA CAPTIVITÉ DE CETTE VIE.

Babylone et Jérusalem sont confondues ici-bas, et seront séparées au dernier jour. Cependant nous ne pouvons louer le Seigneur qu’en Sion dont le souvenir fait couler nos larmes sur les fleuves de Babylone, ou sur tout ce qui est passager comme le fleuve, gloire, éclat, richesses. Asseyons-nous ; c’est-à-dire, humilions-nous, sans nous confier au courant, et fussions-nous heureux selon Babylone, aspirons à Sion, où notre joie sera éternelle.

Nos harpes sont les saintes Écritures ; le saule est un arbre stérile, comme ces mondains à qui nous ne saurions parler de religion ; y suspendre nos harpes, c’est garder le silence avec eux. Mais Babylone c’est la captivité, et le Christ nous rachète, comme le Samaritain soulagea cet homme que des voleurs avaient laissé à demi mort sur le chemin de Jéricho. Ces voleurs sont le diable et ses anges, lui qui entra dans le cœur de Judas, comme il entre en ceux qui lui ouvrent leur cœur par les désirs de la chair, qui ne vient le bonheur que dans la satisfaction des sens, mais ne comprennent point renoncement volontaire, ne le voient point pratiquer chez les chrétiens. Ils nous interrogent sur notre religion, mais sans vouloir l’embrasser ; il faut alors suspendre nos harpes ; comment chanter sur la terre étrangère, ou à des hommes incapables de nous comprendre ? Tel était le riche qui interrogeait le Sauveur dans l’Évangile : Que ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Vendez vos biens, donnez-en le prix aux pauvres. C’est là le cantique des riches ; celui des pauvres, c’est d’éviter les désirs insatiables.

Ces arbres pourront cesser d’être stériles ; alors nous parlerons. Cette main droite qui doit s’oublier, c’est la main des bonnes œuvres, qui tarissent quand nous oublions Jérusalem ; la gauche est celle des œuvres temporelles, et quant à nos aspirations vers le ciel se mêlent des aspirations terrestres, notre main gauche connaît les œuvres de la main droite. D’autres, donnant la préférence aux biens temporels, font de la droite la gauche, et deviennent étrangers à Jérusalem. Pour habiter, cette ville, ayons soif de la justice ; que notre langue soit muette si nous ne chantons ce qui est de Sion, si notre joie n’est plus la jouissance de Dieu. Quant aux fils d’Edom qui ont vendu leur droit d’aînesse, qui sont l’homme charnel, ils ne posséderont point le royaume de Dieu devenu le partage de Jacob qui donna la préférence aux biens spirituels, ils ont voulu nous détruire, Dieu les a soumis à l’esclavage. La fille de Babylone nous a persécutés par ses scandales ; bienheureux qui brisera les passions qu’elle a fait naître en nous contre la pierre qui est le Christ.

1. Vous n’avez pas oublié, sans doute, ce que je vous ai dit plusieurs fois, ou plutôt ce que j’ai rappelé à votre souvenir, que tout homme instruit dans l’Église doit savoir de quelle patrie nous sommes citoyens, quel est le lieu de notre exil, que le péché est la cause de cet exil, et que la grâce qui nous fait retourner dans la patrie, c’est la rémission du

  1. Psa. 135,23-24
  2. Jn. 6,56
  3. Psa. 135,26
  4. 1Co. 8,5-6