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été l’organe de l’Esprit-Saint, dans la composition du psaume. Or, il me souvient que dans le psaume cent-quinzième qui commence comme celui-ci, comme l’exemplaire que j’avais sous les veux ne porte pas que sa miséricorde est éternelle, mais qu’elle est dans les siècles, j’ai demandé ce qu’il nous fallait entendre de préférence. Le grec porte en effet eis ton aiona, que l’on peut traduire par dans le siècle, ou par éternellement. Mais il serait long de répéter ici ce que je vous ai dit alors selon mon pouvoir. Dans ce psaume, au contraire, au lieu de porter dans le siècle, comme beaucoup d’autres, mon manuscrit porte, sa miséricorde est dans l’éternité. Sans doute après le jugement que Dieu exercera à la fin des siècles suries vivants et sur les morts, qui mettra les justes en possession de la vie éternelle et assignera la flamme éternelle aux méchants, il n’y aura plus personne à qui Dieu fasse : miséricorde ; et néanmoins on peut comprendre comme éternelle celte miséricorde que Dieu fait à ses saints et à ses fidèles : non point qu’ils soient ta proie d’une misère éternelle, et qu’ils aient éternellement besoin de miséricorde, mais parce que la félicité que Dieu dans sa miséricorde départit aux malheureux, afin de mettre un terme à leur misère, et commencer ainsi leur bonheur, sera sans fin ; et dès lors sa miséricorde sera éternelle. Qu’en nous la justice vienne succéder à l’iniquité, la santé à la maladie, le bonheur à la misère, la vie à la mort, l’immortalité à la mortalité, c’est là un effet de sa miséricorde. Or, comme l’état où nous devons arriver sera éternel, sa miséricorde sera donc éternelle aussi. Dès lors, « confessez au Seigneur », c’est-à-dire, louez le Seigneur en confessant « qu’il est bon ». Et de cette confession n’attendez rien de temporel ; car « sa miséricorde est éternelle », c’est-à-dire que le bienfait qu’il vous accordera dans sa miséricorde sera sans fin. Quant à cette bonté dont parle notre psaume : Quoniam bonus, on lit agathos dans le grec, au lieu que dans le psaume cent-quinzième, ce qui est exprimé par bonus, l’est en grec par Xrestos. C’est pourquoi quelques-uns l’ont traduit, parce qu’il est doux. Toutefois agathosne veut pas dire une bonté quelconque, mais la bonté par excellence.
2. Le Psalmiste continue : « Confessez au Dieu des dieux que sa miséricorde est éternelle. Confessez au Seigneur des seigneurs que sa miséricorde est éternelle[1] ». Quels sont ces dieux et ces seigneurs, qui ont pour Dieu et pour Seigneur celui qui est le vrai Dieu, voilà ce qu’il convient de rechercher. L’Écriture nous montre dans un autre psaume que des hommes sont appelés dieux, ainsi : « Dieu s’est assis dans l’assemblée des dieux, et du milieu il juge les dieux » ; et un peu après : « J’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut, et toutefois vous mourrez de même que les hommes, vous tomberez comme un des princes[2] ». Tel est, le passage que le Seigneur nous cite dans l’Évangile quand il dit : « N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit, vous êtes des dieux ? Si elle a nommé dieux ceux à qui la parole du Seigneur fut adressée, et l’Écriture ne saurait être vaine, comment moi que le Père a sanctifié, et envoyé au monde, m’accusez-vous de blasphème, parce que j’ai dit : Je suis le Fils de Dieu[3] ? » Si donc ils sont appelés des dieux, ce n’est point que tous soient bons, c’est que la parole de Dieu leur a été adressée. S’ils étaient ainsi nommés à cause de leur bonté, Dieu ne les jugerait pas ainsi. Car aussitôt qu’il a dit : « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux », le Psalmiste ne dit point : Du milieu d’eux il discerne les hommes des dieux, comme pour assigner une différence entre Dieu et l’homme ; mais il dit : « Au milieu il juge les dieux ». Puis il ajoute : « Jusques à quand vos jugements seront-ils injustes[4] ? » et le reste : ce qui évidemment, ne s’adresse pas à tous, mais à quelques-uns, puisqu’il ne parle que d’après son discernement ; et pourtant c’est au milieu des dieux qu’il fait ce discernement.
3. Mais, dira-t-on, si l’on appelle dieux ces hommes à qui la parole de Dieu a été adressée, faut-il appeler de ce même nom les anges, puisque l’égalité avec les anges est la plus grande récompense que l’on ait promise aux justes et aux saints ? Je ne sais pas si dans toutes les Écritures on pourrait trouver ou du moins trouver facilement un passage qui nomme clairement dieux les anges ; mais quand il est dit du Seigneur Dieu, qu’il est « terrible sur tous les autres dieux[5] », le Psalmiste semble vouloir justifier cette expression en ajoutant : « C’est que les dieux des nations sont des démons ». C’est à propos de ces dieux que le Psalmiste a dit que Dieu est terrible dans ses saints, dont il a fait des dieux, et qui doivent effrayer les démons. C’est en effet ce qu’on lit ensuite : « Quant au Seigneur, il a fait les cieux ». Ils ne sont donc point appelés des dieux, sans aucune addition ; mais les dieux des nations : toutefois le Prophète a dit plus haut : « Il est terrible par-dessus tous les dieux », et non par-dessus tous les dieux des nations, bien qu’il l’ait voulu faire entendre, en, disant aussitôt : « Car tous les dieux des nations ». On dit, il est vrai, que l’hébreu ne l’exprime point ainsi, mais qu’il est dit : « Les dieux des nations sont des simulacres ». En ce cas, mieux vaut en croire les Septante, qui ont traduit avec l’assistance de ce même Esprit qui avait dit d’abord ce qui est dans le texte hébreu. C’est en effet sous l’action du même Esprit-Saint qu’il a fallu traduire ainsi cette parole : « Les dieux des nations sont des démons », afin de nous faire mieux comprendre ce qui est dans l’hébreu : « Les dieux des nations sont des simulacres », et de nous montrer qu’il n’y a dans les idoles rien que des démons. Le simulacre, en effet, qui s’appelle en grec, idole, et dont le nom a passé dans le latin, a des yeux, mais ne voit point, et tout ce qu’énumère le psaume au sujet de ces idoles privées, de tout sens ; d’où vient, qu’on ne saurait les effrayer, puisque l’effroi n’est que pour les êtres sensibles. Comment donc est-il dit à propos du Seigneur : « Il est terrible sur tous les autres dieux, car les dieux des nations sont des idoles » ; si ce n’est que, par idoles, il faut comprendre les démons que l’on peut effrayer ? De là cette parole de saint Paul : « Nous savons que l’idole n’est rien[6] » : restreignant l’idole à la matière qui est privée de sens. Et comme on aurait pu se persuader que nulle nature vivante et sensible ne fait ses délices des sacrifices des païens, l’Apôtre ajoute : « Mais les sacrifices des païens sont offerts aux démons et non à Dieu. Or, je ne veux point que vous ayez part aux sacrifices des démons »[7]. Si donc nul endroit des saintes Écritures ne nous prouve que les anges ont été appelés des dieux, la raison qui m’en vient présentement à l’esprit, c’est afin que

  1. Ps. 135,2-3
  2. Id. 81,1.6-7
  3. Jn. 10,31-36
  4. Ps. 81,12
  5. Id. 95,4
  6. 1 Cor. 8,4
  7. Id. 10,20