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la cause de sa fermeté se trouve en lui-même et dans ses propres forces ; il a peur de s’élever dans le temps et de voir son orgueil passager le priver de tout droit au repos éternel ; il veut donc faire bien comprendre d’où lui vient sa fermeté. « Pour moi », dit-il, « j’espérerai en vous, Seigneur ». Il n’exprime pas ici un sentiment de présomption, il indique le motif de son assurance. Si je n’éprouve aucune crainte, ce pourrait être un effet de l’endurcissement de mon cœur, car il en est beaucoup chez qui un orgueil démesuré étouffe toute appréhension. Que votre charité veuille bien y réfléchir ; autre chose est la santé du corps, autre chose son insensibilité, autre chose encore son immortalité. La santé parfaite est, en effet, l’immortalité. On nomme encore ainsi, dans un certain sens, l’exemption d’infirmités dont nous jouissons dans le cours de notre vie mortelle. Ne pas être malade s’appelle avoir la santé ; à simple vue, le médecin déclare qu’on en jouit ; aussitôt que commence la maladie, la santé est altérée ; elle est rétablie, dès que la guérison se manifeste. Il est donc facile de le remarquer et de vous en convaincre ; le corps humain peut passer par ces trois états différents : la santé, l’insensibilité et l’immortalité[1]. En santé, il est exempt de maladie ; néanmoins, il souffrirait si l’on venait à le froisser ou à le tourmenter. La douleur n’existe point pour celui qui en a perdu le sentiment ; plus il devient étranger à la souffrance, plus dangereux est son état. Quant à l’immortalité, elle ne connaît, non plus, aucune douleur ; pour elle, la corruption est comme anéantie ; le corps corruptible s’est revêtu d’incorruptibilité, le corps mortel s’est revêtu d’immortalité ’. Nulle souffrance, ni dans un corps parvenu à l’immortalité, ni dans un corps devenu insensible. Que l’homme insensible ne se croie point pour cela immortel ; celui qui souffre est plus près de l’immortalité que celui chez qui se trouve éteint le sentiment de la douleur. Tu rencontres un homme altier, orgueilleux et insolent, qui s’est mis dans l’esprit de ne rien craindre ; le crois-tu plus fort que celui qui a dit : « Nous ne trouvons que combats au-dehors, et au dedans que sujets de crainte[2] ? » Le crois-tu plus fort que notre Chef, que notre Seigneur Dieu, qui a dit « Mon âme est triste jusqu’à la mort[3] ? » Non, un pareil homme n’est pas plus fort. Que son insensibilité aie te charme pas, car, au lieu de se revêtir d’immortalité, il s’est dépouillé de tout sentiment. Néanmoins, une affectueuse amitié ne peut être étrangère à ton âme, et l’Ecriture blâme ceux qui ont le cœur sec ; qu’un sentiment plein de vigueur t’anime donc et te fasse dire : « Qui est-ce qui est faible, sans que je le sois moi-même ? qui est-ce qui est scandalisé, sans que je brûle[4] ? » Si saint Paul fût resté étranger au scandale et à la perte des faibles, sa raideur et son insensibilité te sembleraient-elles les meilleures dispositions possibles ? Loin de là. Tu n’y verrais point un signe de la tranquillité de son âme ; ce serait un irrécusable témoignage de sa stupidité. Sans aucun doute, mes frères, lorsque nous serons parvenus à ce lieu fortuné, à cette demeure désirable, à cette félicité souveraine, à cette patrie céleste, où notre âme tranquille sera plongée dans une quiétude et une joie éternelles, nous n’y serons sujets à aucune douleur, parce qu’il n’y aura là rien qui puisse nous faire souffrir. « Le grand nombre », dit le Psalmiste, « de ceux qui me font la guerre, sera saisi de crainte ». Les hommes stupides, qui ne craignent rien aujourd’hui, seront alors eux-mêmes troublés par l’épouvante, car la terreur qui s’emparera d’eux, sera si grande qu’elle brisera et broiera leur cœur, si endurci qu’il soit. « Le grand nombre de ceux qui me font la guerre sera saisi de crainte ; pour moi, Seigneur, j’espérerai en vous ».
7. « En Dieu je me louerai de mes paroles ; j’ai placé mes espérances dans le Seigneur, je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire[5] ». Pourquoi ? Parce que j’espérerai en Dieu. Pourquoi ? Parce qu’en Dieu je me louerai de mes paroles. Si c’est en toi que tu loues tes paroles, je ne te dis pas d’être exempt de crainte, car il est impossible qu’il en soit ainsi pour toi ; si, en effet, tu prononces des paroles de mensonge, ces paroles t’appartiendront en propre, par cela même qu’elles seront menteuses ; si, au contraire, elles sont l’expression de la vérité, et que, pourtant, tu les attribues à ton mérite, au lieu d’y voir un effet de la grâce divine, elles seront vraies en elles-mêmes, mais tu seras un menteur. Si, enfin, tu reconnais que tu ne peux rien dire

  1. 1 Cor. 15,53-54
  2. 2 Cor. 7,5
  3. Mt. 26,38
  4. 2 Cor. 11,29
  5. Ps. 55,5