Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/551

Cette page n’a pas encore été corrigée

coupable. C’est peu de ne point dire : C’est mal ; ils vont jusqu’à dire : C’est bien ; et néanmoins ils savent que cela est criminel, mais leur bouche est pleine de malice, leur langue a préparé la fourberie. La fourberie est la fraude en parole, c’est le langage en désaccord avec la pensée. Le Prophète ne dit pas : Ta langue a ourdi ou commis la fourberie ; mais, pour nous montrer qu’il y avait dans le crime un plaisir coupable, il dit : « Elle a embrassé ». C’est peu d’agir mal, tu y mets ton bonheur ; tu as des louanges au-dehors et la dérision dans l’âme. Tu causes la ruine d’un homme qui étale ses vices avec imprudence, qui ne voit pas même s’ils sont des vices ; et toi qui le sais, tu ne lui dis pas : Où vas-tu ? Si tu le voyais marcher dans les ténèbres, et près de l’endroit où tu connais un puits, quel homme serais-tu donc en gardant le silence ? Ne te regarderait-on pas comme l’ennemi de sa vie ? Et cependant, ce ne serait que la vie du corps et non celle de l’âme qu’il perdrait dans un puits. Il s’élance donc dans l’abîme du vice, il étale devant toi sa vie criminelle, tu en vois l’horreur, et tu lui applaudis au-dehors, tandis que tu le méprises dans ton âme. Oh ! s’il se retournait un jour vers le Seigneur, cet homme que tu tournes en dérision, que tu ne veux pas reprendre, et qu’il s’écrie : « Confusion sur ceux qui me disent : Courage, courage[1] ! ». « Ta langue a embrassé la fourberie »,
27. « Tranquillement assis, tu parlais contre ton frère ». Cette expression « assis » a le même sens que celui que nous avons donné à « embrasser ». Agir debout, ou en passant, c’est ne point y rechercher le plaisir ; mais s’asseoir pour le faire, n’est-ce point prendre tout son loisir ? Donc « tu t’es assis pour parler contre ton frère » ; tu as mis tes soins à commettre la détraction, tu t’es assis pour le faire : tu en voulais faire ton occupation, tu embrassais le mal, tu donnais à la fraude un baiser criminel. « Tu t’asseyais donc pour parler contre ton frère, et tu plaçais le scandale devant le fils de ta propre mère[2] ». Quel est ce fils de ta mère ? n’est-ce pas ton frère ? Le Prophète a donc voulu répéter ici ce qui a été dit plus haut : « Tu parlais contre ton frère ». N’a-t-il pas voulu mettre une certaine distinction ? Oui, mes frères, je crois qu’il est bon de distinguer. Ainsi un frère médit de son frère, quand un homme affermi dans la foi, jouissant d’une certaine considération, instruit et instruisant les autres, médit de son frère également instruit, et qui marche dans la voie droite ; mais voici un homme qui est faible, et votre détraction est un scandale pour lui. Qu’un homme de quelque considération et de quelque science médise des gens de bien, voilà un scandale pour les infirmes incapables de juger sagement. Or, cet infirme est appelé « le fils de notre mère », et non de notre père, parce qu’il a besoin de lait, et qu’il s’attache encore aux mamelles. Il est porté sur le sein de l’Église, il ne peut prendre la solide nourriture de son père, mais il se nourrit aux mamelles de sa mère, incapable de juger, parce qu’il est encore animal et charnel. « L’homme spirituel, en effet, juge de tout ; mais l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ; c’est une folie pour lui »[3]. C’est pour ces hommes que l’Apôtre a dit : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels encore, comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, non une nourriture solide : vous ne pouviez la supporter, vous ne le pouvez même encore[4] ». J’étais pour vous une mère, dit l’Apôtre, comme il dit ailleurs : « Je me suis fait petit au milieu de vous, comme la nourrice pleine de tendresse pour ses enfants[5] ». Non comme la nourrice donne à ses enfants la nourriture, mais comme la nourrice leur prodigue ses caresses. Il y a des mères qui, devenues mères, donnent leurs enfants à des nourrices ; elles sont mères, mais au lieu d’allaiter leurs enfants, elles les donnent à nourrir ; et les nourrices, loin d’allaiter leurs enfants, allaitent des étrangers ; mais l’Apôtre avait lui-même enfanté des fidèles, il les nourrissait, et ne confiait ce soin à personne, lui qui disait : « Vous que j’enfante une seconde fois, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous[6] ». Donc il prodiguait ses caresses et allaitait. Or, des hommes doctes et spirituels blâmaient Paul. « Ses lettres », disaient-ils, « sont dures et accablantes ; en face il est faible de corps, méprisable dans ses discours[7] ». Voilà les propos qu’il attribue lui-même dans ses lettres à ses détracteurs, ils s’asseyaient donc,

  1. Ps. 39,16
  2. Id. 49,20
  3. 1 Cor. 2,14
  4. Id. 3,2
  5. 1 Thes. 2,7
  6. Gal. 4,19
  7. 2 Cor. 10,10