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nous avons donné auparavant le sens de celui-ci : « Les justes domineront au matin ». Endurez donc la nuit, soupirez après le matin. Ne t’imagine pas que l’on vive la nuit, et que l’on ne vive plus au matin. Le sommeil serait-il donc la vie, et le réveil ne serait-il pas une vie ? L’homme qui dort, au contraire, n’est-il pas plus semblable à la mort ? Et qui sont ceux qui dorment ? Ceux qu’éveille saint Paul, si tant est qu’ils veuillent s’éveiller. De qui dit-il, en effet : « Levez-vous, vous qui dormez, sortez d’entre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera.[1] » Donc ceux que le Christ a éclairés, veillent déjà, mais le fruit de leurs veilles n’apparaît pas encore ; au matin il apparaîtra, c’est-à-dire quand prendra fin l’incertitude de cette vie. Ce monde est donc une nuit ; n’en vois-tu pas en effet les ténèbres ? Un homme fait le mal, il vit, il est en horreur, il fait trembler, on le respecte ; un autre fait le bien, il est réprimandé, couvert d’imprécations, d’accusations, il souffre, il tremble : c’est là une espèce de nuit. Mais c’est dans la racine qu’est la vigueur, le fruit, l’abondance : la vie n’est pas encore dans les bran-cimes, mais la racine n’est point morte : on la dirait desséchée, mais voici venir le temps où elle se couvrira de sa gloire et s’enrichira de ses fruits. Et de ceux dont on nous défend d’être jaloux, que nous dit le psaume ? « Qu’ils se dessécheront comme le foin, et tomberont comme l’herbe des prés[2] ». Ceux-là tomberont ; quand ils verront à leur droite ces mêmes saints, qu’ils raillaient dans les peines de cette vie, et ils se parleront eux-mêmes avec repentir, mais avec un repentir tardif et inutile. Ayant refusé de faire ici-bas une pénitence fructueuse, ils en feront une alors, mais une pénitence inutile. Que diront-ils donc dans un vain repentir ? « Les voilà ceux que nous avons tournés jadis en u dérision, et comme le rebut du monde ! » J’emprunte au livre de la Sagesse ces paroles connues de ceux qui les entendent souvent. C’est le langage futur des méchants, quand ils verront apparaître le Juge, avec les fidèles à sa droite, et tous ses saints qui jugeront avec lui. Voilà ce qu’ils diront, et l’Écriture a consigné leurs paroles : « Ce sont donc là ces hommes que nous avons tournés en dérision, que nous regardions comme le rebut de la terre ! insensés que nous étions, nous regardions leur vie comme une folie[3] ». Quand un homme commence à vivre pour Dieu, à mépriser le monde, quand il renonce à venger une injure, dédaigne les biens d’ici-bas, ne cherche point en cette vie une félicité passagère, s’élève au-dessus de tout, pour s’occuper uniquement de Dieu, demeurer toujours dans la voie du Christ, non seulement les païens disent de lui : C’est un insensé ; mais ce qui est plus déplorable, comme il y a dans l’Église beaucoup d’âmes endormies qui ne veulent point s’éveiller, on entend des proches, on entend des chrétiens dire : Quelle folie vous est venue ? Mes frères, qu’est-ce donc que demander s’il est fou, à un homme qui vit selon le Christ ? Avons-nous réfléchi à cette parole ? Nous avons horreur des Juifs qui disent à Jésus-Christ : « Vous êtes un possédé du démon[4] ». Et quand nous entendons ce passage de l’Évangile nous frappons nos poitrines. Il y a de la scélératesse de la part des Juifs à dire à Jésus-Christ : « Vous êtes possédé du démon » ; et toi, ô chrétien, quand tu vois que le démon est sorti d’un cœur qu’habite maintenant Jésus-Christ, et que tu dis : D’où vient cette folie ? cet homme ne te paraît-il point possédé du démon ? On a dit du Seigneur lui-même : C’est un insensé, quand il tenait aux Juifs un langage qu’ils ne pouvaient comprendre ; on l’a traité de fou, de possédé du démon[5] ; et pourtant quelques-uns sortaient du sommeil et disaient : « Ces paroles ne sont pas d’un possédé du démon[6] ». Ainsi en est-il aujourd’hui, quand ces paroles arrivent aux nations, à ceux qui habitent l’univers, aux enfants de la terre, aux fils des hommes, au riche, au pauvre, c’est-à-dire à tous ceux qui appartiennent à Adam comme à ceux qui appartiennent au Christ ; les uns disent : Tu es possédé du démon ; les autres : « Ces paroles ne sont pas celles d’un possédé ». Les uns, en effet, marchent dans la voie du monde et n’écoutent ces paroles que d’une manière passagère : les autres ne les accomplissent pas en vain, mais comme il est dit : « Prêtez l’oreille, vous qui habitez la terre[7] ». Et quand ils vivent ainsi, le fruit est encore incertain. Quant à ceux qui font le mal et qui choisissent la vie du monde, « la mort sera leur pasteur » ; au lieu que ceux qui choisissent la vie de Dieu, auront

  1. Eph. 5,14
  2. Ps. 36,1-2
  3. Sag. 5,3-4
  4. Jn. 8,48
  5. Id. 10,20
  6. Id. 21
  7. Ps. 48,2