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manière à ne pas négliger d’y revenir par la pensée : écouter alors, ce serait manger, repasser dans sa mémoire ce qu’il a entendu ; et savourer ce plaisir, ce serait ruminer. La variété du langage reporte donc plus agréablement notre pensée sur les vérités que nous savons, et nous les fait écouter plus volontiers ; le langage seul est varié, et cette variété renouvelle pour nous une antique vérité.
2. Voici le titre du psaume : « Pour la fin, psaume de David, pour les fils de Coré »[1]. D’autres psaumes encore sont intitulés : Pour les fils de Coré, et nous indiquent un consolant mystère, comme ils nous laissent deviner un grand symbole : c’est nous-mêmes en effet qu’il faut reconnaître dans ces psaumes ; ce titre désigne quiconque les lit et les entend, c’est un miroir qui nous montre ce que nous somes. Ces enfants de Coré, qui sont-ils ? Il y eut un homme du nom de Coré[2], je sais qu’un homme s’appelait ainsi : toutefois, quand nous lisons le psaume et que la parole divine s’adresse à certains hommes que l’on ne saurait regarder comme les fils de celui que l’on appelait Coré, la pensée a recours à un sens mystérieux et recherche la signification de Coré. Or, ce mot hébreu a été traduit et interprété en grec et en latin ; et nous avons le sens de beaucoup de noms hébreux. Nous cherchons donc et nous trouvons que Coré signifie Chauve. Voilà que votre attention redouble. Cette expression : Enfants de Coré, vous paraissait bien obscure ; mais : Enfants du Chauve, ne l’est-elle pas davantage ? Quels sont ces fils du Chauve ? Sont-ils fils de l’Époux ? Car l’Époux a été crucifié à l’endroit Chauve ou Calvaire. Relisez dans l’Évangile le lieu où le Seigneur fut mis à la croix, et vous trouverez qu’il fut crucifié au Calvaire[3]. Dès lors, ceux qui tournent sa croix en dérision doivent être dévorés par les démons comme par des bêtes farouches. Tel est en effet le sens prophétique d’un passage de l’Écriture. Un jour que le prophète Élisée, cet homme de Dieu, gravissait une montagne, des enfants le raillaient en criant derrière lui : « Monte, chauve, monte, chauve »[4] ; moins par cruauté que pour figurer l’avenir, il les fit dévorer par des ours qui sortirent de la forêt[5]. Si ces enfants n’eussent pas été dévorés de la sorte, vivraient-ils encore ? Eux qui sont nés mortels, n’eussent-ils pu succomber à quelque fièvre ? Toutefois ils sont devenus pour la postérité un terrible symbole. Que nul ne tourne la croix en dérision : les Juifs ont été livrés à la puissance et aux morsures des démons. Car, en crucifiant le Christ au Calvaire et en l’élevant en croix, ils disaient à leur tour comme ces enfants, et sans plus comprendre le sens de leurs paroles : Monte, chauve. Qu’est-ce à dire : « Monte ? » Crucifiez-le, crucifiez-le[6]. Toutefois, on nous propose dans l’enfance un modèle d’humilité à copier et un modèle d’irréflexion à éviter. Le Seigneur lui-même propose l’enfance à ses disciples comme un modèle d’humilité, quand il appelle à lui des enfants, et quand il répond à ceux qui les écartaient de lui : « Laissez ce venir à moi les petits enfants, car le royaume ce de Dieu appartient à ceux qui leur ressemblent »[7]. L’Apôtre à son tour nous montre dans l’enfance un modèle d’irréflexion qu’il faut éviter. « Ne soyez point sans prudence comme des enfants ». Puis il les propose à notre imitation : « Soyez comme eux sans malice, ayez la prudence des hommes forts »[8]. Ce psaume : « Pour les fils de Coré », est donc pour les chrétiens. Écoutons-le comme les fils de cet Époux que des enfants sans réflexion crucifièrent au Calvaire. Ils ont mérité d’être dévorés par les bêtes féroces, et nous d’être couronnés par les anges. Car nous reconnaissons, sans en rougir, l’humilité de Notre-Seigneur. Nous ne rougissons pas de celui qui a été mystérieusement appelé chauve, à cause du Calvaire. C’est au nom de cette même croix sur laquelle on l’insultait, qu’il n’a pas voulu que notre front demeurât chauve, puisqu’il l’a marqué de ce signe sacré. Enfin, pour mieux comprendre que toutes ces paroles s’adressent à nous, écoutez-les.
3. « Peuples, battez des mains »[9]. Le peuple juif était-il tous les peuples ? Mais une partie d’Israël est tombée dans un tel aveuglement, qu’ils criaient comme des enfants : « Chauve, ce chauve »[10], et que le Seigneur fut ainsi crucifié à l’endroit du Calvaire[11], afin que son sang répandu rachetât la nation, et que s’accomplît la parole de saint Paul : « Une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’

  1. Ps. 46,1
  2. Nb. 16,1
  3. Mt. 27,33
  4. 2 R. 2,23
  5. Id. 24
  6. Lc. 23,21
  7. Mt. 19,14
  8. 1 Cor. 14,20
  9. Ps. 46,2
  10. 2 R. 2,23
  11. Mt. 27,33