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donc, parlez des lèvres, mais soyez près de Dieu par le cœur, afin que nous ne prêchions pas seulement des lèvres, et qu’on ne dise point de nous : « Faites ce qu’ils vous disent et non pas ce qu’ils font »[1] ; ou que l’on ne dise pas de ce peuple, dont la bouche loue Seigneur, tandis que le cœur en est loin : « Ce peuple me loue des lèvres, mais leur cœur est loin de moi[2]. Car c’est la croyance du cœur qui nous conduit à la justice, et la confession des lèvres qui nous mène au salut »[3]. C’est ce que fit le larron, crucifié avec Seigneur, et qui, à la croix même, le reconnut pour le Seigneur. D’autres ne le reconnurent point aux miracles qu’il faisait, lui le reconnut à la croix. Il était cloué à la croix par tous ses membres ; ses mains y étaient clouées, ses pieds étaient transpercés, son corps était collé au bois ; les autres membres de ce corps n’étaient point libres ; il ne restait que la langue et le cœur ; il crut du cœur et il confessa de la langue. « Souvenez-vous de moi », dit-il, « Seigneur, quand vous serez dans votre royaume ». Il croyait son salut bien éloigné encore ; il eût été heureux de l’obtenir, même après un temps bien long ; il espérait pour l’avenir, et il n’attend pas un jour. « Souvenez-vous de moi », dit-il, « quand vous serez dans votre royaume », et Jésus répond : « En vérité, je vous le dis, aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis »[4]. Or, le paradis a des arbres de bonheur : aujourd’hui avec moi sur l’arbre de la croix, aujourd’hui avec moi sur l’arbre du salut.
16. « Voilà que je ne fermerai point mes lèvres, Seigneur, vous le savez », de peur qu’il ne croie dans son cœur, et que la crainte ne ferme ses lèvres à la confession de sa foi. Il y a des chrétiens, en effet, qui ont la foi dans le cœur ; mais au milieu des païens aux paroles amères, qui n’ont qu’une feinte politesse, qui ont l’âme corrompue, qui sont sans foi, badins, railleurs, pour peu qu’on leur fasse un crime d’être chrétiens, ils n’osent confesser des lèvres la foi qu’ils ont dans le cœur, ils interdisent à ces lèvres de dire au-dehors ce qu’ils savent, ce qu’ils croient intérieurement. Mais le Seigneur les condamne. « Celui », dit-il, « qui aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père »[5], c’est-à-dire, je ne le connaîtrai point : parce qu’il a rougi de me confesser en présence des hommes, à mon tour, je le désavouerai devant mon Père. Que les lèvres parlent donc selon le cœur ; c’est un avis contre la crainte. Que le cœur ait en lui ce que disent les lèvres ; c’est un conseil contre le déguisement. Souvent la crainte empêche de dire ce que l’on sait, ce que l’on croit ; souvent la dissimulation nous fait dire ce que nous n’avons pas dans le cœur. Que les lèvres et le cœur soient d’accord. En demandant la paix à Dieu, sois en paix avec toi-même ; qu’il n’y ait aucun désaccord entre le cœur et les lèvres. « Je ne tiendrai point mes lèvres fermées, Seigneur, vous le savez ». Comment Dieu le sait-il ? Et que sait-il ? Il voit dans le cœur où l’homme ne voit point. Aussi le Prophète a-t-il dit : « J’ai cru ». Le voilà donc qui possède un cœur ; il a ce que Dieu veut voir ; et alors qu’il ne retienne point ses lèvres. Mais il ne les ferme point. Que dit-il en effet ? « C’est pour cela que j’ai parlé »[6]. Et comme il a dit ce qu’il croyait, il cherche ce qu’il rendra au Seigneur pour le bien que le Seigneur lui a fait, et il ajoute « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur »[7]. Il n’a pas craint cette parole du Seigneur : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même ? »[8] Il confesse de bouche ce qu’il a dans son cœur, et il en arrive aux souffrances. Mais dans ses souffrances, en quoi lui nuit son ennemi ? « Car la mort des justes est précieuse devant la face du Seigneur »[9]. Ces morts auxquelles aboutissait la fureur des païens nous consolent aujourd’hui. Nous célébrons la fête des martyrs, nous les prenons pour modèles, nous considérons leur foi, comment ils furent découverts, comment emmenés, quelle fut leur contenance devant les juges. Ils n’avaient dans l’Église de Dieu aucune hypocrisie, et unis par les liens de la charité, ils confessèrent le Christ ; membres qu’ils étaient, ils ont désiré suivre leur chef. Mais qu’étaient-ils pour avoir ce désir ? Ils étaient patients dans les douleurs, fidèles dans leur confession, véridiques dans leurs paroles. Ils lançaient à la face de leurs interrogateurs, les flèches de Dieu, et leurs blessures enflammaient la colère ; ils firent à plusieurs les blessures du salut. Voilà ce que nous nous représentons,

  1. Ps. 23,3
  2. Isa. 29,13
  3. Rom. 10,10
  4. Lc. 23,42-43
  5. Mc. 8,38
  6. Ps. 115,10
  7. Id. 115,13
  8. Mt. 20,22
  9. Ps. 115,15