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point venu lui offrir une certaine somme d’argent, pour louer sa maison, un temps fixé : tu t’en iras quand le Seigneur voudra. C’est donc gratuitement que tu demeures aujourd’hui. C’est là-haut qu’est ma patrie, ma demeure. « Je suis devant vous comme un étranger et un voyageur ». Ici on sous-entend « devant vous ». Beaucoup sont voyageurs avec le diable ; mais ceux qui ont déjà cru, ceux qui sont fidèles, sont voyageurs, il est vrai, parce qu’ils ne sont pas encore arrivés à la patrie, à la véritable demeure ; néanmoins ils ont leur demeure en Dieu. « Pendant que nous avons un corps, nous marchons en dehors du Seigneur, et notre ambition est de lui plaire, soit que nous soyons éloignés de lui, soit que nous soyons en sa présence[1]. Je suis voyageur et étranger comme tous mes ancêtres ». Si donc je suis comme tous mes ancêtres, puis-je refuser d’être voyageur quand eux-mêmes ont voyagé ? Arriverai-je à la demeure fixe à d’autres conditions qu’ils n’y sont arrivés ?
22. Que me reste-t-il donc à demander, puisque je dois certainement sortir d’ici ? « Laissez-moi quelque relâche, afin que je goûte le rafraîchissement avant de partir »[2]. Vois, Idithun, de quels nœuds il te faut délivrer, afin qu’ensuite tu goûtes avant ce départ le rafraîchissement que tu désires. Tu as quelques ardeurs que tu voudrais tempérer, et tu demandes « quelque rafraîchissement », et tu voudrais « quelque relâche ». Quelle relâche peut t’accorder le Seigneur, à moins de t’enlever ce remords qui te fait dire : « Remettez-nous nos dettes ? »[3] Pardonnez-moi donc avant que je m’en aille pour n’être plus. Délivrez-moi de mes péchés avant mon départ, afin que je ne parte point avec mes péchés. Faites-moi rémission, afin que ma conscience demeure en repos, et qu’elle soit délivrée des cuisantes inquiétudes : inquiétudes qui me font penser à mon péché. « Donnez-moi quelque relâche, afin que j’aie du rafraîchissement », avant tout, « avant que je ne parte, et désormais je ne serai plus ». Car si vous ne me permettez aucun rafraîchissement, j’irai et ne serai plus. « Avant que je ne parte » pour cet endroit où je ne serai plus, si j’y arrive. « Donnez-moi quelque relâche et quelque rafraîchissement ». On se demande ici comment l’interlocuteur ne sera-t-il plus. N’irait-il point dans le repos ? Dieu préserve Idithun d’un tel malheur ! Assurément Idithun ira de plain-pied dans le repos. Mais supposez un homme injuste, qui ne soit point Idithun, qui ne fasse aucun progrès ; un homme qui amasse, qui couve son or, un homme injuste, orgueilleux, plein de jactance, de vanité, de mépris pour le pauvre couché à sa porte ; cet homme ne sera-t-il plus ? Que signifie donc : « Je ne serai plus ? » Car si le mauvais riche n’était plus, qui donc brûlait ? Qui demandait que Lazare laissât tomber une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue ? Qui disait : « Abraham, ô mon Père, envoyez Lazare ? »[4] Celui qui parlait ainsi existait réellement ; celui qui – brûlait existait, puisqu’il doit ressusciter au dernier jour pour être, avec le démon, condamné au feu éternel. Que signifie donc : « Je ne serai plus », à moins qu’Idithun n’envisage ici ce que signifie être et ne pas être ? De l’œil de son cœur, de la force de ses yeux il voyait cette fin qu’il avait désiré voir quand il s’écriait : « Seigneur, montrez-moi ma fin ». Il voyait le nombre de ses jours, celui qui subsiste : il comprenait que tout ce qui est intérieur n’est rien en comparaison de l’être véritable, et il avouait que lui-même n’était pas. Dans ce qu’il voyait, il y a des choses qui demeurent, d’autres qui sont mobiles, périssables, fragiles ; et même cette douleur éternelle de l’enfer, pleine de corruption, ne se prolonge que pour finir indéfiniment. Il a envisagé cette contrée bienheureuse, cette patrie céleste, cette incomparable demeure où les saints participent à la vie éternelle, à l’immuable vérité ; et il appréhende d’aller hors de là, où l’être n’est plus : il soupire après ce séjour où est l’être parfait. Cette comparaison l’établit donc entre l’un et l’autre, et dans sa crainte, il s’écrie : « Donnez-moi quelque relâche, afin que j’obtienne du rafraîchissement, avant d’aller où je ne serai plus ». Car si vous ne me faites remise de mes péchés, j’irai loin de vous pour l’éternité. Loin de qui irai-je pour l’éternité ? Loin de celui qui a dit : « Je suis celui qui suis » ; loin de celui qui a dit : « Va dire aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous »[5]. Celui-là donc va au néant qui tourne le dos à celui qui est, dans la stricte vérité.
23. Aussi, mes frères, si je vous ai causé

  1. 2 Cor. 5,6-9
  2. Ps. 38,14
  3. Mt. 6,12
  4. Lc. 16,24
  5. Exod. 3,14